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Théories de la planification urbaine : Postulats, objectifs et finalités

7. Sens du lieu et échelle d’investigation (khettab et Chabbi-Chemrouk, 2017)

8.2. Théories de la planification urbaine : Postulats, objectifs et finalités

Les objectifs et les finalités de la planification diffèrent en fonction des postulats et des fondements théoriques qui lui sont sous jacent. Feildel (2013) classe les théories de la planification comme suit :

 Le positivisme correspond au rationalisme classique,

 Le positivisme contingent, comprend l’incrémentalisme et la théorie de la contingence,

 L’interprétativisme englobe la post-rationalisation, la théorie de la dépendance, le sensemaking-sensegiving, ainsi que la planification communicationnelle.

Dans la théorie rationaliste classique, la planification urbaine consiste à traduire les enjeux environnementaux issus de la phase diagnostic sous la forme d’un plan détaillant les actions à entreprendre. L’environnement physique et social étant perçu comme une réalité extérieure à l’expert, le diagnostic consiste en l’évaluation rationnelle et objective, par des professionnels, d’un nombre maitrisable de paramètres.

La planification s’inscrit donc dans une perspective positiviste se traduisant par l’adoption d’un processus séquentiel et déterministe et postulant ainsi l’existence d’un lien direct entre diagnostic et choix stratégiques.

144 Par définition, ce modèle n’admet pas la prise en compte de la subjectivité (aussi bien de l’expert que des autres acteurs), celle-ci étant considérée comme préjudiciable à la prise de décision (Feildel, 2013).

Par ailleurs, l’incrémentalisme ainsi que la théorie de la contingence, qui ne diffère de la première que par le recours à l’intuition, relèvent encore du positivisme, c’est-à-dire que la prise de décision tire sa légitimité de l’objectivité scientifique du diagnostic qui garantit, à son tour, l’appropriation des choix entrepris au contexte. Ces théories ne se distinguent du positivisme qu’en rapport à la capacité d’anticipation des planificateurs et des décideurs.

En effet, le positivisme contingent considère l’environnement physique et social comme étant difficilement prédictible à cause de leur caractère complexe et évolutif mais aussi en rapport à la rationalité limité du planificateur (capacité de traitement cognitive de l’information limitée de l’homme). Toutefois, la nature objective de la connaissance du réel n’est pas pour autant remise en question. Le diagnostic environnemental garde sa fonction justificatrice des prises de décision.

C’est, cependant, le modèle linéaire du rationalisme qui est reconsidéré. En effet, le processus de planification est itératif et ne peut donc être séparé de l’action. Celui-ci consiste ainsi à piloter les projets en coordonnant les actions et en s’adaptant continuellement aux contraintes de l’environnement et aux aléas de l’action.

Dans cette perspective, la finalité de la planification consiste à conceptualiser des outils de diagnostics et d’aide à la décision prenant en charge la complexité de l’environnement et limitant le biais que la subjectivité des intervenants pourrait constituer. A cet effet, la planification urbaine s’organise par la mise en place d’outils de veille active et de tableaux de bords mettant à l’œuvre des indicateurs de plus en plus nombreux.

L’interprétativisme, quant-à-lui, correspond à un jeu d’acteurs plus complexe donnant lieu à une divergence voire à un conflit d’intérêt, où l’environnement est appréhendé comme une construction issue des interprétations croisées des différents acteurs (y compris experts et décideurs). Ces derniers étant activement impliqués, intéressés

145 ou même militants, entretiennent des rapports de force qu’il convient d’arbitrer. La planification devient un processus de négociation basé sur la prise en charge des perceptions et des représentations des différents acteurs.

Selon nous, nous pourrions distinguer deux familles à l’intérieur de l’interprétativisme. En effet, post-rationalisation et théorie de la dépendance introduisent des stratégies communicationnelles tout en restant, cependant, sous couvert du rationalisme classique. Le discours relatif au sens du lieu, à la qualité de vie et au sentiment d’appartenance est instrumentalisé afin d’éviter les controverses et d’assurer l’acceptabilité et l’adhésion des populations (Feildel, 2013). Au contraire, le sensemaking-sensegiving et la planification communicationnelle cherchent à instaurer un véritable processus de négociation.

La post-rationalisation donne, donc, sous couvert du modèle rationaliste, l’impression d’une planification participative mais où le rapport entre diagnostic et prise de décision est inversé. En effet, le diagnostic n’a plus qu’une fonction symbolique, celle de justifier ou de vérifier le bien fondé d’une décision prise à-priori, afin de lui donner un caractère rationnel et négocié. Le diagnostic est, dés lors, un processus post-hoc où il s’agit de sélectionner des éléments en faveur d’une décision prise au préalable.

A l’instar de la post-rationalisation, le diagnostic dans la théorie de la dépendance revêt aussi, sous couvert du modèle rationaliste, une fonction symbolique mais où la recherche d’un soutien, le plus souvent financier, de la part d’un acteur dominant explique l’ampleur et la rigueur de l’étude qui se veut crédible aux yeux de la tutelle (ou de tout autre organisme) pour servir de support à la demande de fond (justification des besoins en ressources).

Enfin, le sensemaking-sensegiving et la planification communicationnelle adoptent un véritable processus de négociation. Dans le premier cas, il s’agit de produire du sens à partir des différentes perceptions (sensemaking) pour, ensuite, restituer un sentiment d’ordre aux différents acteurs (sensegiving). La planification consiste ainsi en un rapprochement des points de vue. Le diagnostic, quant-à-lui, constitue une interprétation des différents enjeux permettant de guider la prise de décision.

146 Dans la planification communicationnelle, enfin, il y a, dans un contexte conflictuel, construction progressive d’un consensus qui a pour point de départ la reconnaissance des différents points de vue. Dans cette optique, les stratégies et les dispositifs communicationnels revêtent une importance considérable dans la planification.

Pour résumer, introduire le sens du lieu dans les outils de planification urbaine pourrait avoir plusieurs objectifs selon les postulats adoptés par le régime de planification en question.

Dans une logique positiviste ou sous couvert de celle-ci, l’étude du sens du lieu pourrait :

 Etre effectuée par des experts (genius loci) dans la perspective d’élaborer un plan d’action.

 Constituer une étape post-hoc visant à vérifier ou à justifier un choix pris au préalable.

 Témoigner du sérieux et de la crédibilité de l’étude vis-à-vis d’un organisme de tutelle.

Ce sont là, des objectifs compatibles avec le régime de planification algérien où l’élaboration des instruments d’urbanisme inclut une phase diagnostic très importante compilant différentes informations, entre autres, des prévisions sociodémographiques, des données économiques ou climatiques, censées intervenir au niveau de la programmation urbaine. Pourtant toutes ces données ne sont pas forcément traduisibles du point de vue spatial ou en termes d’actions concrètes. Un quatrième objectif des théories positivistes, qui commence à apparaitre au niveau de la recherche mais qui n’a pas encore trouver d’application en Algérie, est celui de conceptualiser des outils de diagnostics, d’aide à la décision et de veille. Dans ce cadre, la constitution de tableaux de bords procède par la confrontation d’indicateurs issus de la littérature avec ceux issus des perceptions et des représentations des différents intervenants (Djellata, 2018).

147 Enfin, dans une optique non-positiviste et dans la perspective de l’adoption d’un urbanisme participatif, la prise en compte du sens du lieu pourrait constituer un support au processus de négociation.

8.3. Sens du lieu et planification positiviste : Du diagnostic aux