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Tuan considère le concept de topophilia non seulement comme une réponse sensorielle à l'environnement, mais surtout comme une réponse affective. Dans certains passages, il va jusqu’à parler d'amour du lieu. Il explique ainsi que l’on pourrait dire qu’un lieu a de l'esprit ou la personnalité, mais seuls les êtres humains peuvent avoir un sens du lieu. Pour lui, le sens du lieu ne saurait être détaché de la présence de l’homme qui démontre un jugement moral et esthétique à l’environnement (Tuan, 1979, p.410). Tuan (2013, p.99-100) explique que la topophilie résulte de la familiarité et de la conscience du passé.

La définition des lieux, proposée par Relph (1976, p.141) comme « centres signifiants de nos expériences immédiates du monde57 » est encore souvent citée dans la littérature. Il n’y a qu’à voire le récent article de Seamon (2015, p.64). D’ailleurs, Seamon et Sowers (2008) avaient essayé d’expliquer les réflexions de Relph (1976) dans son si célèbre « place and placelessness ». Ils expliquent que son travail sur la notion de lieu est le résultat de son insatisfaction vis-à-vis du manque de sophistication philosophique qui lui est attribuée dans la littérature (seamon et Sowers, 2008, p.43). Dans un travail plus récent, Relph (2008, p.35) définit les lieux comme « fusions d'attributs physiques, d’activités et de signification, d’aspects liés à l'expérience du monde de tous les jours qui peuvent être expliqués phénoménologiquement, mais qui sont foncièrement inaccessibles aux analyses statistiques ». A ce titre, il compare son point de vue à celui de Canter, dont

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130 l’approche, selon lui, serait orientée plutôt sur les perceptions individuelles. En se basant sur sa longue expérience dans l’étude des phénomènes liés à la notion de lieu, Relph (2015, p.25) exprime, sa conviction de la non-obsolescence de cette notion. Il réitère, par ailleurs, que la distinctivité du lieu est plus liée aux significations qui lui sont associées qu’à la dimension strictement physique et qu’à la manière d’un artisan qui imprimerait une partie de sa personnalité sur les objets qu’il façonne, la communauté transfère son caractère au paysage (Tuan, 2015, p.172).

En effet, Canter (177, p.158) propose un modèle qui mettrait le lieu à l’intersection de trois cercles représentants les attributs physiques, les actions et les conceptions. Alors que dans son travail ultérieur, Canter (1996, p.112) met plutôt l’accent sur le rôle du lieu comme une «unité focalisée sur l'expérience environnementale … [Dans ce sens,] il est proposé comme un terme technique décrivant le système d'expérience qui intègre les aspects personnels, sociaux et culturellement significatifs des activités situées ».

Nous voyons bien que Canter rejoint effectivement la définition donnée par Relph consistant à décrire le lieu en termes d’environnement physique, d’activités et de significations. C’est d’ailleurs le résultat auquel sont parvenus différents auteurs, et notamment comme nous allons le voir, Sixsmith (1986) ou encore Gustafson (2001). D’ailleurs, Bonnes et Carrus (2004, p.801) en définissant, le lieu comme « le produit des propriétés physiques de l'environnement, les cognitions des gens de l'environnement, et les actions des gens dans l'environnement » ne font que consacrer la définition donnée par leurs prédécesseurs. Lewicka (2011, p.208), de son coté, explique que le lieu serait défini, du moins pour Tuan et Relph, à travers sa continuité historique, son caractère unique, son échelle limitée (boundedness) et les opportunités qu’il offre pour le repos.

En travaillant sur les significations attribuées au concept de foyer (home), fois, Sixsmith (1986, p.294) a dégagé trois modes expérientiels du lieu ; personnel, social et physique. Elle explique que le modèle qu’elle propose rejoint celui de Canter, non seulement en rapport avec les significations psychologiques et sociales, c’est-à-dire, sociocognitives, mais aussi relativement à l’environnement physique, ainsi qu’en termes d’activités.

131 Dans son travail portant sur les significations attribuées aux lieux dans l’expérience de tous les jours, Gustafson (2001) met justement en parallèle les trois modèles tripartites de Relph, de Canter et de Sixsmith pour proposer son propre modèle. Celui-ci est composé de soi, des autres, et l’environnement (self, others, environnement). Selon ses propres termes, au lieu d'une division en trois parties, celui-ci propose un modèle sous la forme d’un triangle tripolaire dans lequel les différentes significations associées au lieu pourraient être disposées, non seulement au niveau des trois pôles, mais aussi entre eux. L’auteur souligne par ailleurs que l’important n’est pas de trouver la position exacte des significations dans ce modèle, mais plutôt de montrer sa pertinence dans l’analyse des significations attachées à un lieu donné. Comme nous le verrons par la suite, nous avons, à notre tour essayé d’utiliser ce modèle comme outil analytique pour notre cas d’étude.

La même année (2001) et en s’appuyant sur le travail de Canter (1991, 1997), Jorgensen et Stedman (2001, p.237) définissent le sens du lieu comme « une structure psychosociale complexe, qui organise les cognitions référents à soi, les émotions et les engagements comportementaux. Le sens du lieu, sous cet angle, est compatible avec les conceptions de l'attitude. La théorie de l'attitude peut donc fournir un cadre théorique pour l'organisation des relations entre les composants du lieu». Cette conceptualisation permettrait, selon eux, de mettre en cohérence les différents concepts, et ce, en les considérant à l’intérieur d’un cadre tripartite englobant processus cognitifs, affectifs et conatifs.

Dans des travaux ultérieurs, Stedman (2003a) traite de la contribution de l’environnement physique dans la constitution du sens du lieu, en expliquant qu’il ne s’agit pas seulement d’une construction sociale mais que l’environnement physique aurait un rôle tout aussi important dans l’attribution des significations. Pour lui, le lieu serait un concept multidimensionnel qui dépendrait des significations, qui seraient à leur tour basées sur les expériences en rapport avec l’environnement physique mais aussi avec les acteurs sociaux qui le constituent (Stedman, 2003b, p.824).

Stedman (2003b, p.825) suggère, par ailleurs, que la satisfaction envers le lieu, un concept relevant du domaine évaluatif, devrait être intégrée dans l’étude du sens du lieu.

132 En combinant les résultats de Jorgensen et Stedman (2001) et de Stedman (2003b), nous pouvons penser que le sens du lieu pourrait être assimilable à une attitude multidimensionnelle englobant aspects perceptif, cognitif, conatif et affectif. La dimension perceptive renvoie à la perception directe des attributs environnementaux. La dimension cognitive se réfère aux croyances, aux valeurs et significations attribuées à l’environnement alors que la composante conative traduit l’intention de comportement et non pas les actions réelles ; c’est l’attitude. La composante affective, enfin, considère plutôt la sphère des émotions et des attachements supportée par l’environnement. Ces composantes revoient, justement, aux trois concepts qui apparaissent avec une certaine régularité comme composantes du sens du lieu, à savoir l’attachement au lieu, de l’identité du lieu et de la dépendance au lieu (Jorgensen et Stedman, 2001, p.234).

C’est en s’inscrivant dans cette logique que nous pouvons lier la notion de sens du lieu et approche sociocognitive, et c’est ce qui nous permet de légitimer notre recours à la représentation environnementale comme instrument d’investigation du sens du lieu.