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1. Paysage, lieu ou environnement ?

1.1. La notion de paysage et dérivées

1.1.1. Paysage

Nous n’excluons pourtant pas l’emploi des autres termes le long de ce travail. Il est à noter que la notion de lieu et ses dérivées sera traité de manière détaillé dans un chapitre indépendant. C’est, en effet, autour de cette notion que nous construisons toute notre réflexion.

1.1. La notion de paysage et dérivées

1.1.1. Paysage

En retraçant l’histoire sémantique du concept de paysage, Franceschi (2000) explique que cette histoire se compose de trois temps se référant à trois significations différentes, mais qui relèvent toutes des représentations10. Nous réinterprétons ces trois temps selon les définitions suivantes :

 Le paysage comme représentation picturale :

Le terme paysage apparait en langue française entre le XVe et le XVIe siècle pour désigner l’image, la représentation picturale d’un territoire.

 Le paysage comme représentation mentale :

Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il y a eu glissement du terme paysage vers le champ cognitif : Il désigne désormais aussi bien l’image picturale d’un territoire que l’image mentale que s’en fait l’esprit, et c’est à ce moment là que s’opère une confusion entre l’objet et son image. Cette conception établit un lien de dépendance entre paysage et regard, c’est de cette manière que le concept de paysage commence à être conçu par rapport à un observateur ou un sujet. Le paysage est donc définit comme un phénomène perceptif.

 Le paysage comme mise en abyme du champ représentationnel :

La troisième étape consiste d’après l’auteur en un nouveau glissement du terme de paysage, celui-ci s’étend cette fois à la représentation picturale de la représentation mentale. Le paysage est donc à la fois à l’extérieur de nous mais nous n’en avons qu’une représentation en nous. L’auteur explique que dans cette étape les

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Les trois temps selon Francheschi (2000) : Invention du paysage dans le champ de la représentation, ambiguité et redoublement du champ représentatif, et mise en abyme du champ représentatif

18 productions artistiques, donc les représentations picturales s’érigent en modèles. Ces images modèles imprègnent notre regard et façonnent nos expériences. L’on pourrait rapprocher ce discours de la théorie cognitive où l’on considère qu’il ya influence réciproque entre un objet (que ce soit un territoire ou même une représentation picturale de ce territoire) et les représentations mentales qu’on s’en fait.

Par ailleurs, un simple examen des définitions proposées par le dictionnaire Larousse11 confirme l’ancrage du concept de paysage dans le champ représentationnel et permet de soutenir qu’aujourd’hui, il y aurait coexistence voire confusion entre ces trois définitions. Voici quatre des cinq définitions énoncées :

 « Étendue spatiale, naturelle ou transformée par l'homme, qui présente une certaine identité visuelle ou fonctionnelle : Paysage forestier, urbain, industriel.  Vue d'ensemble que l'on a d'un point donné : De ma fenêtre, on a un paysage

de toits et de cheminées.

 Aspect d'ensemble que présente une situation : Le paysage politique du pays.  Peinture, gravure ou dessin dont le sujet principal est la représentation d'un

site naturel, rural ou urbain».

Alors qu’un ouvrage aussi spécialisé que le dictionnaire de l'Urbanisme et de l'Aménagement conçoit encore le paysage comme une « étendue de pays qui se présente à un observateur », l'Encyclopaedia Universalis définit, quant-à-elle, le paysage comme “une relation qui s'établit en un lieu et un moment donnés, entre un observateur et l'espace qu'il parcourt du regard ». La première définition renvoie au premier temps de l’évolution sémantique de ce concept, et en donne donc une définition assez dépassée puisqu’elle présente le paysage comme un tableau, un espace temporellement figé même si elle sous-entend tout de même l'individualité d'une observation alors que la seconde définition a l’avantage de placer le concept

11

Dictionnaire Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/paysage/58827 consulté le 05/11/2015

19 de paysage dans la sphère des phénomènes subjectifs faisant ainsi référence au deuxième temps du paysage.

Cependant, la plupart des définitions de travail adoptées par les organismes internationaux semble prendre en charge le troisième temps du paysage, celui qui contient tous les autres, d’où l’expression « mise en abime ». En effet, la Convention européenne du Paysage le définit comme «une partie du territoire perçue comme tel par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains ainsi que de leurs interrelations12 ». Cette caractérisation en tant qu’« ouvrages combinés de la nature et de l’homme13 » se retrouve aussi dans la définition qu’adopte l’UNESCO pour les paysages culturels. Ceux-ci expriment l’influence de l’environnement naturel, des forces socio-économiques, et culturelles sur la société et les établissements humains. Le Conseil du Paysage Québécois soutient, lui aussi que « le paysage est beaucoup plus que les caractéristiques visibles d’un territoire et la définition du paysage doit être élargie afin d’englober l’interaction entre activité humaine et l’environnement. Des éléments biophysiques, anthropiques, socioculturels, visuels et économiques …14».

Le paysage serait donc définit comme:  Un territoire :

Le paysage est un Objet, un paysage physique, un support géographique.

 Un phénomène perceptif :

L’on se réfère ici du paysage vu ou perçu. Celui-ci est un territoire qu’un sujet perçoit directement à travers les sens. Là, l’on parle plus volontiers de la perception visuelle mais les autres sens ont aussi leur rôle à jouer dans le phénomène de perception même si celui-ci reste secondaire en comparaison avec le rôle de la vision. Le paysage serait ainsi définit par le couple Objet–Sujet. L’image qu’en a le sujet est le résultat d’un simple filtrage à travers les cinq sens.

12

La convention européenne du paysage, Florence, 2000.

13

UNESCO, « Orientations pour l’inclusion de paysages culturels, villes, canaux ; routes culturelles et sites fossilifères sur la Liste du patrimoine mondial »,1999

14

20

L'homme se construit une

IMAGE/REPRESENTATION

PAYSAGE PHYSIQUE

 Un phénomène cognitif :

Outre le filtre sensoriel, un traitement à travers des filtres psychologique et socioculturel intervient dans l’interaction entre Objet et Sujet. Dans ce cas, le paysage est définit comme un cadre de vie ; c’est le paysage vécu. Ce qu’il faut ajouter, c’est que le résultat de ce traitement cognitif est une représentation qui oriente le comportement du sujet et lui permet d’agir, à son tour, sur son paysage (voir schéma suivant).

Schéma 1 Interrelation homme – paysage

Source : Auteur

Cette conception multidimensionnelle de la notion de paysage semble aujourd’hui faire consensus dans la plupart des définitions spécialisées telles que celle offerte par le site de Géoconfluences qui soutient qu’« aujourd'hui, la notion de paysage prend en compte, à la fois des aspects objectifs (d'ordre fonctionnel, technique et scientifique) et des aspects subjectifs (qui relèvent de la sensibilité, de la perception de chacun). Il faut penser le paysage comme un système complexe de relations (approche systémique) articulant au moins trois composantes interdépendantes : le paysage espace-support : il s'agit d'une portion d'espace soumis à la vue, remplie d'objets, appropriée par différents groupes sociaux; le paysage espace-visible ; le

L’homme perçoit à travers les filtres physiologiques et psychosociaux

L’homme agit sur le paysage en fonction de la représentation qu’il s’en fait

21 paysage-représentation ou espace vécu (les individus perçoivent le paysage selon leur propre sensibilité)15».

En effet, beaucoup de spécialistes adhèrent à l’idée qu’aspects sensibles et facteurs culturels font partie intégrante du paysage. Par exemple Lassus (1994) avance que le paysage est une construction culturelle relevant du sensible basée sur l’attrait sensoriel alors que pour Conan (1994) le paysage symboliserait le groupe social ainsi que ses valeurs. Un territoire devient paysage par la charge symbolique dont l’investisse la communauté qui l’occupe. La notion de paysage est à rapprocher de la fameuse équation de Tuan concernant la définition du lieu : Si pour lui Lieu=espace+signification, la notion de paysage serait donc un synonyme du concept de lieu. Ramadier et al. (2008) vont plus loin, en expliquant que le paysage est le résultat d’une relation spécifique des individus aux contextes physiques, sociaux et historiques.