• Aucun résultat trouvé

Sens du lieu et planification positiviste : Du diagnostic aux aménagements

7. Sens du lieu et échelle d’investigation (khettab et Chabbi-Chemrouk, 2017)

8.3. Sens du lieu et planification positiviste : Du diagnostic aux aménagements

L’intégration du sens du lieu dans la planification urbaine relève de l’ingénierie environnementale. L’investigation de ses diverses composantes peut intervenir dans les différentes phases de planification.

D’abord, dans la connaissance du terrain à travers le diagnostic environnemental qui comprend, entre autres, les observations des comportements in-situ, mais aussi au niveau de l’audit socio-environnemental qui consiste en une enquête auprès des différents acteurs. En plus de fournir des éléments orientant la conception des projets d’aménagement, la prise en charge du sens du lieu peut aussi intervenir au niveau du bilan qui évalue l’impact socio-environnemental des politiques et des transformations du cadre bâti (évaluation post-occupationnelle par exemple) (Moser et Weiss, 2003) (voir schéma suivant).

Schéma 13 L’enquête sociologique dans la gestion environnementale

Diagnosctic environnemental Audit environnemental Conseil en aménagement Evaluation post-occupationnelle Connaissance du terrain Intervention Bilan

148 8.3.1. Diagnostic environnemental

8.3.1.1. Evaluation de la dimension perceptive

Outre l’identification de la structure urbaine perçue telle que définie par Lynch (1960) : Eléments de repères, les parcours, barrières, limites et quartiers, l’auteur, dans un travail ultérieur explique les méthodes possibles pour analyser la visibilité (Lynch, 1982).

Celle-ci peut se faire de différentes manières dont la plus évidente concerne l’identification des perspectives exceptionnelles (largeur et profondeur du champ visuel), notamment, à partir de certains lieux significatifs (voir carte suivante).

Figure 2 Un tracé de ce que l’on aperçoit de la porte Jaffa de Jérusalem

Source : Lynch, 1982, p. 140

Une autre technique d’analyse de la visibilité, est celle de diviser la ville en secteurs visibles et non visibles. Comme le montre la carte suivante, les zones A constituent les lignes de crêtes dominantes, les zones B les secteurs non visibles à partir des

149 points de vues importants, et enfin les zones C constituent des espaces ouverts visibles de quasiment partout.

Figure 3 Zones visibles et non visibles au niveau de Jérusalem

Source : Lynch (1982, p. 140)

La figure suivante, quant-à-elle, montre un exemple de la manière d’analyser un point de vue en montrant, par exemple, les édifices visibles à distances (points de repère, points focaux), ou encore, les constructions hors d’échelle (obstacles visuels, éléments incongrus). Ici, il s’agit de l’évaluation faite par un individu unique. Pour obtenir des évaluations croisées, il faudrait simplement superposer les différentes appréciations recueillies auprès de chaque personne enquêtée. Il est possible aussi de procéder de définir un groupe de discussion qui serait composé de représentants de la population locale et ce afin de construire une évaluation commune des principaux points de vue.

Il faudra, ensuite, reprendre sur une carte tous les éléments valorisants ou, au contraire dépréciatifs apparaissant lors de l’enquêtes.

150 Figure 4 Diagramme composite abstrait de la visibilité : les secteurs à partir desquels on aperçoit les éléments dominant le ciel de Jérusalem

Source : Lynch (1982, p. 138)

Figure 5 Analyse visuelle d’un point de vue donnant sur le site de Mansourah, Tlemcen

151 La technique inverse est aussi possible, c’est-à-dire, situer, sur une carte les endroits à partir desquels l’on aperçoit les éléments caractéristiques du lieu (collines et lignes de crêtes, mer et lignes de côte le plus souvent visible à partir des espaces publics) et même les vues vers un paysage environnant intéressant (voir figure précédente). La carte ci-après, quant-à-elle, analyse le rapport perceptif à l’environnement au-delà de la simple l’interaction visuelle pour englober le reste des sens. Celle-ci illustre, en effet, la manière de cartographier certains lieux entretenant, selon la population locale, des rapports étroits avec l’environnement : Les points précis à partir desquels on peut apercevoir les collines environnantes, sentir le fleuve ou se rendre compte de la pente.

Figure 6 Lieux mettant en scène un rapport particulier à l’environnement, Florence, Italie

Source : Lynch (1982, p.141)

Une telle carte peut être facilement obtenue à partir de la technique du parcours commenté ou de la dérive paysagère. Il suffit de noter sur une carte toutes les impressions liées à l’environnement que les sujets évoquent le long du parcours étudié.

152

8.3.1.2. Evaluation de la dimension comportementale

L’idée d’élaborer des cartes thématiques à partir d’enquêtes auprès des communautés locales avait déjà été adoptée par Lynch (1982). Outre l’analyse de la dimension perceptive, Lynch (1982) recommande de :

 Relever les obstacles aux déplacements réels ou ressenti, pas seulement en rapport aux personnes à mobilité réduite, mais aussi pour contrôler si les secteurs composant le paysage urbain « sont perçus comme accessibles ou barrés, ouverts ou fermés, libres ou contrôlés » (Lynch, 1982, p.23)

 Identifier les itinéraires préférés, les principaux points de convergences,

 Relever des endroits où il y a inadéquation des aménagements et les activités visibles qui s’y déroulent.

8.3.1.3. Evaluation de la dimension symbolique

La prise en compte de la structure symbolique du paysage urbain pourrait être introduite au niveau des instruments d’identification et du catalogage du patrimoine urbain et paysager. Nous présenterons brièvement l’exemple italien de la commune Monte Argentario (province de Grosseto – région Toscane) qui a été étudié au niveau de notre magistère.

La figure suivante présente, justement, la légende utilisée dans le catalogage des biens culturels de cette commune. Les éléments patrimoniaux sont regroupés par thèmes (paysage naturel, agricole, maritime, religieux…), et classés selon la force de leur charge symbolique. Cette dernière constitue, en plus de la permanence physique et fonctionnelle, l’un des critères d’évaluation du patrimoine historique (Clementi et Palazzo, 1993).

153 Figure 7 Légende capacité d’évocation symbolique, catalogage monte Argentario

Source : Clementi. A et Palazzo A.L. (1993, p.44)

L’évaluation de cette dimension symbolique est ainsi introduite dans la définition des degrés de permanences. Celles-ci peuvent se traduire aisément en un instrument de conservation urbaine. C’est justement la perspective adoptée par Levy et Spigai (1989), qui dans leurs hypothèses pour de nouveaux instruments d’urbanisme cherchent, grâce aux concepts de permanences et de transformabilité, une voie intermédiaire entre conservation et transformation.

Il faut juste souligner que la structure transformabilité n’est pas simplement inversement proportionnelle avec la structure de permanence, mais que celle-ci prend en compte bien d’autres paramètres : structure de conformation, structure

Univers de

la m ém oire Fort Faible Inexistant

Naturel Agricole Maritime Religieux Militaire Productif Communicationnel

154 fonctionnelle, aspects économiques… Selon nous, l’aspect symbolique est un autre paramètre à introduire pour permettre une prise de décision plus éclairée.

L’intérêt du classement par différents degrés de permanence est que cela se traduit aussi par différents niveaux de protection correspondant, de fait, à différents degrés de transformabilité. De cette manière, la cohérence entre instruments de conservation et de transformation est assurée.

8.3.2. Délimitation de zones homogènes

L’analyse visuelle proposée par Lynch (1960) peut aboutir à la délimitation d’aires visuellement reconnaissables. Mais aussi au classement de zones selon leur capacité d’absorption visuelle, c’est-à-dire, « selon leur aptitude à absorber des aménagements nouveaux sans marquer de changement visible, en raison de l’irrégularité de la topographie, de l’importance de la couverture végétale, ou de la grossièreté de l’échelle et de la diversité des constructions existantes » (Lynch, 1982, p.99). Cette notion, serait donc en rapport avec les possibilités de transformations du cadre bâti, ou ce que Levy et Spigai (1989) appellent la transformabilité.

Pour Bailly (1977), le sens du lieu peut aussi être lié à la planification à travers la délimitation d’unités homogènes vécues afin d’en identifier le caractère pour, ensuite pouvoir le préserver ou le créer. Considérant que les quartiers correspondent, en fait, à des zones où les gens se déplaceraient plus facilement, et qui son donc psychologiquement accessibles, il propose le découpage de la ville en secteurs correspondant, justement, à cette notion d’accessibilité.

C’est aussi ce que l’auteur essaye de faire à travers la technique de la dérive paysagère (Bailly, 1985). Il s’agit d’explorer la perception spontanée du paysage urbain en demandant à des personnes ne connaissant pas la ville (en l’occurrence des étudiants en géographie), de l’explorer en se laissant guider par leurs intuitions. Dans le même contexte, Caron et Cheylan (2005) ont présenté la technique du zonage à dire d’acteurs (ZADA) qui, outre la définition d’Unités Spatiales Homogènes (USH) veut atteindre plusieurs objectifs, entre autres de :

155  Définir et cartographier des éléments opérationnels pour la planification.  Produire une représentation partagée (spatiales et des actions à mener).  Traduire la connaissance locale en une représentation cartographique.  Elaborer un diagnostic du territoire, c’est-à-dire, définir et spatialiser les

enjeux et les stratégies. Discuter des projets de développements en assurant l’adhésion sociale, et en s’assurant de leur appropriation aux problèmes locaux.

En s’appuyant, aussi bien, sur des entretiens classiques que sur des « entretiens graphique », la ZADA se sert d’une base cartographique, non seulement, comme support à la négociation, mais aussi, pour représenter les connaissances locales. Cette démarche non-linéaire, s’appuie sur une succession de boucles de rétroactions où le protocole d’entretien s’ajuste en fonction des thématiques à éclaircir.

Enfin, il est à noter que cette technique a été expérimentée à plusieurs reprises, principalement dans planification municipale et régionale en zones rurales au Brésil, en Afrique du Sud, en Palestine Tunisie ainsi qu’en Polynésie.

8.3.3. Programmation urbaine

L’exemple de la Communauté urbaine de Lyon est illustratif de l’intégration des enquêtes sociologiques dans la maitrise d’ouvrage. En effet, les données recueillies sont traduites en un programme d’aménagement figurant dans le cahier de charges transmis au maitre d’œuvre (Voisin, 2001). Cette enquête comprend deux phases principales :

 Observation générale de l’état des lieux donnant lieu à une cartographie thématique illustrant les descriptions qualitatives.

 Observation ciblée plus centrée sur le lieu (structure de l’environnement physique, lieux significatifs pour la population) et axée sur les problématiques liées à l’aménagement urbain (influence sur le comportement de l’environnement physique, conflits entre utilisateurs en termes d’activités, sentiments d’insécurités…).

156 8.3.4. Aménagement basés sur une logique de territorialité

Traduire la composante perceptive en termes d’aménagement a déjà été initié par Lynch (1982). Malheureusement, les actions qu’il propose relèvent plus de la gouvernance urbaine que de la planification. Quand il propose des actions concrètes sur l’environnement physique, par exemple installation d’abris contre les intempéries, création d’un réseau de fontaines… ses propositions « gravitent autour du fonctionnement de notre organisme, de nos sens en particulier » (Lynch, 1982, p.19), il s’agit d’action qu’un planificateur sensible à l’aménagement qualitatif de l’espace peut entreprendre sans forcément recourir à une quelconque enquête auprès de la population.

Moser (2009) propose, pour sa part, que l’aménagement des espaces de proximité soit basé sur la notion de communauté de voisinage par :

 L’incitation des piétons à investir la voirie de voisinage afin de favoriser les interactions sociale et leur contrôle par la communauté. C’est-à-dire que la structure urbaine doit être pensée de façon à assurer la fluidité des déplacements et à maitriser mobilités douces et mobilité mécanique, ce qui devrait permettre l’appropriation par les riverains de l’espace public.

 La diversification les espaces et la programmation d’activités réparties à travers l’ensemble de l’environnement de voisinage pour améliorer les déplacements,

 La création de zones 30 pour réduire la vitesse des véhicules sans pour autant les exclure. Ces zones, en limitant la circulation des véhicules permettent aux riverains de contrôler le quartier en augmentant le sentiment de sécurité ce qui contribue à augmenter, à son tour, le sentiment d’appartenance.

Par ailleurs, l’enquête auprès de la population locale permet aussi d’évaluer aménagements réalisés en confrontant attentes de la population (volontés initiales) et utilisation réelle de l’espace en contrôlant le niveau de satisfaction. C’est justement le cas au niveau de la Communauté urbaine de Lyon (Voisin, 2001).

157 8.3.5. Monitoring : Indicateurs et tableaux de bord

L’investigation du sens du lieu peut aussi être introduite dans les outils d’évaluation, notamment de la qualité de vie et de la satisfaction avec l’environnement. L’objectif de tels instruments de mesure est de comparer, dans le temps, l’évolution des différents paramètres de bien-être en milieu urbain mais aussi de situer une ville particulière par rapports à d’autres, constituant à ce titre un véritable outil de veille urbaine (Sénécal et al., 2008).

En traitant de l’évolution des tableaux de bord métropolitains canadiens, Sénécal et

al. (2008) expliquent que la tendance est, justement, à l’intégration des perspectives