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l’évolution de la critique

I.2. Bref état de la recherche

I.2.2. Perspectives linguistiques

La critique suscite un intérêt dans différents domaines de recherche comme ceux de la sociologie ou des études littéraires. Ainsi, elle ne semble pas rattachée de façon privilégiée et exclusive à une discipline. Plus notablement, son statut d’objet d’étude pour la linguistique ne va pas de soi et il convient ici de présenter l’intérêt qu’elle peut représenter pour le linguiste, certains travaux qui lui sont dédiés ainsi que les problématiques récurrentes qui lui sont liées.

I.2.2.1.

La recension scientifique

Parmi les travaux récents consacrés à la recension germanophone, on compte notamment la thèse de S. Adam (2007) portant sur les recensions scientifiques germanophones. Elle part du constat qu’une lecture superficielle permet de façon empirique d’identifier des invariants, des structures codifiées de la recension, mais que cette impression se heurte par ailleurs à une grande diversité des textes, qui empêche de dégager un schéma général unique sous-jacent à la totalité des textes en question. Aussi s’interroge-t-elle sur les facteurs expliquant la diversité des formes, sur la plus ou moins grande prototypicité des recensions et sur les spécificités structurelles et formelles de la recension scientifique qui permettent d’en faire un genre textuel à part entière. Pour résoudre le premier écueil d’un genre codifié mais diversifié, S. Adam considère la recension comme un genre défini par deux types de paramètres : d’une part, des paramètres stables et valables pour tous les représentants du genre ; d’autre part, des paramètres variables, à l’origine de la diversité des formes de réalisations du genre (Adam 2007 : 8).

Les travaux de S. Adam sont consacrés à la recension scientifique, genre qu’elle considère comme différent de la recension journalistique. Elle distingue, en effet, la Kunstrezension, la recension d’art, de la wissenschaftliche Rezension, la recension scientifique : ces deux types de recensions sont souvent considérés comme deux sous-types d’un même genre, le premier sous-type faisant figure d’archétype de la recension (Adam 2007 : 19). Ces deux sous-types participent certes de la même démarche, mais le genre ne peut se définir par le seul critère de la fonction textuelle. En ce qui concerne les travaux de S. Adam, tels sont les paramètres retenus (Adam 2007 : 10) :

• l’ancrage institutionnel

• la situation de production et son matériau de réalisation • l’intention communicationnelle

• la configuration énonciative • l’organisation formelle • le contenu thématique

Il en résulte que la recension scientifique a peu de paramètres communs avec la recension d’art. Et, au sein des recensions scientifiques, S. Adam constate que seuls les paramètres de l’ancrage institutionnel, de la situation de production et du matériau de réalisation sont identiques pour tous les représentants de son corpus. Les autres paramètres demeurent variables. Le travail de S. Adam consiste en grande partie à recourir à la théorie du prototype, empruntée à la sémantique, pour pouvoir appréhender le plus ou moins grand degré de représentativité d’un texte par rapport au genre textuel auquel il appartient.

Comme cela a été mentionné ci-dessus, et comme S. Adam le montre elle-même, la recension scientifique se distingue de façon fondamentale de la recension journalistique (notamment par les paramètres de l’objet et de l’ancrage institutionnel). Cependant, les travaux de S. Adam semblent intéressants pour les réflexions menées ici à plusieurs titres. Tout d’abord, elle établit clairement une distinction entre les deux sous-types de recensions, qui sont souvent, dans les recherches antérieures, envisagés comme interchangeables. Ainsi, la plupart des définitions de la recension font apparaître la recension journalistique et la recension scientifique simplement comme deux alternatives possibles124. Or, la prise en considération par S. Adam de l’ancrage institutionnel et de la situation de production semble décisive afin de distinguer, d’une part, un discours d’expert publié dans des revues spécialisées et, d’autre part, un discours journalistique à destination d’un public « varié et indifférencié, mêlant potentiellement non-spécialistes et connaisseurs » (Adam 2007 : 19). Toujours d’après elle, l’appartenance de la recension au genre journalistique se marque par une configuration particulière des interactants qui tend à réduire « la distance critique entre le Rezensent et son objet, et, par ricochet, entre le Rezensent et son public » (Adam 2007 : 19). Enfin, elle présente certaines caractéristiques stylistiques plus fréquemment présentes dans la recension journalistique et qui concourent à une forme prononcée d’expressivité.

Le second intérêt que présentent les travaux de S. Adam réside dans l’importance accordée à la configuration énonciative dans la définition du genre. Les différents dispositifs énonciatifs

124 „Rezensionen sind eine bestimmte Gruppe von journalistischen Texten, die über belletristische (oder

wissenschaftliche) Texte (Roman, Erzählung, usw.) oder kulturpolitische Ereignisse (Theater, Film, Fernsehen, Radio) informieren, diese werten, Probleme [...] erörtern und [...] den Rezipienten aktivieren“ (Jokubeit 1980 : 79).

relèvent certes – d’après elle – à la fois des formes de discours rapporté125, de discours narrativisé que des formes hybrides qui ne sont pas spécifiques au genre de la recension scientifique, mais elle constate une grande normativité dans les emplois de ces formes. En corrélation avec ces formes, elle souligne par ailleurs l’importance de la présentation de soi dans la construction d’un propos légitime et efficace d’un point de vue argumentatif.

I.2.2.2.

La recension journalistique

La recension journalistique germanophone fait également l’objet de recherches en linguistique. Dans les années 1980, plusieurs travaux sont ainsi consacrés à la recension, dont ceux de M. Ripfel, qui ne se livre cependant pas à une analyse de la recension en elle-même. À l’occasion de son étude sur le genre du dictionnaire, M. Ripfel propose une définition de cet outil de travail que constitue pour elle la recension :

Rezensionen sind öffentliche monologische Texte, in denen ein Rezensionsgegenstand bewertet wird, d.h. Rezensionen werden geschrieben, um einem Leserkreis, der an einem Rezensionsgegenstand interessiert ist, mitzuteilen, welchen wissenschaftlichen, künstlerischen, praktischen... Wert er hat (Ripfel 1989 : 45).

Elle ne différencie ainsi pas, par exemple, la recension journalistique de la recension scientifique, à l’instar de S. Dallmann :

Trotz dieser funktionalen Unterschiede kann die gedankliche Seite des Darstellungsverfahrens, mit dessen Hilfe wissenschaftliche oder künstlerische Werke bewertet werden können, als weitgehend übereinstimmend beschrieben werden. Die erörternde Darstellungsart Rezensieren besitzt die Aufgabe, wissenchaftliche oder künstlerische Werke zu analysieren und zu werten. Damit ist das Rezensieren im Gegenstandsbereich deutlich von anderen Darstellungsarten abgegrenzt. Der Autor gibt dem Leser einen Überblick über den Inhalt des zu untersuchenden Werkes, den er analysiert hat und nun nach ihm angemessen erscheinenden Gesichtspunkten darstellt, um den Leser zu informieren. Dabei oder daran anschließend bewertet er das vorgestellte Werk anhand einer Argumentation (Dallmann 1991 : 67).

Il est communément admis dans l’ensemble de ces études que la recension journalistique et la recension scientifique ne diffèrent que par leur domaine d’application. Ces études aboutissent par conséquent à une définition uniforme de la recension :

125 Là où S. Adam emploie l’expression de discours rapporté, il est préférable de parler de représentation du discours autre pour les raisons évoquées en III.1.2.2. Étant données les difficultés et les confusions liées à la

notion de discours rapporté, le troisième chapitre de ce travail se consacre à l’étude des différents dispositifs énonciatifs à l’œuvre dans les recensions journalistiques.

Rezensionen sind Reaktionen ihrer Verfasser auf bestimmte Ereignisse im wissenschaftlichen und künstlerischen Leben. Ihre Funktion legt weitgehend Aufbau und inhaltliche Komponenten dieser Texte fest (Dallmann 1979 : 62).

Cette démarche repose sur l’idée selon laquelle toutes les recensions ont la même fonction de base qui est celle de réagir à un événement culturel ou scientifique par une analyse de la configuration textuelle de textes. Et pourtant, il existe une certaine contradiction dans l’étude de S. Dallmann qui, partant de ce présupposé, pressent toutefois le poids que peut avoir l’objet de la recension ou son cadre institutionnel dans l’identification du genre de texte126. Elle détermine ainsi un certain nombre de caractéristiques qui semblent propres à la recension journalistique, à commencer par le titre127 qui est plus accrocheur et qui oriente en amont l’évaluation. De façon générale, le recenseur journalistique adopte une posture particulière parce qu’il s’adresse à un large public. Il s’adresse de façon plus directe au lecteur et cherche à établir une certaine connivence avec lui128. D’un point de vue interne au texte, les recensions

journalistiques se démarquent par une série de caractéristiques comme l’emploi du présent, du mode indicatif, et de certaines formes syntaxiques (Dallmann 1979 : 87). Le présent de l’indicatif domine aussi bien les recensions journalistiques que les recensions scientifiques, mais sa valeur n’est pas exactement la même. Dans les recensions journalistiques, le présent sert à rendre compte des événements artistiques et à les décrire, il sert également à rendre compte d’un contenu narratif. Dans les recensions scientifiques, le présent sert, en revanche, presque exclusivement à se référer au contenu que le recenseur évalue. Pour ce qui est du mode, la recension scientifique a recours de façon privilégiée au Konjunktiv I pour se référer au contenu du texte source. S. Dallmann (1979 : 88) note l’absence de ce mode dans les recensions journalistiques et l’explique par le fait que, dans le cas des ouvrages littéraires, on s’intéresse moins aux affirmations qu’aux effets produits par ses dernières. Enfin, du point de vue de la syntaxe, on rencontre dans les recensions journalistiques des formes empruntées à l’écriture de la presse comme les ellipses, les phrases nominales ou les questions rhétoriques emphatiques (Dallmann 1979 : 89). À l’inverse, dans les recensions scientifiques, ce sont les

126 „Im Zusammenhang damit soll nachgewiesen werden, in welcher Weise die Textdeterminanten

- Kommunikations- oder Gegenstandsbereich, - Einstellung zum Empfängerkreis,

- Art der Stoffbehandlung

auf den entstehenden Text Einfluß nehmen und inwiefern sie texttypisierend wirken“ (Dallman 1979 : 59).

127 „Publizistische Kunstrezensionen haben oft einen werbenden, für die Bewertung programmatischen Titel“

(Dallmann 1979 : 69).

128 „Und deshalb zeigen sich auch in der informierenden und anregenden Funktion bei publizistischen

Kunstrezensionen Elemente der partnerbezogenen und kontaktsuchenden Haltung des Rezensenten“ (Dallmann 1979 : 75).

phrases affirmatives non expressives qui domineraient. Malgré l’ensemble de ces éléments qui diffèrent en fonction de paramètres internes (emploi des temps, des modes, constructions syntaxiques) et de paramètres externes (posture du locuteur, situation de communication), S. Dallmann parvient à la conclusion selon laquelle la recension est un mode de représentation générique indépendant du domaine d’application129.

Pour surmonter ce paradoxe, il faut attendre des études plus récentes autour de la recension qui amorcent un renouveau en replaçant l’analyse des textes dans leur environnement contextuel et culturel. Le colloque international organisé à Vasaa en 2010 par des germanistes finlandais incarne cette nouvelle tendance. Cette manifestation scientifique présente l’originalité de concilier les perspectives littéraires et linguistiques. Elle naît du constat que les recensions sont peu étudiées : d’une part, parce qu’il s’agit de textes souvent considérés comme secondaires ; d’autre part, en raison de la rupture qui a lieu à la fin du XIXe siècle entre critique journalistique et critique universitaire. Les organisateurs de ce colloque reconnaissent par ailleurs l’intérêt encore inexploité que peut représenter la recension pour la linguistique : „Es existieren verhältnismäßig wenige Untersuchungen, die sich aus linguistischer Perspektive mit Rezensionen auseinandersetzen“ (Parry & Szurawitzki 2012 : 10). Enfin, une attention particulière est portée à la dimension culturelle véhiculée par la recension130. La recension a, en effet, pour objectif de présenter et transmettre à un lectorat un contenu culturel possiblement issu d’une autre culture. C’est par conséquent avec l’idée de resituer l’analyse des recensions dans leur contexte culturel que les différentes contributions proposent un renouveau de l’étude de ce genre textuel. C. Gansel tente ainsi de concilier les problématiques soulevées par les théories du sociologue N. Luhmann avec la question du genre textuel131. Elle éprouve notamment la différence entre critique journalistique et critique universitaire, en reconnaissant à la première une sélection de structures qui lui sont propres (Gansel 2012 : 30). Elle en arrive à la conclusion que c’est par des moyens spécifiques à ce genre que la recension établit le lien entre le système de la littérature et celui des médias :

129 „Die Untersuchung erbrachte das Ergebnis, dass die Darstellungsart Rezensieren unabhängig von

funktionalen Unterschieden der Kommunikationsbereiche Presse und Publizistik einerseits und Wissenschaft andererseits konstituierendes Darstellungsverfahren für den Texttyp der Rezension ist“ (Dallmann 1979 : 89).

130 Von besonderem Interesse für die Auslandsgermanistik ist natürlich die transkulturelle Vermittlung, wenn

Werke aus einem Kulturkreis einer sprachlich und kulturell anders sozialisierten Leserschaft vorgestellt werden“ (Parry & Szurawitzki 2012 : 12).

131 „Mit dieser Fragestellung fokussiert der Beitrag eine systemtheoretische Perspektive auf Textsorten, die von

der Möglichkeit ausgeht, die Systemtheorie in der Prägung des Soziologen und Philosophen Niklas Luhmann produktiv mit dem Erkenntnisinteresse der Textsortenlinguistik zu verbinden und von daher eine soziologische Profilierung der Textsortenforschung vorzunehmen“ (Gansel 2012 : 15).

In der journalistischen Buchrezension sind entsprechende Strukturselektionen zu beobachten, die zu sich selbst koppeln und damit die System-zu-sich-selbst-Beziehung herstellen. Indem Informationsselektionen in die journalistischen Buchrezensionen Eingang finden, die an der Systemrationalität des Mediensystems orientiert sind und neben den literarischen Selektionen stehen, baut das System die Kopplung zwischen Literatursystem und Mediensystem in eigene Strukturen um (Gansel 2012 : 33).

Pour établir la singularité de la critique journalistique par rapport à la critique scientifique, H. Nikula a recours à la différence qui existe entre l’objet de leur discours. Les textes scientifiques s’adressent à un public averti et relèvent du domaine cognitif tandis que la littérature s’adresse plutôt aux affects d’un public non spécialiste : „Der Schwerpunkt des Sachtextes liegt im kognitiven Kenntnissystem, der Schwerpunkt des literarischen Textes dagegen im emotionalen Kenntnissystem“ (Nikula 2012 : 64). Ainsi, le recenseur scientifique doit également se placer sur le plan cognitif tandis que le recenseur journalistique peut être amené à imiter l’écrivain, non pas parce qu’il est un écrivain raté, mais parce qu’il prend ainsi en considération le goût et la sensibilité du public visé132.

Dans une perspective davantage contrastive, S. Rose analyse les recensions publiées dans les magasines Der Spiegel, L’Express et Suomen Kuvlehti afin de déterminer si, malgré des ressemblances attendues, apparaissent des différences micro- et macrostructurelles que l’on pourrait éventuellement attribuer à une tradition d’écriture différente en fonction du pays (Rose 2012 : 95). Cette approche interculturelle descriptive repose par conséquent sur le présupposé que la recension journalistique est un genre qui se définit par des invariants résultant d’un héritage culturel. Ces invariants structurels sont analysés en partie par M. Skog-Södersved et A. Malmqvist qui s’intéressent aux formes d’expression de l’évaluation au début et à la fin des recensions. Leur analyse présuppose que les recensions présentent une composition structurelle récurrente et que s’inscrivent dans l’actualisation de l’évaluation – la fonction jugée principale de la recension – une spécificité et une régularité observables. Elles constatent que l’évaluation est, d’une part, portée par certains lexèmes non verbaux sémantiquement connotés et d’autre part, par des éléments que seul le cotexte peut doter d’une valeur évaluative (Skog-Södersved & Malmqvist 2012 : 110).

Ainsi, les travaux en linguistique sur la recension ont pour intérêt de renouveler certaines problématiques et d’en poser de nouvelles. De fait, il convient sans doute de vérifier la pertinence des questions héritées de la recherche des années 1980 :

132 „Der literarisierende Stil von Literaturkritiken zeigt also nicht, dass Literaturkritiker notwendigerweise

gescheiterte Schriftsteller sein müssten – es geht eher um eine der Textsorte angemessene kommunikative Strategie“ (Nikula 2012 : 70).

• Le genre de la recension présente-t-il des régularités structurelles et compositionnelles ?

• Quels traits distinctifs permettent de parler potentiellement d’une forme prononcée d’expressivité de la recension journalistique ?

• Quel est le degré de normativité de la recension ?

À ces questions s’ajoutent celles que l’on peut emprunter aux travaux sur la recension scientifique :

• Quels critères définitoires du genre textuel doit-on retenir ?

• Quelle incidence l’objet de la recension et l’ancrage institutionnel ont-ils sur les textes ?

• Quel(s) rapport(s) la recension impose-t-elle à ses interactants ?

• Quelles configurations énonciatives correspondent à quelles stratégies

argumentatives ?

• Dans quelle mesure peut-on appliquer la théorie du prototype à l’analyse de la recension ?

Enfin, on ne peut pas ignorer le renouveau des études sur la recension qui intègrent des questions portant sur son caractère culturel et sur son fonctionnement en tant que système de communication :

• Quelle est la place de la recension entre le genre littéraire et le genre journalistique ? • Dans quelle mesure le recenseur fait-il, comme l’écrivain, appel au domaine de

l’émotionnel ?

• Quelle est la dimension culturelle des recensions ?