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Sens du lieu, environnement historique et villes côtières (khettab et Chabbi-

et Chabbi-Chemrouk, 2017)

La plupart des études investiguant le sens du lieu portent sur les sites naturels à vocation récréative (outdoor recreational sites) où le point de vue des touristes ou des propriétaires de résidences secondaires, c’est-à-dire, des utilisateurs temporaires, est privilégié, au détriment de celui de la communauté locale.

Les villes côtières ne sont jamais approchées en tant que telles (khettab et Chabbi-Chemrouk, 2017). A cet égard, les travaux de Green (1999) ainsi que de Brown et Raymond (2007) constituent des exceptions. En effet, le premier a étudié le caractère urbain d’une petite ville côtière en Australie (et non son sens du lieu) où il explore les perceptions et les significations qui y sont attachées par les locaux. Les seconds, quant-à-eux, se sont attelés à explorer le lien entre attachement au lieu et valeurs paysagères, aussi bien chez les résidents que chez les visiteurs d’une autre

133 ville australienne. Dans les deux cas, l’aire d’étude comprend soit une réserve naturelle, soit un parc national, le choix d’une situation côtière n’est pas recherchée (il est difficile de l’éviter dans une zone du monde du monde comme l’Australie). Les résultats auxquels ces auteurs sont parvenus ne manquent, cependant pas d’intérêt par rapport à notre objet de recherche. Ainsi, Brown et Raymond (2007), concluent à la prévalence des valeurs esthétiques, récréatives et naturelles sur les valeurs patrimoniales. De son coté, Green (1999), explique que la qualité des éléments paysagers, en relation avec l’océan et l’environnement côtier immédiat, dotent les villes d’un caractère particulier. Celui-ci attire l’attention que certains points de repère construits peuvent contribuer, mais dans une moindre mesure, à la création d’un caractère urbain de valeur.

Pareillement, peu d’études ont examiné la notion de sens du lieu dans un environnement historique (khettab et Chabbi-Chemrouk, 2017). Graham et al., (2009), dans leur revue de littérature traitant du sens du lieu, suggèrent que l’engagement avec l’environnement historique constitue un spectre qui va du simple passage à côté d’un monument jusqu’au volontariat dans un site historique local. Toutefois, ils notent que l'environnement social (relations sociales supportées par le lieu) peuvent constituer un indicateur aussi important, voire plus, du sens du lieu véhiculé par l'environnement historique. Pour eux, l’environnement historique contribue à la création d’un sens du lieu distinctif et d’un sens de continuité qui peuvent supporter un plus grand sens d’estime de soi et d’attachement au lieu chez les gens. L’environnement historique doit aussi être compris comme le cadre de la vie quotidienne des gens, donnant lieu à une expérience du lieu moins consciente » (Graham et al., 2009, p.5). Les auteurs pensent, ainsi, que les notions de sens du lieu et d’environnement historique s’articulent autour des concepts suivants : la distinctivité, la continuité, la dépendance au lieu, et la création active du lieu (active place-making).

Graham et al. (2009) considèrent qu’il est possible d’appréhender la ville historique du point de vue d'une autodéfinition positive et individuelle. En se basant sur les travaux d’Uzzell, (1996) ainsi que de Twigger-Ross et Uzzell (1996), les auteurs avancent qu’un sentiment de fierté serait à la base, d’une plus grande estime de soi,

134 ce qui faciliterait l’identification avec l’environnement historique. Cela dit, en examinant de plus prés ces références, nous constatons que ces travaux sont d’ordre général, et n’avaient pas trait de manière particulière aux environnements historiques. D’ailleurs, Uzzell (1996, p.5) souligne que « plutôt que ses liens historiques forts avec le passé ou peut-être son caractère distinctif des autres villes et communautés, ce sont les activités qui ont continué et continuent à se dérouler dans la ville qui frappent les gens comme étant cruciales pour conférer une identité de lieu». Il reconnait, toutefois, que les motivations à visiter un quelconque site patrimonial ainsi que les avantages découlant de cette visite peuvent être appréhendées en termes d'individus cherchant à s'identifier à un lieu pour tirer de cette identification une image positive de soi. Cela pourrait se produire quand les attributs positifs du lieu sont perçus comme déteignant sur la personne (je suis le genre de personne qui aime et apprécie cette ville historique et culturelle. Je suis, donc, curieux, éduqué et cultivé) (Uzzell, 1996).

Le peu d’études empiriques qui lient sens du lieu et environnement historique nuancent, voire contredisent les hypothèses de Graham et al. (2009). Ainsi, dans l'un de ses travaux sur l'Angleterre (Castleford, Yorkshire) Smith (2006) constate que même si les habitants ont évalué leur environnement bâti comme n'étant pas particulièrement distinctif, ils perçoivent leur région comme dotée d'une valeur patrimoniale, et ce après avoir été impliqué dans des activités patrimoniales telle que les festivals par exemple, ce qui contredit la thèse de Graham et al. (2009). Smith explique que ce qu’ils considèrent comme patrimoine est redéfini à travers leurs activités. Pour elle, « l’identité doit être perçue comme un processus actif et continu de création et recréation, où les liens et les associations avec le passé, et par conséquent le patrimoine tangible, lieux ou objets qui représentent le passé, sont continuellement reconstruits et négociés» (Smith, 2006, p.301). Elle distingue par ailleurs entre « patrimoine autorisé » ou patrimoine officiel tel que nous l’appelons, et dont l’histoire et la monumentalité sont les valeurs principales et patrimoine tel que perçu et vécu par la population.

Dans un autre registre, Francescato et Mebane (1973), ont procédé à la comparaison, à l’échelle métropolitaine, de l’image de deux villes historiques

135 italiennes, de Milan et de Rome. Ils concluent que les habitants sont sensibles aux différents aspects physiques de leurs villes respectives. Leurs représentations contenaient bien les éléments environnementaux et paysagers, les plus marqués de chacun de ces deux territoires, avec une prédominance des zones correspondant aux centres historiques. Mais là, les auteurs n’avancent pas d’hypothèse claire relativement à ce qui appuierait ce sens de distinctivité dans les deux villes.

Une autre étude, celle de Kaltenborn et Williams (2002), voit, la ville de Røros, petite ville située dans les montagnes Norvégiennes et incluse au patrimoine de l’humanité58 incluse dans leur aire d’étude du parc national de Femundsmarka.

Comme chez Francescato et Mebane (1973), l’aspect historicité est secondaire par rapport aux objectifs de l’étude qui compare l’attachement au lieu chez locaux et touristes.

Les résultats de Kaltenborn et Williams (2002), confortent l’idée que l’attachement aux valeurs naturelles et récréatives, sont plus importantes par rapports aux dimensions culturelles et historiques, ce qui concorde avec les résultats de Brown et Raymond (2007) et contredit les hypothèses de Graham et al.(2009), dans la mesure où la distinctivité des environnements historiques serait plus confortée par les paysages naturels qui les composent que par leur associations avec une quelconque dimension historique.

Mais, c’est Marchand (2005), en comparant la ville historique de Rennes à la ville côtière mais plus récente du Havre qui nous permet d’avancer certaines hypothèses par rapport à notre cas d’étude de Tipaza. En effet, l’auteur conclue que la représentation du Havre, est structurée, en grande partie, par la proximité de la mer et non par son centre ancien, qui par son plan orthogonal, son excentricité topologique, ainsi que de par le manque de points de repères structurants et d’ancrage historique casserait avec l’idée que les gens se font de ce qu’est une ville historique.

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136 Par ailleurs, la comparaison entre représentations d’une ville historique stratifiée versus une ville contenant des ruines archéologiques n’a à notre connaissance pas été abordée par la littérature. Instinctivement, Mollo et al. (2012) sentent que la gestion muséificatrice du fameux parc archéologique d’ Herculaneum, Naples59, le rend inconnu aux yeux de la population locale qui ressent une sorte de réticence à le fréquenter. A notre avis, et pour rejoindre l’idée de Marchand (2005), cela serait aussi due, du moins en partie, à l’excentricité de ce parc par rapport au centre historique, et donc vivant de Naples.