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Hiérarchisation des actes textuels

II.2. Composition séquentielle des recensions

II.2.5. Séquence narrative

II.2.5.1.

La narration inachevée

La narration est un mode de mise en discours a priori moins attendu dans les recensions journalistiques, pourtant sa présence est fortement attestée. Elle s’explique par le fait que l’objet de la recension est justement un discours de type narratif. Vue sous cet angle, la présence de périodes voire de séquences n’est pas aussi surprenante, d’autant que les recensions prétendent donner un avant-goût, une prélecture de l’ouvrage en question. Lorsqu’il s’agit de résumer l’intrigue du roman, il n’est donc pas rare de faire appel à la narration. Ainsi en [63], on observe en début d’article l’amorce d’un récit qui est interrompu

avec le deuxième paragraphe où des éléments métalangagiers (Den Hauptteil dieses

voluminösen Buchs ; der Roman) rappellent qu’il ne s’agit pas d’un récit autonome, mais que

ce dernier s’inscrit dans une recension. Le support de publication et les éléments paratextuels comme le nom de la rubrique, le titre ou le sous-titre, informent certes en amont le lecteur qu’il s’agit d’une recension. Mais le début de l’article sous la forme d’un récit renvoie directement au discours romanesque dont il est question dans l’article avant de basculer de nouveau dans le plan de la recension.

[63.] (a) Mitte der fünfziger Jahre lebt in Bagdad ein Mann namens Anwar. Er ist nicht mehr jung, alt ist er auch nicht, er ist nicht verbittert, doch eine Zukunft liegt nicht vor ihm. Als Bote verdingt er sich in den Häusern der Wohlhabenden, kleine Gänge tagein, tagaus. Früher einmal konnte er sich in der Illusion wiegen, eine wichtige Aufgabe, ja eine Mission zu haben. Anwar hat eine Geschichte, und was für eine, doch Bagdad ist das stehende Nichts, der Stillstand, das ewige arabische Elend. Das ist ähnlich wie früher, in den Dreißigern, als er ein junger Räuber war, der an den Fassaden der Paläste emporkletterte und sich ein Stück vom Reichtum sicherte. Dazwischen liegt das Abenteuer, die große Geschichte. (b) Als er einen deutschen Arzt sieht, der plötzlich in seiner Stadt auftaucht und der ihm einmal das Leben gerettet hat, (c) kommt alles wieder in ihm hoch.

Den Hauptteil dieses voluminösen Buchs nimmt eine gewaltige Rückblende ein. Der Roman ist eine Lebensgeschichte, vielleicht auch so etwas Ähnliches wie eine Beichte, zumindest eine Erinnerung, die nichts mehr beschönigt, weil sie ehrlich sein kann aus Resignation (Schmidt,

zeit, 12.01.12., nous soulignons).

Cependant, le premier paragraphe ne constitue pas en soi une séquence narrative. Effectivement, la séquence narrative présente, si l’on suit J.-M. Adam :

une structure hiérarchique constituée de cinq macro-propositions narratives de base (Pn) qui correspondent aux cinq moments (m) de l’aspect : avant le procès (m1), le début du procès (m2), le cours du procès (m3), la fin du procès (m4) et enfin après le procès (m5) » (Adam 2015 : 178).

Or, force est de constater que l’on ne relève pas ici les cinq moments constitutifs d’une séquence narrative. On peut cependant la reconstituer en partie. Le passage [63a] correspond ainsi à une situation initiale (Pn1) avec un ancrage spatio-temporel (Mitte der fünfziger

Jahre ; in Bagdad). Le déclencheur (Pn2) correspond à la rencontre avec le médecin allemand

[63b] et introduit ainsi le noyau du procès (Pn3) qui n’est toutefois pas développé. Le fait d’interrompre ce début de séquence narrative au moment stratégique de l’entrée dans le noyau du procès s’explique aisément par la volonté du recenseur de ne pas dévoiler la totalité de l’intrigue. Avec le recours à la structure de la séquence narrative, le recenseur informe son lecteur de l’intrigue et l’incite à acheter le roman pour connaître la suite. Une même volonté

d’informer le lecteur du contenu du roman anime le recenseur en [64]. Sa façon de procéder est cependant différente dans la mesure où chaque paragraphe commence par une indication métalangagière à portée cadrative (der Schauplatz ; die Handlung ; der Ich-Erzähler). Il ne s’agit plus de créer l’illusion d’un récit qui commence. Au contraire, le travail du recenseur est explicitement montré. Il informe, en effet, sur trois points principaux censés résumer le contenu de l’ouvrage : le cadre spatial, l’action et le personnage principal.

[64.] Der Schauplatz: das Nigerdelta vor der Millionenstadt Port Harcourt. Ein Geflecht aus Pipelines überwuchert die Region, an Abertausenden von Ölquellen am Atlantik brennen Abgasfackeln. Erdöl bringt dem Staat Milliarden, um derentwillen Nigeria verlässlich für Schlagzeilen sorgt. Gewalt, Korruption, Umweltverbrechen – in apokalyptischem Mass. Mit Kritikern machte man lange Zeit kurzen Prozess. So wurde der Schriftsteller und Bürgerrechtler Ken Saro-Wiwa 1995 in Port Harcourt zusammen mit acht Genossen gehenkt. Nach der Diktatur der Neunziger herrscht nun eine Phase fragiler Demokratie. Aber noch immer tobt im Delta ein Bürgerkrieg, Armee contra Rebellen. Die Aufrührer sprengen Bohrinseln, sie tun es, sagen sie, für die Freiheit.

Die Handlung: Rebellen haben eine Frau entführt, eine Britin, weiss, die Ehefrau eines in der Ölindustrie tätigen Ingenieurs. Gleich mehrere Gruppen fordern Lösegeld, Gruppen mit klingendem Namen, Black Belts of Justice, Free Delta Army, AK-47 Freedom Fighters. So ein Kidnapping ist Alltag in Port Harcourt, und alltäglich mag es weitergehen: Die Entführer zitieren Journalisten zu einem Ort im Delta, die Presseleute sollen dort die Geisel interviewen, sie sollen ihr Wohlergehen bezeugen und so die Brieftaschen der Konzernmanager öffnen. Doch der Treffpunkt wird verraten.

Der Ich-Erzähler: ein Journalist aus Port Harcourt – Rufus, der Rote, ein junger, hungriger Reporter, formbar, unverdorben. Rufus reist ins Delta, ins Labyrinth, er sucht die Britin und die perfekte Story. Er gerät zwischen die Fronten, ist Geisel der einen und der anderen, er fährt heim in die Stadt und zurück in den Sumpf, er findet die Entführte, er wird sie wieder verlieren. Alles dreht sich. Alles schwankt (Stolzmann, nzz, 16.05.12., nous soulignons).

Malgré la différence d’approche avec l’exemple [63], chaque paragraphe interrompt de la même façon ce qui pourrait constituer le début d’une séquence narrative. Pour le cadre spatial, la description du delta du Niger est interrompue par la mention d’une guerre civile. Pour l’action, on apprend que l’histoire raconte l’enlèvement d’une Britannique, mais l’enlèvement ne se passe pas comme prévu. Enfin, pour le personnage principal, il ne s’agit pas d’une séquence narrative dans la mesure où les événements narrés s’enchaînent sans qu’aucune des actions (son voyage, son enquête, son enlèvement répété, la découverte de la jeune Britannique puis sa nouvelle disparition) ne se distingue des autres pour constituer le nœud ou

le dénouement de l’enchaînement. Cette accumulation successive d’événements donne davantage le sentiment d’un récit condensé. Là encore, la stratégie du recenseur est de suffisamment informer son lecteur afin qu’il puisse suivre son raisonnement et valider son évaluation sans pour autant le décourager d’acheter et de lire le roman en question.

II.2.5.2.

La narration illustration

Le fait d’inclure une narration inachevée dans la recension a pour effet de créer un suspense et de renvoyer à la lecture du roman. Mais on trouve, par ailleurs, des séquences narratives complètes. En [65], le début de l’article commence par un récit recréant la fiction du roman. On peut distinguer plusieurs moments correspondants à une séquence narrative. En [65b], la situation initiale est présentée (Pn1). Pfister attend avec impatience les gens de la télévision. Mais cette situation initiale est perturbée (Pn2) et les attentes de Pfister sont contrariées [65c]. Le nœud de l’action (Pn3) est constitué par les disputes inattendues entre les personnages [65d]. La fin de l’action (Pn4) est marquée par la volonté de ne pas gâcher l’ambiance [65e]. Enfin, la situation finale (Pn5) est celle du tournage [65f] de l’émission télévisée.

[65.] (a) Heinz Emmenegger unterhält in seinem Roman „Pfister“ mit grotesker Komik

(b) Um elf, so hiess es, würden die Fernsehleute kommen. Und Pfister ist ganz aufgeregt. Nun wird er berühmt. Und mit ihm seine Heidi und mit ihnen zusammen ihr „Heidihaus“ und ihr „Heidigarten“. Die Fernsehleute würden einen kleinen Porträtfilm drehen: Pfister beim Grillen, Pfister mit Heidi und beide zusammen im Wohnzimmer. So ungefähr stellen sie es sich vor. So könnte es sein. (c) Es kommt aber ganz anders. Mag Pfister etwas exzentrisch sein, so sind es die Fernsehleute umso mehr. (d) Schon auf dem Weg zu Pfisters Haus geraten sie sich in die Haare: der versoffene schwule Chef, der verdruckste alternde Chauvinist und Kameramann, die attraktive und rundum für Adrenalinschübe sorgende Tontechnikerin. Nicht genug damit: Vor Pfisters Haus rennt ihnen auch noch dessen Nachbar vor den Wagen. (e) Doch niemand lässt sich von solchen Kleinigkeiten die gute Laune verderben. (f) Und alsbald hat sich das Fernsehteam in Pfisters Garten in Stellung gebracht und beginnt mit der vielleicht ungewöhnlichsten Reality-Show: Tontechnikerin, Kameramann und Reporter stehen alle gemeinsam mit Pfisters und Nachbarn vor der Kamera, die das Leben in Echtzeit und selbsttätig ohne Regie filmt. Natürlich gerät hier schnell manches aus den Fugen, und nicht alle beherrschen ihre Rollen, wie es ein imaginäres Drehbuch vorsieht.

(g) Heinz Emmenegger beweist in seinem Romanerstling beträchtliches satirisches Potenzial (Bucheli, nzz, 22.03.12., nous soulignons).

Cette séquence narrative est encadrée, d’une part, par le sous-titre [65a] qui annonce le grotesque de l’action et fait explicitement référence au cadre de la recension. D’autre part, on trouve un commentaire du recenseur [65g] qui qualifie, a posteriori, cette narration en la catégorisant comme satirique. Cet encadrement n’est pas sans rappeler celui de la séquence narrative dans un co-texte dialogal220. Ici, la séquence narrative n’est pas inscrite dans un co- texte dialogal, mais dialogique. On peut assimiler [65a] à une entrée-préface (Pn0) et [65g] à une évaluation finale (PnΩ). La séquence narrative possède alors moins une dimension informative qu’évaluative. Elle sert à illustrer et à valider l’évaluation faite par le recenseur. C’est un schéma semblable que l’on peut identifier en [66]. En [66a], l’entrée-Préface (Pn0) renseigne sur la thématique du roman de Peter Farkas, à savoir la lutte contre la vieillesse et la maladie. Puis, une situation initiale (Pn1) très courte est posée : la scène se déroule autour d’une table au petit-déjeuner [65b]. Un déclencheur (Pn2) annonce que la situation se complique. Le premier imprévu de la journée a lieu [65c]. Il s’agit d’un moment d’absence vécu par une femme âgée qui ne sait plus où elle est et ce qu’elle fait [65d] et qui constitue le nœud de l’action (Pn3). Cette situation se dénoue (Pn4) avec l’intervention de l’homme qui est à côté d’elle et qui l’aide à reprendre conscience de ce qu’elle fait [65e]. Mais cet événement aboutit à une situation finale (Pn5) où le mari de la femme est angoissé par son état [65e]. Un résumé (PnΩ) clôt cette séquence et rappelle ce qui avait été annoncé dans l’entrée-préface, à savoir que le roman traite de la vieillesse et de la maladie.

[66.] (a) Und das eigene Ich zerbricht wie eine Skulptur aus Sand: Péter Farkas hat einen berührenden und kämpferischen Roman über das Leben mit der Krankheit geschrieben. (b) Am Frühstückstisch (c) gerät der Tag zum ersten Mal ins Stocken. (d) Die alte Frau hat vergessen, was es mit dem Stückchen Butter auf sich hat, das sie zwischen Zeigefinger und Daumen hält. Erstaunt betrachtet sie es, bis der alte Mann, der ihr gegenübersitzt, auf den Teller deutet und ihr hilft, die Butter mit dem Messer auf dem aufgeschnittenen Brötchen zu verteilen. (e) Als sie genussvoll den ersten Bissen nimmt, blinzelt sie ihn dankbar an. Doch der zarte Moment ist nur von kurzer Dauer. Die Frau hält inne, wendet den Blick ab und starrt leer aus dem Fenster. (f) Ängstlich beobachtet der Mann die Frau, mit der er die längste Zeit seines Lebens verbracht hat: „Er hoffte, dass sie sich nicht jetzt, am Tisch, beim Frühstück, während des Essens einkotete. Daran konnte er sich einfach nicht gewöhnen."

220 « L’inscription d’une séquence narrative dans un co-texte dialogal (oral, théâtral ou d’une narration enchâssée

dans une autre) se traduit par l’ajout, à l’ouverture, d’une Entrée-Préface ou d’un simple Résumé (Pn0) et, au terme de la narration, d’une Evaluation finale (PnΩ) qui prend la forme de la Morale des fables ou se réduit à une simple Chute » (Adam 2015 : 181).

(g) Damit ist der Rahmen abgesteckt: Péter Farkas erzählt in dem Roman "Acht Minuten" von einem älteren Ehepaar, dessen Alltag durch eine Demenzerkrankung bestimmt ist (Mensing,

faz, 09.02.12., nous soulignons).

Ainsi, la séquence narrative donne ici certes une prélecture du roman dans la mesure où elle reconstitue des événements similaires à ceux qui se déroulent dans le roman. Mais, la séquence narrative illustre avant tout les propos du recenseur et son éventuelle évaluation. On comprend donc dans quelle mesure la séquence narrative peut à la fois être au service de la composante informative et de la composante évaluative des recensions.

II.2.6.

Bilan

sur

les

unités

compositionnelles

Parmi les hypothèses émises sur le rapport entre les composantes fonctionnelles et les unités compositionnelles structurant les recensions, on peut retenir celle qui constate la non correspondance entre les actes textuels et des types de séquences particuliers. Effectivement, les diverses analyses ont montré que les différents modes de mise en discours pouvaient tantôt être au service de la composante informative, tantôt au service de la composante évaluative. Par ailleurs, il n’existe pas de séquence informative ou évaluative, au sens d’une structure relationnelle préformatée à cet usage. En outre, l’absence de concordance systématique entre composante fonctionnelle et mode de mise en discours ne signifie en aucun cas qu’il n’existe pas de lien entre les deux et que les recensions seraient des textes avec un faible degré de typicité. Dans le tableau ci-dessous les relations qui existent entre les modes de mises en discours et les composantes fonctionnelles se trouvent résumées. Afin de rétablir la correspondance manquante, il est possible d’ajouter comme paramètres intermédiaires les compétences mises en œuvre par le recenseur et les formes que prennent les modes de mises en discours.

Tableau 15 : Récapitulatif sur la relation entre fonction et unités compositionnelles

Mode de mise en

discours Compétence du recenseur Forme fonctionnelle Composante

Opérations descriptives Reconstituer l’objet (absent) du discours Thématisation Informative Aspectualisation Évaluative

Explication Vertus didactiques du recenseur / Rendre accessible un contenu

Faire comprendre Informative

Argumentation

Inciter à l’achat, à la lecture / Décourager l’achat, la lecture

Etayage argumentatif Évaluative

Transformation des

connaissances Informative

Narration goût, une prélecture Donner un avant- Narration inachevée Informative

Narration illustration Évaluative

Ainsi, à partir des quatre modes de mise en discours relevés dans les recensions et déclinés sous huit formes principales, on peut déduire quatre compétences mises en œuvre par le recenseur et attribuer chacune des formes à une composante fonctionnelle. Ce n’est pas à partir de la composante fonctionnelle que l’on peut déduire les formes et les modes de mise en discours. Ainsi, les composantes informative et évaluative peuvent aussi bien avoir recours à l’explication, à l’argumentation ou encore à la narration. C’est pourquoi, il semble nécessaire de renverser la perspective traditionnelle et de ne pas faire de la fonction textuelle le critère central d’une typologie textuelle. Enfin, cette valorisation de la forme sur la fonction ne doit pas occulter certaines approches qui semblent particulièrement productives dans le cas des recensions – à savoir les approches énonciatives et métatextuelles – mais qui seront traitées ultérieurement.

II.3.

Organisation