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Dimensionnalité du sens du lieu

3.1. Hypothèse unidimensionnelle

Shamai (1991) commence par opérationnaliser théoriquement le sens du lieu sous la forme d’un continuum de sept échelles correspondant aux différentes étapes d’attachement allant de (1) la reconnaissance d’appartenir à un lieu, (2) pas de sentiments particuliers, (3) appartenance, (4) attachement ou affection, (5) identification, (6) engagement, et (7) prédisposition de se sacrifier pour un lieu. Du point de vue pratique, l’auteur finit par réduire cette échelle à seulement quatre catégories : les deux sentiments extrêmes n’étant pas pertinent (par rapport au cas d’étude, le Canada) alors que le degré identification portait à confusion au sein de la population investiguée.

Cette échelle a inspiré bon nombre d’auteurs, et notamment, Kaltenborn (1998, p.177) qui reconnait pourtant la nature multidimensionnelle et complexe du sens du lieu mais préfère l’utilisation d’un outil de mesure simple, d’abord parce que son objectif n’est pas d’étudier le sens du lieu en tant que tel (dimensionnalité, mesure…) mais l’effet de celui-ci sur le comportement. L’auteur ne manque pas de souligner que son travail manque volontairement d’ancrage théorique.

En dépit du fait que Bonaiuto et al. (1999) reconnaissent, du point de vue théorique, le caractère multidimensionnel de l’attachement, ils proposent, cependant, une

120 échelle mesurant un concept unidimensionnel pour l’attachement au voisinage à travers six items :

 C’est le voisinage idéal pour vivre.

 Maintenant ce voisinage fait partie de moi.

 Il y a des lieux dans le voisinage auxquels je suis émotionnellement très attaché.

 Ce serait très difficile pour moi de quitter ce voisinage.  Je quitterai volontiers ce voisinage.

 Je ne quitterai pas volontiers ce voisinage pour un autre.

Lewicka (2008) propose, quant-à-elle, une échelle de 9 items pour la mesure de l’attachement du lieu :

 Je connais très bien ce lieu.

 Je le défends quand quelqu’un le critique.  Il me manque quand je n’y suis pas.  Je n’aime pas ce lieu.

 Je me sens en sécurité ici.  Je suis fier de ce lieu.  Il fait partie de moi.

 Je n’ai aucune influence sur ce qui s’y passe.  Je veux être impliqué dans ce qui s’y passe.  Je quitte ce lieu avec plaisir.

 Je n’aimerai pas déménager d’ici.  Je suis enraciné ici.

Pareillement, d’autres auteurs comme Hidalgo et Hernandez (2001) ou encore Hernandez et al. (2007) utilisent des échelles unidimensionnelles pour mesurer l’attachement au lieu.

Cuba et Hummon (1993) étudient l’identité du lieu comme l’expression du fait d’être chez soi et ont développé une échelle mesurant son existence (le fait de se sentir chez soi) ses affiliations (les raisons pour lesquelles l’on se sent chez soi) et son

121 locus (sentiment d’être chez soi associé avec l’habitation, la communauté et/ ou la région).

3.2. Hypothèse bidimensionnelle

Sur la base d’un premier travail par Williams et Roggenbuck (1989), Williams et Vaske (2003) ont testé et validé une échelle de mesure de l’attachement, considéré comme le concept générique explicitant les relations de l’homme avec l’environnement. L’attachement serait selon eux, composé de deux sous-concepts : Identité et dépendance au lieu. Comme cette échelle a été validé sur différents sites et à différentes échelles territoriales, et que les auteurs affirment que celle-ci est généralisable, nous l’avons adopté pour l’investigation de la dimension affective à Tipaza.

Dans leurs premiers travaux concernant la mesure de l’attachement aux lieux de loisirs, Williams et Roggenbuck (1989) expliquent que l’attachement aux lieux de récréation est un une évaluation recouvrant aussi bien les significations fonctionnelles que les significations émotionnelle/ ou symbolique. Ils assimilent la première composante au concept de dépendance au lieu étudié par Stokols et Schumakers (1981), dans leurs travaux si influents où le concept de dépendance correspond à la perception d’un environnement donné comme supportant les objectifs comportementaux des individus. Quant au deuxième niveau de significations, celui-ci réfère à l’importance accordée à l’environnement à cause de ce qu’il symbolise et qui correspond chez ces auteurs à ce que Proshansky et al. (1983) qualifiaient d’identité du lieu.

Dans un travail non publié, Williams (2000) présente les deux échelles qu’il a utilisées pour mesurer ces différents paramètres : Lickert (en 5 points) et Guttman. Ici, l’auteur explique qu’il y a des preuves probantes que celles-ci puissent être applicables à d’autres types de sites (voir tableau suivant). En effet, en examinant la littérature sur laquelle il s’est basé, celle-ci ayant souvent trait à la littérature plus générale relative au rapport homme/environnement.

122 Tableau 9 Items évaluant l’attachement au lieu selon Williams (2000)

Identité Je sens que [ce lieu] fait partie de moi.

Dépendance [Ce lieu] est le meilleur endroit pour ce que j’aime faire.

Identité [Ce lieu] est très spécial pour moi.

Dépendance Aucun autre lieu n’est comparable à ce lieu]

Identité Je m’identifie fortement ave [ce lieu]

Dépendance J’ai plus de satisfaction à visiter [ce lieu] que de visiter n’importe quel

autre [lieu]

Identité Je suis très attaché à [ce lieu]

Dépendance Faire ce que je fais [ici] est plus important pour moi que de le faire

n’importe quel autre endroit

Identité Visiter [ce lieu] en dit long sur qui je suis

Dépendance Je m’amuserai des choses que je fais [ici] tout autant dans un autre site

Identité [Ce lieu] veut dire beaucoup pour moi

Dépendance Je ne remplacerai aucun autre endroit pour faire les choses que je fais

[ici]

N.B : Les mots entre crochets sont remplacés par le nom du lieu en question

En plus d’étudier les attachents des touristes et des résidents, Kaltenborn et Williams (2002) comparent le point de vue de ces deux catégories en regard aux priorités de la gestion du parc national de Femundsmarka (Norvège) (voir tableau suivant).

Tableau 10 Priorités de gestion proposée par Kaltenborn et Williams (2002)  Protection des monuments culturels

 Protection des paysages scéniques  Protection des paysages culturels

 Soutenir les paysages agricoles activement utilisés  Protéger la diversité génétique / ressources

 Faciliter la chasse, la pêche et les loisirs de plein air  Faciliter le tourisme commercial

 Maintenir / protéger les écosystèmes dans leur état naturel  Protéger la nature sauvage et la nature ouverte

 Protéger les anciennes pratiques d'utilisation des terres et de récolte  Faciliter la recherche et l'éducation

L’intéressant est que cette région recouvre, comme dans notre cas d’étude, différents types de paysages. A coté du paysage naturel et agraire, se trouve en effet une ville minière historique inscrite au patrimoine mondial. La méthode d’évaluation du sens du lieu qu’ils ont mis en place a été ainsi testée dans ce contexte particulier. C’est ce qui a conforté dans notre conviction d’adopter cette échelle de mesure dans notre cas d’étude.

123 Cette échelle bidimensionnelle crée par Williams et son équipe a souvent été utilisée par d’autres chercheurs. Par exemple, Kyle et al.(2004) ont repris l’échelle de Williams et Roggenbuck (1989) pour étudier l’influence de l’attachement sur la perception des conditions sociales et environnementales alors que Brown et Raymond (2007) ont repris la version la plus récente de Williams et Vaske (2003) pour examiner les relations entre attachement et valeurs paysagères.

D’autres échelles de mesure bidimensionnelles existent mais jouissent d’une notoriété moindre. C’est le cas d’Hidalgo et Hernández (2001) qui distinguent entre dimension sociale et physique de l’attachement. L’attachement est donc pour eux bidimensionnel. Dans une recherche ultérieure, Hernández et al. (2007) reprennent cette distinction pour comparer attachement et identité du lieu.

3.3. Hypothèse multidimensionnelle

Lalli(1992) définit l’identité urbaine à travers cinq sous-concepts :

 Evaluation : Cette composante concerne le caractère perçu de la ville.

 Attachement général : mesure le sentiment d’être chez soi dans la ville. Celui-ci correspond pour l’auteur au sentiment d’appartenance ou à l’enraCelui-cinement.  Continuité avec son histoire personnelle : permet d’évaluer le rapport présumé

entre environnement urbain et expériences personnelles (sa biographie).  perception de la familiarité : C’est l’expression d’un bon sens de l’orientation

ainsi que le résultat des expériences quotidiennes de la ville.

 Engagement : Exprime la signification perçue de la ville dans l’avenir des personnes (envie de rester).

C’est sur la base de cette échelle que Félonneau (2004) construit son échelle d’identité topologique (Topological Identity Scale) qui mesure quatre dimensions: L’évaluation externe, attachement général, engagement, et identification sociale. McAndrew (1998) étudie l’enracinement qui reflète selon lui l’attachement à un lieu particulier qu’il conceptualise à travers deux sous-échelles : Le désir de changement

124 et la satisfaction en rapport avec la famille/chez soi. L’échelle qu’il propose est composée de dix items exprimant diffèrent degrés d’attachement.

Pour tester la dimensionnalité de l’attachement aux lieux de récréation, Kyle et al. (2005) ont repris l’échelle bidimensionnelle de Williams et Roggenbuck (1989), à laquelle ils ont rajouté une troisième sous-échelle mesurant les relations sociales. Hammitt et al. (2006) parlent, plus généralement, des relations aux lieux récréatifs (place bonding) pour lesquelles ils développent une échelle de mesure de cinq dimensions : Familiarité avec le lieu, appartenance, Identité, dépendance, et enracinement.

Jorgensen and Stedman (2001) testent la dimensionnalité du sens du lieu et concluent qu’il exprime des relations cognitive, conative et affective avec l’environnement. Chacun de ces niveaux se traduit, respectivement par l’identité, la dépendance, et l’attachement au lieu. Cette conceptualisation a été reprise dans leurs travaux ultérieurs (Jorgensen et Stedman, 2006), et entre autres par Scannell et Gifford (2010) qui, dans un article de synthèse, définissent l’attachement au lieu comme affect, cognition et comportement.