• Aucun résultat trouvé

Hiérarchisation des actes textuels

II.2. Composition séquentielle des recensions

II.2.4. Séquence argumentative

L’argumentation est une opération attendue dans le cadre de la recension. Le recenseur qui évalue un ouvrage est a priori dans une situation de communication qui lui impose d’étayer son jugement. D’ailleurs, il existe sans doute une certaine parenté entre l’explication et l’argumentation, la première pouvant avoir – conformément à ce qui a été vu – des visées argumentatives. Le modèle sous-jacent de la séquence argumentative suppose le passage de prémisses à une conclusion. Cet enchaînement argumentatif d’une première thèse (P.arg 0) à une seconde (P.arg 3) se fait au moyen de nouvelles données (P.arg 1) et d’un étayage

argumentatif (P.arg 2) qui correspond aux lois de passage du modèle de S.-E. Toulmin (1993). En (58), on observe ce mécanisme de façon linéaire. Le recenseur part d’une première thèse selon laquelle un bon ouvrage de science-fiction doit respecter trois règles (P.arg 0). Cette thèse est développée par des données plus détaillées (P.arg 1) qui renseignent sur la nature de ces règles. La nouvelle thèse consiste à affirmer que le roman de Jeannette Winterson n’est à recommander qu’en partie seulement (P.arg 3). Ce qui permet d’aboutir à cette conclusion est le fait que l’auteur n’accorde que peu d’importance à ces règles (P.arg 2).

[58.] Ob es sich um Romane, Erzählungen, Filme, Hörspiele oder Comics handelt - Science-Fiction überzeugt meist dann, wenn sie dreierlei leistet (P.arg 0). Erstens müssen die Personen das für uns Neue, das ihre Welt bestimmt, als selbstverständlichen Teil ihres Alltags erachten; es darf nie ausgestellt sein. Zweitens sollte das andere als nur kleine, aber folgenreiche Weiterentwicklung von etwas uns Vertrautem erscheinen. Und drittens möchten wir die Charaktere nicht als moralisierende Thesenträger erleben, mit deren Hilfe der Schriftsteller platt vor einem schrecklichen Morgen warnt (P.arg 1). Vor allem weil Jeannette Winterson diese Regeln in ihrem Roman „Die steinernen Götter" zu wenig beherzigt (P.arg 2), ist dieser nur bedingt empfehlenswert (P. arg 3) (Leuchtenmüller, faz, 11.05.12., nous soulignons).

En paraphrasant cette séquence argumentative sous forme de syllogisme, on pourrait affirmer : 1) Un ouvrage de science fiction doit obéir à trois règles 2) Le roman de J. Winterson ne prend pas assez en considération ces trois règles 3) Le roman n’est donc pas pleinement une réussite. Comme pour le syllogisme, la séquence argumentative repose sur un mouvement logique, mais dont certains éléments sont posés seulement par le locuteur comme incontestables. Ainsi, la séquence argumentative repose sur la crédibilité du recenseur : le lecteur doit d’abord considérer la prémisse comme vraie pour que les enchaînements argumentatifs soient efficaces. Ici, on constate que la prémisse prend la forme d’une définition littéraire. Le recenseur adopte par conséquent la posture d’un spécialiste de théorie littéraire, à même de juger de la pertinence d’un ouvrage.

À cette mécanique des arguments, qui vise une démonstration logique et/ou une transformation des connaissances, J.-M. Adam (2015) ajoute également une dimension dialogique (ou contre-argumentative) en incluant les restrictions possibles (P.arg 4) d’un contre-argumenteur. Il part ainsi du principe que dans la plupart des cas, « l’argumentation est négociée avec un contre-argumenteur (auditoire) réel ou potentiel » (Adam 2015 : 186). Il précise également que la séquence argumentative n’est pas structurée par un ordre linéaire obligatoire, comme c’est le cas dans la séquence [59]. La thèse antérieure stipule que le roman est le scénario parfait pour une nouvelle série (P.arg 0). Mais il s’avère que cette thèse est une

citation laudative située en quatrième de couverture. Elle constitue ainsi une restriction (P.arg 4) à la nouvelle thèse énoncée par le recenseur en début de séquence selon laquelle il s’agit d’un mauvais roman (P.arg 3). L’argument qui permet de passer de la première à la seconde thèse consiste à dire que les procédés d’écriture télévisuelle sont différents des procédés d’écriture romanesque.

[59.] Was für ein schlechter Roman, alle Achtung! (P.arg 3) Das muss man erst einmal hinkriegen. Das Geheimnis des Gelingens enthüllt sich allerdings relativ leicht auf der Umschlagseite 4 (P.arg 4). Strouds Roman lese sich „wie die perfekte Vorlage für eine neue Kultserie (P.arg 0)", heißt es da. Er liest sich nicht so, er ist es. Selbstverständlich hat der Autor beim Schreiben an das nächste Glied der Verwertungskette gedacht. Damit das Casting erleichtert wird, finden sich von jeder Gestalt, die in diesem Epos auftritt, eine genaue äußere Beschreibung und eine Erläuterung des persönlichen Hintergrunds der Figur (P.arg 1). Damit geht es formal mehr als hundert Jahre zurück (P.arg 2). Also: „Am Steuer saß Mavis Crossfire, eine hochgewachsene, kräftige, erfahrene Polizistin, die wie alle guten Polizisten Humor und kühle Kompetenz verströmte, unterlegt mit einer latenten Bedrohlichkeit." […] Was im Fernsehen nämlich über etliche Folgen Tempo, Härte und Überraschungsmomente hätte, plätschert in der 505 Seiten starken epischen Breite vor sich hin (P.arg 2) (Schimmang, faz, 04.06.12., nous soulignons).

Le recenseur fait ici preuve d’habileté argumentative, il ne nie pas la restriction, mais la recatégorise pour en faire un argument essentiel de la loi de passage. Sous la forme d’un syllogisme simplifié on obtient donc : 1) Le roman est un scénario parfait de série 2) Mais ce qui convient pour une série ne convient pas pour un roman 3) Donc il s’agit d’un mauvais roman. C’est à une recatégorisation similaire à laquelle on assiste dans la séquence suivante [60] où la dimension dialogique des recensions est à nouveau exploitée :

[60.] Zwei Jahre später ist Pletzingers erster Roman erschienen, „Bestattung eines Hundes“, und der war so gut, dass sich die Kritikerin Iris Radisch schon nach den ersten Seiten angewidert abwandte (P.arg 1) und ihren Leserinnen in der „Zeit“ mitteilte, dieser „Fick- und Bierdosenton“ missfalle ihr gehörig (P.arg 4), und sie müsse vor diesem Autor warnen, denn das sei wieder so einer von denen, die nur provozieren wollten und sonst nichts (P.arg 0). Klar. Thomas Pletzinger provozierte in seinem ersten Roman zum Beispiel mit einem irren Talent zum Geschichtenerzählen, zum traumsicheren Variieren von Lebensmelodien, provozierte mit Weltkenntnis, Literaturgeschichtskenntnis, Direktheit, Schnelligkeit und Schönheit der Sprache (P. arg 2). Die „New York Times“ verglich Pletzinger in ihrer Besprechung von „Funeral for a Dog“ schon mit W.G. Sebald (P.arg 3), mit dem Unterschied, dass bei Pletzinger mehr Bier getrunken werde (Weidermann, faz, 01.04.12., nous soulignons).

C’est à partir d’une recension antérieure du premier roman de Thomas Pletzinger que commencent les enchaînements argumentatifs. La thèse de départ est celle d’Iris Radisch, critique littéraire pour le journal Die Zeit, qui considère que le roman n’est rien si ce n’est de la provocation (P.arg 0). Cette thèse est développée par des données sur le style et le ton de l’auteur qui dégoutent la critique (P.arg 1). L’étayage opéré par le recenseur s’appuie sur une loi de passage implicite : Iris Radisch est une mauvaise critique. À partir de cette loi de passage, on obtient donc l’argument suivant : puisque la critique Iris Radisch n’a pas aimé le roman, c’est un bon roman. Cette loi de passage implicite doit être inférée par le lecteur pour que l’énoncé suivant soit acceptable : „der war so gut, dass sich die Kritikerin Iris Radisch

schon nach den ersten Seiten angewidert abwandte“. Par ailleurs, comme en [59], la

restriction contenue dans les paroles rapportées d’Iris Radisch (P.arg 4), est recatégorisée en argument. Le recenseur affirme que le roman n’est effectivement que de la provocation, mais le terme de provocation est associé cette fois-ci à des éléments positifs comme le talent, le style ou la beauté de la langue. La nouvelle thèse présentée fait elle-aussi appel à la dimension dialogique de la recension puisqu’il s’agit également d’un jugement rapporté, mais du journal

New York Times qui compare Thomas Pletzinger à W.-G. Sebald (P.arg 4). Ainsi, la séquence

argumentative au sein de la recension consiste, dans ce cas précis, en une transformation de connaissances : on passe de l’idée d’un roman vide et provocateur à une recatégorisation de l’auteur que l’on inscrit dans la lignée d’auteurs reconnus. En parallèle, une autre distribution des statuts est opérée dans l’interdiscours de la recension : la parole d’Iris Radisch est dévalorisée, celle du New York Times est érigée en parole d’autorité.

Dans le cadre de la polémique autour du roman de Christian Kracht, Imperium, on constate que l’argumentation est un mode de mise en discours privilégié. En [61], dans l’article de Georg Diez publié dans le magazine Der Spiegel et à l’origine de la polémique, on retrouve les éléments d’une séquence argumentative. Par rapport aux séquences précédentes, on constate que les macropropositions sont plus développées et que l’argumentation opère à l’échelle du texte. Seuls les extraits relevant des enchaînementes argumentatifs sont ici retranscrits, mais au sein du texte, les macropropositions qui forment ces enchaînements sont interrompues par d’autres séquences ou d’autres périodes. Au début de l’article, on relève ce qui constitue la thèse de départ [61a] : le roman de Christian Kracht est décrit en tant qu’objet. Ses couleurs et son graphisme évoquent une bande dessinée à destination d’un public jeune. La thèse de départ est donc en partie implicite : le roman de Kracht serait inoffensif comme un livre pour enfant (P.arg 0). À cette première thèse, est ajoutée une série de données sur le statut de l’auteur [61b] : C. Kracht est un auteur influent (P.arg 1). L’étayage argumentatif

(P.arg 2) qui suit évoque le brouillage énonciatif auquel l’auteur se livre dans son roman [61c]. C’est ce que le recenseur nomme la méthode Kracht, c’est-à-dire que des propos subversifs sont tenus, mais leur prise en charge n’est pas claire. Il en résulte que le roman contribuerait à véhiculer une vision raciste de la société [61d]. Le bilan conclusif (P.arg 3) aboutit à l’idée selon laquelle Christian Kracht ouvrirait la porte aux idées extrémistes et les banaliserait par conséquent [61e].

[61.] (a) Was will Christian Kracht? Am 16. Februar 2012 erscheint sein neuer Roman, er heißt „Imperium“, das Cover ist bunt und schaut einen fast kindlich an wie ein Comic. Eine Südseeinsel und das blaue Meer sind dort zu sehen, ein paar Möwen, ein rauchender Dampfer, eine Eidechse auf einem Baum und ein Totenschädel unter einem Busch. [...] (b) Aber noch einmal: Was will Christian Kracht mit dieser kruden Geschichte erzählen? Er ist ja nicht irgendwer. Er ist in Deutschland einer der wenigen Schriftsteller seiner Generation, die ihre Bedeutung nicht ein paar von Kritikern erdachten und vergebenen Buchpreisen oder Stipendien verdanken, sondern tatsächlich wichtig sind, weil es Menschen gibt, die das Leben anders sehen, weil sie seine Romane gelesen haben. Kracht wurde groß gegen die Literatur- Claqueure. Das macht ihn nicht zum guten Menschen [...]

(c) Womit wir wieder bei „Imperium“ sind. Denn nach ein paar Seiten schon schleicht sich auch hier ein anderer Ton in die Geschichte, eine unangenehme, dunkle Melodie. Der Roman spielt „ganz am Anfang des zwanzigsten Jahrhunderts“, schreibt Kracht, „welches ja bis zur knappen Hälfte seiner Laufzeit so aussah, als würde es das Jahrhundert der Deutschen werden, das Jahrhundert, in dem Deutschland seinen rechtmäßigen Ehren- und Vorsitzplatz an der Weltentischrunde einnehmen würde“. Eine Spalte öffnet sich in diesem Satz. Unter der Oberfläche raunt es: Deutschlands rechtmäßiger „Ehren- und Vorsitzplatz“? Wer spricht da? Wer sagt, dass dieser Platz rechtmäßig sei? Wer denkt so? Durch den schönen Wellenschlag der Worte scheint etwas durch, das noch nicht zu fassen ist. Das ist die Methode Kracht [...] (d) Wenn man genau hinschaut, ist „Imperium“ von Anfang an durchdrungen von einer

rassistischen Weltsicht. Hier gibt es noch Herren und Diener, Weiße und Schwarze, und als August Engelhardt dem tamilischen „Gentleman“, dessen „blauschwarze Haut in seltsamem Kontrast zu den schlohweißen Haarbüscheln stand“, in das „knochenweiße Gebiss, welches in einem kerngesunden, rosaroten Zahnfleisch steckte“, schaute – da erschauerte er „innerlich vor Wohligkeit“ [...]

(e) Was also will Christian Kracht? Er ist, ganz einfach, der Türsteher der rechten Gedanken. An seinem Beispiel kann man sehen, wie antimodernes, demokratie-feindliches, totalitäres Denken seinen Weg findet hinein in den Mainstream (Diez, spieg, 13.02.12., nous soulignons).

En résumé, les enchaînements argumentatifs de cette séquence reposent sur l’idée que Christian Kracht entretient un brouillage énonciatif dans son roman, les propos subversifs qu’on y trouve peuvent lui être attribués et comme c’est un auteur influent et respecté, ses propos sont particulièrement entendus. La linéarisation des enchaînements argumentatifs qui vient d’être décrite est certes interrompue par d’autres séquences, mais la cohérence de l’ensemble est assurée par la récurrence de la question Was also will Christian Kracht? qui dès le début de l’article sous-entend que les intentions de l’auteur ne sont pas aussi claires que l’on pourrait le croire : la couverture a priori destinée à un public jeune serait en réalité la couverture d’un roman de nature raciste. L’ensemble du texte est dominé par le mouvement de cette séquence argumentative qui consiste en une transformation de connaissances. Or, c’est la thèse à laquelle on aboutit en fin de séquence qui déclenche une polémique dans la presse. Il n’est donc pas étonnant de constater que cette thèse devient, dans d’autres articles, la thèse de départ d’autres séquences argumentatives visant à la transformer à son tour. C’est le cas en [62] dans une contre-recension publiée quelques jours plus tard également dans Der

Spiegel, et signée par Helge Malchow, l’éditeur de Christian Kracht.

[62.] (a) Ist der Schriftsteller Christian Kracht „der Türsteher der rechten Gedanken“? Sein Verleger antwortet auf einen SPIEGEL-Artikel [...]

(b) „Er (das heißt Christian Kracht) platzierte sich damit sehr bewusst außerhalb des demokratischen Diskurses.“ (Dass sich diese Äußerung auch auf Christian Krachts letzten Roman bezieht, den Georg Diez 2008 hoch gelobt hat, ist eine Pointe am Rande.) Und so geht es weiter. Wenn der Erzähler im Roman spricht, so heißt es: „schreibt Kracht“. Oder: „Auch hier (das heißt im Roman) wird ein Jude schon mal als ‚ein behaarter, bleicher, ungewaschener, levantinischer Sendbote des Undeutschen‘ bezeichnet.“ Aber von wem? Vom Autor? Nein, von einer Romanfigur namens Aueckens, die explizit antisemitische Haltungen vertritt. Georg Diez: „Am Ende ‚war Engelhardt unversehens zum Antisemiten geworden‘.“ Schlussfolgerung: Kracht auch [...]

(c) Es ist in der Tat zum Verrücktwerden: Der Roman erzählt das exakte Gegenteil – eine Parabel über die Abgründe, Verirrungen und Gefahren, die in romantischen deutschen Selbstermächtigungen seit dem 19. Jahrhundert angelegt sind. An vielen Stellen tut er das als – schwarze – Komödie, denn der Zusammenbruch deutscher Traumprojekte, grenzenloser Selbstbefreiung und Fremdbeglückung kann sehr lustig sein (Malchow, spieg, 18.02.12., nous soulignons).

La thèse de départ est, comme précédemment suggéré, la thèse d’arrivée de l’article de G. Diez. Elle se situe ici dans le chapeau de l’article (62a). Le rappel de cette thèse n’est pas directement pris en charge par le recenseur, mais plutôt par le magazine, dans la mesure où il

est fait mention du recenseur à la troisième personne (der Verleger). Ce dispositif permet de resituer l’article dans le contexte polémique et par conséquent de reprendre les enchaînements argumentatifs là où ils se sont précédemment arrêtés. Le nouveau recenseur parodie le raisonnement de Georg Diez [62b] et inclut ainsi la voix de la restriction (P.arg 4) dans la séquence argumentative. Bien entendu, le ton parodique vise à décrédibiliser la thèse de départ. Pour transformer cette thèse, les nouveaux enchaînements argumentatifs reposent sur l’idée que ce n’est pas Christian Kracht, mais son personnage qui est antisémite. On aboutit donc à une thèse opposée à la thèse de départ : le roman serait l’exact inverse d’un roman prônant des idées extrémistes et antisémites.

La séquence argumentative occupe une place privilégiée dans les recensions journalistiques dans la mesure où cette situation de communication se prête volontiers à des enchaînements argumentatifs. Ce type de séquence participe, d’une part, de la composante évaluative, dans la mesure où il s’agit de convaincre un auditoire du bien-fondé d’un jugement. Mais d’autre part, la séquence argumentative participe également de la composante informationnelle des recensions puisqu’elle peut consister en une transformation des connaissances. Deux particularités semblent caractériser les séquences argumentatives des recensions. La première particularité est le recours fréquent à la dimension dialogique des recensions : les enchaînements argumentatifs font appel aux autres voix de la recension en guise de thèse de départ, d’argument d’autorité ou de contre argument restrictif. La seconde particularité concerne l’échelle textuelle à laquelle se développent ces séquences : du Teiltext, au texte dans son ensemble, voire à l’échelle de l’inter- ou du métatexte, les éléments de la séquence argumentative peuvent se répartir de façon variée dans l’espace textuel.