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LES NÉCESSITÉS D'UNE DOCUMENTATION SUR LES THEMES

2. LA DOCUMENTATION AU SERVICE DE L'HISTOIRE DES ARTS PLASTIQUES CONTEMPORAINS

2.2. LES NÉCESSITÉS D'UNE DOCUMENTATION SUR LES THEMES

De manière symptomatique, Luc BENOIST, en 1971, faisait ce constat : "Tant qu'une immense campagne de publication ne mettra pas

au jour les images inconnues, l'histoire de l'art ne dépassera pas le stade infantile de l'érudition, celle des biographies à la Vasari, ou des monographies inutilement répétées"55. En 1983, André

CHASTEL insistait sur la nécessaire corrélation qui devrait exister entre le futur Institut National d'Histoire de l'Art et la documentation. Enumérant les points principaux à envisager pour sa réalisation, il citait en premier : "le lien entre cet établissement

et la bibliothèque Doucet en particulier, avec les autres bibliothèques et centres de documentation spécialisés en général"56. Dix ans plus tard, en 1993, Pierre ENCREVÉ, dans un

nouveau rapport sur l'Institut, mentionnait, parmi ses fonctions essentielles, la fonction "documentation" en insistant sur une de ses missions particulières : "Le centre de documentation de

l'Institut devrait affirmer une réelle originalité en se dotant d'une véritable documentation iconographique qui manque à la France..." […] "Une documentation iconographique (c'est à dire une

55 BENOIST, Luc, Musées et muséologie, Paris : P.U.F., 1971, coll. Que sais-je ; 904, p. 71.

56 CHASTEL, André, La création d'un Institut National d'Histoire de l'Art : rapport au Premier Ministre, Paris : La Documentation française, 1983, Collection des rapports officiels, p. 3.

documentation dont le classement est de type thématique, et non par œuvre ou artiste) serait profitable à tous les arts"57.

A travers ces exigences formulées pour une documentation iconographique plus complète, mieux organisée, et des centres de documentation mieux coordonnés, se profile le même intérêt accordé à la médiation documentaire pour la recherche en Histoire de l'art. La poser en termes de "campagne" et d'"institut" est une voie qui mise sur la synergie, la collaboration et la centralisation des moyens, mais elle n'est pas unique. On peut aussi aborder les liens de l'iconographie et de la documentation en s'appuyant non plus sur la réalisation d'outils généraux au service d'un corpus de reproductions à constituer mais sur des outils fragmentaires au service d'un corpus existant. Car si les souhaits de L. BENOIST n'ont pas été totalement exaucés, on est toutefois parvenu à une accumulation d'images suffisante pour dépasser la question de la publication et poser celles du dépouillement, de l'exploitation et de l'accès. Les progrès qualitatifs et quantitatifs de la recherche, la multiplication des genres, des supports et des canaux d'information imposent aux techniques documentaires la nécessité d'ouvrir la masse informative aux repérages les plus nombreux et les plus précis possibles. Les nouvelles technologies et l'informatique en particulier, ont fourni des auxiliaires précieux à la documentation, mais elles ne règlent pas ipso facto tous les problèmes inhérents à cette croissance. Un rapport de conjoncture du C.N.R.S.. mettait le doigt sur ce point névralgique en précisant : "[…] le 'toujours plus' en matière d'informations - mêmes soumises

au traitement informatique - conduit souvent à une perte de pertinence"58. Une observation qui rejoint celle que faisait Alain

VUILLEMIN, quelques années auparavant, lorsqu'il analysait

57 ENCREVÉ, Pierre, L'Institut international d'Histoire des arts : rapport au ministre d'état, ministre de l'Education nationale et de la Culture, Paris : La Documentation française, 1993, Collection des rapports officiels, p. 19 et 69.

58 MACCHI, Odile, dir., Sciences et technologies de l'information, in Rapport de conjoncture du C.N.R.S., Paris : C.N.R.S., 1993, p. 40.

l'application de l'informatique aux techniques documentaires : "Des

plus gigantesques mégabanques de données aux plus modestes micro- bases d'informations, bien des banques de données ou d'informations existantes ou futures risquent de n'être que des 'cimetières de données', faute d'avoir été conçues à partir d'une définition et d'une description suffisamment précise de données, informations ou documents à répertorier et à conserver"59.

Mis à part les facteurs qu'on peut mettre au compte d'un mouvement général de la croissance d'information, tels que la multiplication des médias et des publications, ceux qui opèrent sur l'art et sur l'art contemporain en particulier dépendent globalement 1 : de l'augmentation du nombre d'œuvres produites ainsi que des institutions qui les conservent : "facteur patrimonial". Ce premier facteur demeure traditionnel, au moins depuis la Renaissance, mais pour le 20ème siècle, on retiendra sa vigueur particulière durant les années 1980.

2 : de la demande croissante des publics, du spécialiste60 au touriste, toujours plus intéressés par le phénomène artistique : "facteur social". Ce deuxième facteur s'est constitué peu à peu, au gré du niveau général d'instruction, de la reconnaissance universitaire des disciplines artistiques et des effets (parfois paradoxaux, quand ils annulent l'éducation par la consommation) des conquêtes sociales pour le "temps des loisirs".

59 VUILLEMIN, Alain, Informatique et traitement de l'information en Lettres et Sciences humaines, Paris : Masson, 1986, p.106.

60 "L'expertise [du conservateur] repose en dernière analyse sur l'ampleur et l'actualisation permanente de l'information. La maîtrise de l'information est l'équivalent pour l'art contemporain du savoir érudit pour l'art ancien". Dans : MOULIN, Raymonde, L'artiste, l'institution et le marché, Paris : Flammarion, 1992, p. 66. On peut toutefois critiquer l'idée que l'information serait "l'équivalent" de l'érudition, sauf à l'entendre comme une projection sociale relative à la compétence que doit posséder un conservateur d'art contemporain. -Autre témoin de croissance de cet intérêt, la fréquentation des lieux documentaires. Françoise BENHAMOU aborde cet aspect dans : Pour une Bibliothèque nationale des arts, Paris : La Documentation française, 1993, chap. "Les publics", p.57-70, et Catherine SCHMITT dans : Les musées face à la demande étudiante, in Novembre des arts à Besançon…, op. cit., p.70-81.

3 : de l'institutionnalisation de l'œuvre en tant que valeur culturelle pour laquelle travaille un plus grand nombre de professionnels : "facteur politique"61. Celui-ci répond à des phénomènes plus récents, liés à la politique culturelle et aux besoins identitaires de certains groupes sociaux (rapports entre collection et prestige, légitimation des intérêts de la jeunesse, présence de l'état dans le culturel... etc.).

4 : des effets éditoriaux d'une médiatisation (fluctuante) de l'œuvre d'art : "facteur médiatique". Ce dernier reflète les interdépendances de l'économique et du culturel qui favorisent parfois des floraisons de publications sur certains aspects de l'art et dont la création contemporaine a pu bénéficier au cours de la dernière décennie.

5 : de l'organisation des galeries en réseaux et groupes de décision (et parfois de pression) activant la circulation des biens : "facteur économique".

6 : de la structuration progressive des sciences de l'art avec ses enseignements, ses équipes de recherche et ses établissements : "facteur scientifique".

Le sociologue, à bon droit, peut maintenant constater, avec une pointe d'ironie critique, l'inflation d'une information qui s'interpose telle un écran entre l'œuvre et le récepteur62, il incombera pourtant au documentaliste, entre autres, de ménager des voies d'accès à travers cet écran. Son rôle n'est pas, à ce stade, de juger mais d'orienter. En ce sens, sa "science" (entre empirisme, expérience, savoir et savoir expert) n'est pas prescriptive mais sélective. Si l'on dispose aujourd'hui, avec l'édition imprimée et informatique de nombreux outils pour l'identification, l'attribution et la localisation des œuvres, il reste néanmoins un aspect peu ou mal exploré qui met précisément en défaut la pertinence des moyens

61 Raymonde MOULIN en donne des exemples dans L’artiste, l’institution et le marché, op. cit.

62 BOURDIEU, Pierre, Les Règles de l'art : genèse et structure du champ littéraire, Paris : Seuil, 1992, p. 242.

documentaires : celui de l'accès par sujet. Telle est la question posée, et répétée, comme on l'a vu dans le rapport de Pierre ENCREVÉ, à la documentation sur les œuvres d'art. Face au "toujours plus" des catalogues, des monographies, des articles, des bibliographies, des dictionnaires, des bases de données et des banques d'images, de nombreuses questions touchant à l'iconographie, au sujet ou au contenu des œuvres n'obtiennent pas les réponses escomptées.