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L’École française d’Analyse du Discours

II. Fonction, composition et configuration des recensions

II.1.1. Théories de la fonction textuelle

II.1.1.1.

Premières approches : le texte en usage

Dès les premières tentatives de classification de genres, l’idée de fonction textuelle est au cœur des préoccupations. La taxonomie élaborée par C. Morris propose déjà de différencier des types de discours sur la base de principes sémiotiques :

A classification of types of discourse made in terms of basic semiotical principles can take several possible directions. Distinctions might be sought solely in terms of the modes of signifying, or solely in terms of the uses of sign complexes, or in term of mode and use jointly (Morris 1950 : 123).

Les types de discours sont considérés comme le résultat d’une spécialisation du langage commun au fil du temps161. Une distinction peut être opérée en termes de modes de significations ou en termes d’emplois des signes linguistiques. Mais c’est en combinant ces deux paramètres que sont définis seize types de discours, représentés dans le tableau ci- dessous.

161 “In the course of time various specializations of this common language have appeared in order that certain

purposes may be more adequately met. Such specializations of language will be called types of discourse” (Morris 1950 : 123).

Tableau 7 : Taxonomie des principaux types de discours chez Charles Morris (1950 : 125)

Informative Valuative Incitive Systemic Designative Scientific Fictive Legal Cosmological

Appraisive Mythical Poetic Moral Critical

Prescriptive Technological Political Religious Propagandistic

Formative Logico-

mathematical Rhetorical Grammatical Metaphysical

Ainsi, un discours scientifique désigne les propriétés des objets (Designative) et doit convaincre de sa véracité (Informative). Dans cette taxonomie, le discours critique signifie le statut de préférence d’un objet (Appraisive) et se définit par la manière dont il organise de façon systématique des appréciations spécifiques (Systemic)162. La démarche de C. Morris est d’ordre sémiotique dans la mesure où elle croise des modes de significations et des fonctions. Elle est, par la suite, imitée par les premières tentatives de classifications en linguistique textuelle. De fait, H. Glinz (1970) esquisse sept groupes de textes qu’il détermine selon leur usage :

Tableau 8 : Classement des textes selon leur usage chez H. Glinz (1970 : 176)

Gebrauch Textsorte

Texte, auf die man sich berufen kann, die man einklagen kann Verträge, Gesetze,

Verordnungen Texte, durch die jemand bei einem anderen etwas zu seinem

eigenen Vorteil erreichen will

Bitte, Gerichtsrede,

Werbung Texte, die den Benützer befähigen sollen, sich ein Wissen oder

Können anzueignen

Lehrbücher, Anleitungen

Texte, die einfach Informationen speichern Notizzettel, Telefonbuch

Texten die eine Information (sachlich oder personal) einem bestimmten Adressaten mitteilen sollen

Briefe, Berichte Texte, die sachliche (auf Faktizität gerichtete, an ihr nachprüfbare)

Information für beliebige Benützer bieten

Sachbücher Texte (für beliebige Benützer), die nicht auf Nachprüfung an

Faktizität angelegt sind, sondern die man zur personalen Erweiterung oder auch zur Spannung und Entspannung liest

sog. ‚schöne Literatur’

162 “A person asks his friend to criticize a manuscript. What he expects is an appraisal of the manuscript as a

whole which is defended by the systematic organization of specific appraisals. We will call discourse critical in a slightly narrower sense than is usual: namely, when it is systematically appraisive of appraisals” (Morris 1950 : 140).

Cette classification repose effectivement sur l’idée de fonction. Ainsi, le genre publicitaire sert à obtenir un avantage, un profit auprès de quelqu’un tandis que le genre littéraire sert au développement personnel ou à la détente. Cependant, pour certaines catégories, la fonction à proprement parler est la même, c’est la situation des textes en usage qui change. Par exemple, la lettre ou l’ouvrage spécialisé ont tous les deux pour fonction de transmettre une information. Mais l’usage qui est fait de la lettre peut être personnel ou factuel et elle est généralement adressée à un destinataire en particulier. L’ouvrage spécialisé n’a, en revanche, pour objet que des données factuelles et il s’adresse à un public plus large. Cette classification en groupe de textes est comparable à celle proposée par B. Sowinski (1973) qui dénombre, quant à lui, neuf groupes de textes.

Tableau 9 : Classification des formes par B. Sowinski (1973 : 333-353)

Stilform Textsorte

brieflich-mitteilende Formen

Brief, Werbebrief, Angebot, Reklamation und Beschwerde, Mahnung, Bewerbungsschreiben, Antrag

berichtende Formen Protokoll, Redeprotokoll, Verlaufs-, Ergebnisprotokoll, Aktennotiz, Niederschrift, Kommuniqué, Vorgangsmeldung, Umfallmeldung, Tätigkeitsbericht, Zeitungsbericht, Lebenslauf

beschreibende

Formen Bildbeschreibung, Gegenstandsbeschreibung, Vorgangsbeschreibung, Verhaltens- und Tätigkeitsbeschreibung, Charakteristik,

Personengutachten, Inhaltsangabe, Exzerpt, Referat,

Buchbesprechung, Klappentext, Prospekt

erläuternde Texte Kommentar, Ereigniskommentar, Interpretation, Essay,

bindende Texte Vertrag, Versprechen

ansprechende Texte Werbeaufforderungen, Gebrauchsanweisung, Verhaltensvorschrift, Gesetze und Verordnungen, Aufrufe, Lobrede

erörternde Texte Erörterung und Problemaufsatz, Begriffserklärung, Untersuchung

schildernde Texte Erlebniserzählung, Tagebuch, Nacherzählung und

Geschehensschilderung, Naturschilderung und

Gegenstandsschilderung, Stimmungsbild, Reportage, Sportreportage

Mischformen Neben diesen Stilformen gibt es eine Reihe von Textsorten, die durch

Kombinationen von mehreren der hier genannten Darstellungsweisen bestimmt sind. Mischformen finden sich beispielsweise in

Presseberichten, Kommentaren, Reportagen, Werbetexten,

Abhandlungen o.ä.

Outre le fait que B. Sowinski intègre un plus grand nombre de genres textuels dans sa classification, il est important de noter qu’il ne parle pas d’usage, mais de formes stylistiques. Pour lui, les genres textuels sont des formes stylistiques complexes qui se caractérisent par

leur contenu, mais également par une combinaison récurrente de moyens stylistiques163. La notion de forme stylistique incite à adopter une perspective plutôt interne au texte. Mais derrière cette formulation, on retrouve également – hormis pour la première catégorie qui regroupe des textes en fonction du support de communication qu’est la lettre – l’idée de fonction. Effectivement, il s’agit de textes qui servent à rendre compte, à décrire, à expliquer, à relier, à interpeler, à débattre ou à raconter. Cette classification de formes présente également la particularité de rester ouverte – à moins de voir dans cette particularité l’échec d’une classification exhaustive – puisqu’il existe la catégorie des formes mixtes (Mischformen) que l’on trouve de façon privilégiée dans les textes de presse. D’après la classification de B. Sowinski, la recension est dans le groupe des textes descriptifs, mais il est envisageable de classer la recension journalistique dans la catégorie des formes mixtes. La question reste de savoir comment appréhender ces formes hybrides. D’après B. Sowinski (1973 : 353), certaines combinaisons sont impossibles, comme celle de textes servant à s’engager (comme le contrat, la promesse) et de textes narratifs. En revanche, d’autres combinaisons sont beaucoup plus fréquentes comme celles mêlant la narration et la description. Dans ce cas, une étude quantitative portant sur la fréquence et l’intégration des différentes composantes d’un texte est nécessaire pour appréhender les formes stylistiques complexes que sont les genres textuels (Sowinski 1973 : 353). Par sa nature complexe, la recension fait partie des formes textuelles qui demandent la maîtrise des formes textuelles simples. Dans la classification pourtant plus restreinte de H. Belke, la place de la recension journalistique n’est pas non plus indiscutable.

Tableau 10 : Les quatre groupes de textes selon H. Belke (1974 : 324)

Gebrauch Textsorte

Texte privaten Gebrauchs Brief, Tagebuch, Autobiographie, Memoiren

Wissenschaftliche Gebrauchstexte Traktat, Abhandlung, Aufsatz, Essay, Monographie,

Biographie, Rezension, Kommentar, Protokoll

Didaktische Gebrauchstexte Nachricht, Predigt, Vortrag, Vorlesung, Referat –

Sachbuch, Schulbuch – Formen des Schulaufsatzes

Publizistische Gebrauchstexte Nachricht, Bulletin, Chronik – Bericht, Reportage,

Interview – Leitartikel, Entrefilet, Glosse, Column, Feuilleton – Flugblatt, Flugschrift, Pamphlet, Anzeige [Inserat, Annonce], politische und kommerzielle Werbetexte

163 „Die Analogien zwischen der Gruppe der Stilzüge und der gattungskonstituierenden ‚Tönepoetik’

unterstrichen die Möglichkeit, Gattungen oder, wie es heute allgemeiner heißt, Textsorten als Stilformen aufzufassen, als textliche Einheiten, die außer durch ihren Inhalt durch die Art und Kombination der stilistischen Mittel bedingt sind“ (Sowinski 1973 : 332).

Cette classification concerne les textes non-littéraires, à savoir les textes qui ne constituent pas en eux-mêmes leur propre objet, mais qui se servent de la langue pour des usages qui leurs sont extérieurs164. Le découpage proposé par H. Belke se fait en termes d’objet et de domaine d’application (privé, scientifique, didactique et médiatique). Au sein de chacun de ces groupes, il est possible, dans un second temps, d’opérer des différenciations à partir de la fonction et du destinataire165. Si l’on s’en tient au premier niveau du classement, celui de l’objet et du domaine d’application, la recension est à la fois un genre qui apparaît dans les domaines scientifique et médiatique. Et lorsque l’on s’intéresse au second niveau du classement, la recension n’apparaît pas en tant que telle. On peut néanmoins l’associer, dans le domaine scientifique, au genre du commentaire, hérité selon H. Belke du droit et des sciences humaines. Le commentaire a pour fonction de servir à la compréhension d’un texte166. Dans le domaine médiatique, ce qui se rapproche le plus de la recension est le

Feuilleton. Le Feuilleton est à la fois une rubrique journalistique dont la fonction est de

commenter l’actualité culturelle et un genre médiatique à part entière présent dans cette rubrique167. C’est la première définition du Feuilleton qui est intéressante, dans la mesure où

elle l’apparente au commentaire. Le commentaire scientifique et le commentaire culturel ont en commun leur fonction, mais aucune comparaison n’est possible dans la classification de H. Belke en raison de la séparation faite entre les différents domaines d’application. Le commentaire culturel présente en outre la particularité d’être déclinable en différentes formes : l’interview, l’éditorial, la glose… À cela s’ajoute le fait que ces formes sont, d’après H. Belke, des formes d’emprunts168, qui connaissent une vie parallèle dans le domaine littéraire :

164 „Unter Gebrauchstexten werden im folgenden solche Texte verstanden, die nicht, wie poetische Texte, ihren

Gegenstand selbst konstituieren, sondern die primär durch außerhalb ihrer selbst liegende Zwecke bestimmt werden. Gebrauchstexte dienen der Sprache, von der sie handeln; sie sind auf einen bestimmten Rezipientenkreis ausgerichtet und wollen informieren, belehren, unterhalten, kritisieren, überzeugen, überreden oder agieren“ (Belke 1974 : 320).

165 „Ausgehend vom Gegenstands- bzw. Verwendungsbereich lassen sich folgende vier größere Textgruppen

unterscheiden, die ihrerseits nach Zweck und Adressat zu differenzieren sind“ (Belke 1974 : 324).

166 Cette définition du commentaire n’est pas sans faire penser à l’acception du terme critique dans l’expression édition critique : „Eine althergebrachte Gebrauchsform der Rechts- und Geisteswissenschaft ist der Kommentar,

der durch fortlaufende sprachliche und sachliche Erläuterungen dem Verständnis eines Textes dient“ (Belke 1974 : 330).

167 „Im kulturellen Bereich übernimmt das Feuilleton die Aufgabe der Kommentierung. Der Begriff ‚Feuilleton’

bezeichnet einmal den Unterhaltungs- bzw. Kulturteil einer Zeitung, zum anderen ein genuin publizistisches Genre innerhalb dieser Sparte“ (Belke 1974 : 338).

168 On trouve déjà cette idée d’emprunt dans le manuel de W. Haacke (1952). Le journalisme aurait au moment

de sa création emprunté des formes déjà existantes dans la littérature : „Alle Gattungen und Formen, aus denen sich das Feuilleton zusammensetzt, gleichgültig darum, ob es der modernen Zeitung oder der populären Zeitschrift dient, sind Entlehnungen. Der Journalismus hat sie unter freiem Zugriff einfach der Literatur entnommen. Roman und Novelle, Fabel und Märchen, Epigramm und Essay, Aphorismus und Anekdote, Brief und Gespräch waren längst entwickelte, klar voneinander unterscheidbare Formen poetischer Ausdrucksweise, als eine Presse im heutigen Sinne noch nicht geboren war“ (Haacke 1952 : 133).

Das Feuilleton als Zeitungsteil enthält eine Fülle von Textformen, unter denen sich Gebrauchsformen finden, die auch in anderen Sparten verwendet werden, z. B. Kommentar, Column, Glosse, Interview. Die meisten der in der Feuilleton-Sparte angesiedelten Textformen sind jedoch nicht ursprünglich und ausschließlich durch ihren okkasionellen Gebrauchswert bestimmt. Sie führen außerhalb des Feuilleton-Ressorts ein literarisches Eigenleben (Belke 1974 : 338).

L’approche de H. Belke permet donc de s’interroger sur la nature potentiellement hybride de la recension qui serait à l’origine une forme littéraire qui aurait à présent le statut d’une forme d’emprunt dans une situation de communication nouvelle. Toutefois, cette hypothèse remet en cause le cloisonnement entre textes littéraires et textes non-littéraires sur lequel repose pourtant le classement de H. Belke. Il existerait des formes littéraires fonctionnelles, qui ne constituent pas leur propre objet.

De manière générale, l’intérêt de ces premières approches est d’envisager le texte en usage. La notion d’usage permet de prendre en considération à la fois la fonction, mais également le(s) destinataire(s), la nature ou le support de la communication pour établir un regroupement de textes. Cependant, force est de constater que la notion de fonction n’est pas conceptualisée, elle n’est qu’une composante de l’usage. Or, l’absence de conceptualisation de la fonction et de son rôle dans la classification des textes ne permet pas une analyse fine et systématique des genres de textes.

II.1.1.2.

La fonction textuelle : une constellation