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Conceptualisation du lieu

Pour mettre en ordre le flou conceptuel que connait la notion de lieu, Stedman (2003a), rappelons-le, a identifié, trois modèles de définition :

113  Modèle médiateur de significations

La relation à l’environnement n’est pas directe, les significations sont influencées par les attributs de l’environnement physique pour être ensuite associées à des évaluations telles que l’attachement.

 Modèle expérientiel

Dans lequel c’est les expériences antécédentes qui peuvent constituer des filtres permettant l’attribution des significations. L’environnement favorise ou contraint, par ses caractéristiques, certaines expériences, qui, elles-mêmes, façonnent les significations. C’est-à-dire que les comportements, ou les modes d'interaction ; ceux d’un fermier, d’un chasseur, ou d’un promoteur immobilier… vont influencer la perception de chacun.

 Modèle effets directs ou Genius Loci

Dans ce modèle la relation entre l’environnement et le sens du lieu est directe. Ce qui revient à dire que les ambiances urbaines sont perçues par tous de la même façon.

Or, si nous reprenons les quatre approches d’évaluation des paysages (selon leur outcomes) établis par Taylor et al. (1983), à savoir les paradigmes de l’expert, psychophysique, cognitif et expérientiel, nous pourrions considérer que les évaluations par experts et selon le paradigme psychophysique renvoient à un rapport directe entre caractéristiques physiques et production d’un sens du lieu. Concernant la distinction entre paradigme cognitif et expérientiel, celle-ci permettrait, non seulement, de séparer, comme le fait Stedman (2003a) le niveau attribution de signification de l’expérience plus globale du lieu. Mais au-delà, il s’agit pour Taylor et

al. (1983), à l’instar de Shamai (1991), de distinguer entre approche positiviste et non

positiviste.

Ce raisonnement nous permet de proposer, à notre tour, quatre niveaux successifs de conceptualisations à la notion de lieu :

 Le lieu comme Genius loci ;  Le lieu comme caractère ;

114  Le lieu comme support de significations ;

 Le lieu comme expérience holistique.

1.1. Le lieu comme Genius loci et paradigme de l’expert

Pour Von Meiss (1993, p.148), le lieu est un ancrage spatio-temporel. Il considère ainsi que « le lieu, l’espace et le temps prennent une valeur précise, unique ; ils cessent d’être abstraction mathématique ou sujet d’esthétique ; ils acquièrent une identité et deviennent une référence pour notre existence» (Von Meiss, p.147). Seamon (1982, p.130) semble partager cette opinion, dans la mesure où, selon lui, « le lieu ne fait pas référence uniquement à la situation géographique, mais aussi au caractère essentiel d'un site qui le rend différent des autres endroits. Le lieu, dans ce sens, est la manière dont les dimensions du paysage se réunissent en un endroit pour produire un environnement distinct et un sens particulier de la localité ».

Norberg-Schulz (1980) emploie plutôt le terme de "genius loci". Le terme tire son origine d’une croyance romaine qui veut qu’un esprit gardien accompagne personnes et lieux et leur donne leurs caractères ou leurs essences Norberg-Schulz (1976). Pour lui, genius loci serait constitué des dimensions physiques et symboliques. Cette référence au niveau signification est partagée par Von Meiss (1993).

L'idée qui se dégage de cette tendance est que les lieux peuvent être activement conçus de façon à produire un sens du lieu plus prononcé avec lequel les gens peuvent s'identifier (Graham et al. 2009). Même s’ils reconnaissent l’existence de significations socioculturelles associées aux lieux, il ne s’agit nullement, pour ces auteurs d’investiguer ce niveau mais plutôt de concevoir des lieux qui permettent la construction de ces significations. L’investigation est plutôt tournée vers l’analyse, par des spécialistes, des caractéristiques physiques des lieux. En effet, Von Meiss et Norberg Schultz sont tous deux architectes.

1.2. Le lieu comme caractère et paradigme psychophysique

Quant-à la notion de « caractère », celle-ci est moins répandue dans la littérature, Green (1999) néanmoins, préfère ce terme. Il explique que « bien que l'on suppose

115 que les caractéristiques environnementales et significations associées au caractère de ville vont inévitablement varier entre les communautés, les cultures et les lieux, il a été estimé qu'il peut exister des points communs en ce qui concerne les dimensions relatives à la réponse humaine, les types généraux des caractéristiques environnementales impliquées, et les relations entre les significations et les caractéristiques qui peuvent suggérer des généralisations analytiques transférables à d'autres endroits. En outre, l'approche méthodologique est directement transférable à d'autres localités » (Green, 1999, p.314). Cette approche pourrait être qualifiée de psychophysique (behavioriste) dans la mesure où, comme Von Meiss (1993) et Norberg Schultz (1973 ; 1980), l’auteur pense qu’il existe un lien direct entre caractéristiques physiques et significations, mais contrairement à eux, l’investigation chez Green (1999) est réalisée auprès de la population.

1.3. Le lieu comme support de signification et paradigme

sociocognitif

Menin (2004) et Bailly (1977) défendent l’idée que le lieu serait à la fois, une construction matérielle et une construction de l’esprit. Altman et Low (2012) soulignent que le lieu peut donc être un médium ou un milieu supportant une variété d'expériences de vie, qui est au cœur de ces expériences et qui en est inséparable. Le sens du lieu serait dans cette perspective « une identité forgée à partir des symboles, expériences et significations partagés et qui proviennent du fait de vivre dans un seul lieu » (Hanson, 1997, p.11).

Cette conception met l’accent sur la manière dont les gens perçoivent, comprennent et utilisent l’environnement. En effet, « beaucoup de gens entretiennent une profonde relation avec leur milieux où ils vivent, travaillent et jouent. Cette relation est connue comme le sens du lieu, un construit théorique englobant les significations, les expériences, les comportements et les identités que les gens attribuent à certains espaces géographiques» (Benoni, 2007, p.iii). Le sens du lieu est généralement conceptualisé comme une attitude multidimensionnelle envers une unité environnementale, comprenant attachement au lieu, dépendance au lieu et, identité

116 du lieu. Mais d’autres notions telles que : Satisfaction du lieu, enracinement, appartenance, … relèvent aussi du sens du lieu.

Cependant, « le sens du lieu est plus qu'un simple ensemble de significations qu’elles soient socialement construites ou basées sur le paysage. Il consiste également en des évaluations, qui sont des jugements que les gens portent à l'égard de lieux particuliers. Les évaluations sont organisées en termes d’attachement au lieu, de dépendance au lieu, l'identité du lieu, et de la satisfaction vis-à-vis du lieu » (Benoni, 2007, p.4).

1.4. Lieu comme expérience holistique et paradigme

phénoménologique

Dés les années 70, Tuan, Relph et Canter distinguent, dans leurs travaux, devenus des classiques, entre espace abstrait et lieu doté de significations. Mais au-delà des significations l’accent est mis sur le caractère holistique de l’expérience du lieu qui est approché de manière phénoménologique. « Topophilia » de Tuan (1974) est cité plus de 700 fois dans son édition originelle. Celui-ci a été réédité en 2013 sous le titre de « Topophilia: A study of environmental perceptions, attitudes, and values », et dans cette édition, il a été cité plus de 3900 fois, ce qui montre encore toute l’actualité de ses propos. En plus de cet ouvrage de référence, Tuan a écrit plusieurs articles, notamment, celui intitulé « Place : An experiential perspective » (Tuan, 1975), cité plus de 570 fois, ainsi que « Space and place : The perspective of experience» (1977) cité plus de 7100 fois. Relph, quant-à lui est surtout connu pour son ouvrage « Place and placelessness », publié en 1976 cité environ 6100 fois. Une année après, soit en 1977, c’est autour de Canter de publier son ouvrage traitant de la psychologie du lieu et qui a été cité plus de 1200 fois54.

Nous pensons qu’il ne s’agit pas tant d’une divergence de conceptualisation avec le paradigme sociocognitif mais plutôt d’une différence de méthodes. Là où le courant sociocognitif cherche à standardiser les outils d’investigation pour tirer des données

54

117 valides, les tenants du courant phénoménologique emploient des méthodes descriptives produisant des données non généralisables. Nous allons jusqu’à essayer de démontrer, dans ce qui suit, qu’il existe une relation de filiation entre les deux.