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Hiérarchisation des actes textuels

II.2. Composition séquentielle des recensions

II.2.2. Opérations descriptives

La description a une faible caractérisation séquentielle pour les raisons qui viennent d’être évoquées. Tout contenu propositionnel est descriptif. Sur ce contenu peut alors venir « s’appliquer le marqueur de force illocutoire F(p) » (Adam 2015 : 171). Dans un premier temps, un intérêt certain sera porté aux périodes descriptives indépendamment de ce marqueur qui altère sa nature. Cependant, il n’est pas question, pour des raisons pratiques, de prendre en considération tous les contenus propositionnels. Une attention particulière sera par conséquent portée sur les périodes descriptives identifiables par des macro-opérations217. La description est, a priori, un mode de mise en discours essentiel dans la recension, dans la mesure où cette dernière est censée décrire un objet et un contenu pour un lectorat qui n’en a pas nécessairement pris connaissance. La description dans les recensions concerne donc en premier lieu la description de l’ouvrage critiqué, elle permet une reconstruction de l’objet du discours préalable à l’activité critique. Les occurrences qui sont relevées ci-après portent exclusivement sur la description du roman critiqué. La première macro-opération de la description est celle de la thématisation. Dans le cas des recensions journalistiques, cette thématisation est une étape stratégique pour attirer l’attention du lecteur et l’inciter à lire la recension. L’opération de thématisation a ainsi, la plupart du temps, lieu dès le titre ou le chapeau de l’article. La première forme de thématisation rencontrée est celle de la pré- thématisation ou ancrage : « L’ancrage est une dénomination immédiate de l’objet qui ouvre (portée à droite) une période descriptive et annonce un tout » (Adam 2015 : 172). Ainsi, en [36], [37] et [38] on rencontre le cas de chapeaux introducteurs qui posent l’objet thématique et construisent du sens à sa droite :

[36.] In seinem Öko-Thriller „Wenn das Schlachten vorbei ist“ macht T. C. Boyle die radikalen Naturschützer zum Thema (Matussek, spieg, 05.03.12.).

[37.] In seinem neuen Roman „Sommerhaus mit Swimmingpool" macht Herman Koch den Leser zum Komplizen des Erzählers - und führt ihn auf fragwürdiges Gelände (Schneider, faz, 09.01.12.).

[38.] Nicholson Baker hat einen Porno-Roman geschrieben, angeblich das versauteste Buch aller Zeiten. Doch in Wirklichkeit ist „Haus der Löcher“ lustig und letztlich politisch (Diez,

spieg,16.01.12.).

217 « Il s’agit d’opérations qui confèrent une certaine unité à un segment. Les périodes descriptives ainsi

fortement typées sont assimilables à des séquences. Parmi ces macro-opérations, on distingue les opérations de thématisation, d’aspectualisation, de mise en relation et d’expansion par sous-thématisation » (Adam 2015 : 171-128).

Ce procédé de pré-thématisation n’est pas spécifiquement dévolu à la composante informative. Certes l’occurrence [36] pourrait être considérée comme purement informative (à condition par exemple de ne pas assimiler l’expression Öko-Thriller à une évaluation), mais les occurrences [37] et [38] montrent différents degrés d’intégration d’éléments évaluatifs à des éléments informatifs. En [37], la partie évaluative est isolée après le tiret, mais en [38], elle constitue la période descriptive ouverte par la dénomination de l’objet.

La seconde forme de thématisation rencontrée dans les chapeaux introducteurs des recensions journalistiques est celle de la post-thématisation ou affectation : « L’affectation est une dénomination retardée de l’objet qui ne nomme le cadre de la description qu’en cours ou en fin de séquence » (Adam 2015 : 172). Ce procédé de post-thématisation prend souvent la forme d’une construction à deux éléments reliés et opposés par deux points. Ce procédé fréquemment employé dans l’écriture journalistique permet de retarder la dénomination de l’objet, et connaît plusieurs degrés de complexité. En [39] et [40], deux segments averbaux se font face.

[39.] Arabischer Booker-Preis: Ein Mönchsroman aus Ägypten (Weidner, faz, 03.01.12.). [40.] Siebziger-Jahre-Flimmern: Christa Estenfelds Roman (Leister, faz, 04.01.12.).

On peut les identifier comme des structures prédicatives nominales218 que l’on pourrait gloser de la manière suivante :

a. Ein Mönchsroman aus Ägypten erhält den Arabischen Booker-Preis. b. Christa Estenfelds Roman erzählt die Filmwelt der siebziger Jahre.

Si la première paraphrase (a) peut être reconstituée sans problème, on note que la seconde (b) nécessite un travail interprétatif et le recours à des informations présentes dans la suite du texte. Cette structure prédicative peut par ailleurs se complexifier. En [41], ce ne sont plus deux groupes nominaux, mais un groupe nominal et un groupe verbal qui opère la post- thématisation. En [42], ce sont deux groupes verbaux.

[41.] Eine Gesellschaft voller Außenseiter: William Godwins 1794 in England erschienener Roman „Caleb Williams" ist ein hochaktuelles Plädoyer für Gerechtigkeit (Schenkel, faz, 04.02.12.). [42.] Die gebürtige Serbin Téa Obreht veröffentlichte mit 25 ihr Romandebüt: „Die Tigerfrau“ ist eine

unkonventionell erzählte Fabel über die Balkan-Kriege (Schmitter, spieg, 05.03.12.).

218 „Die Prädikatsfunktion kann im Deutschen durchaus von ‚nominalen’ Elemente übernommen werden;

vorzüglich durch Adjektive, Partizipien oder Nominalphrasen, in geringerem Maße durch Infinitive. Nominalen Prädikatsausdrücken stehen nominale Subjektausdrücke gegenüber vorzüglich Nominalphrasen, aber auch Infinitivkonstruktionen verschiedener Ausprägung“ (Behr 2014 : 66).

La structure prédicative entre les deux éléments de chaque côté du signe de ponctuation requiert davantage de travail interprétatif de la part du lecteur. On pourrait reconstituer une période descriptive avec pré-thématisation :

c. William Godwins 1794 in England erschienener Roman „Caleb Williams“ ist ein hochaktuelles Plädoyer für Gerechtigkeit, er beschreibt nämlich eine Gesellschaft voller Außenseiter.

d. „Die Tigerfrau“ ist eine unkonventionell erzählte Fabel über die Balkan-Kriege und dieses Romandebüt wurde von der gebürtigen Serbin Téa Obreht mit 25 veröffentlicht.

On constate alors que la structure prédicative permet par exemple d’inférer (en c.) une relation causale entre les deux éléments. L’occurrence [42] est construite en miroir, le dernier élément du premier segment ihr Romandebüt est coréférent du premier élément du second segment (Die Tigerfrau). La structure prédicative correspond donc à une double thématisation en parallèle, la première opère une post-thématisation, la seconde, une pré-thématisation. Elle permet ainsi une structuration plus dense de l’information en doublant l’opération de thématisation de l’objet. Cette densification de la thématisation peut cependant être telle qu’elle « peut rester énigmatique et tarder à former une unité de sens » (Adam 2015 : 172). La structure prédicative autour des deux points peut constituer une rupture en terme de cohérence comme en [43] :

[43.] Schweigsame Menschen, sprechende Steine: Büchnerpreisträger Walter Kappacher schickt einen alternden Landarzt an den Colorado River (Bichler, stand, 18.02.12.).

Seul le principe de pertinence peut inciter le lecteur à reconstituer la cohérence de cette période descriptive. D’une part, le segment sprechende Steine n’est pas recevable, Steine doit être recatégorisé comme un objet doté de la parole. D’autre part, le premier élément

Schweigsame Menschen, sprechende Steine doit être compris comme le contenu thématique

du roman. Ce n’est qu’alors que l’occurrence [43] peut être glosée :

e. Büchnerpreisträger Walter Kappacher schickt einen alternden Landarzt an den Colorado River in seinem Roman. Und in diesem Roman kommen schweigsame Menschen und sprechende Steine vor.

La seconde macro-opération descriptive qui est traitée ici est celle de l’aspectualisation. Cette macro-opération qui prend nécessairement appui sur la thématisation semble a priori nécessaire à la composante évaluative. Elle se décompose en tout cas en deux opérations : la fragmentation et la qualification. La fragmentation ou partition consiste en une « sélection de parties de l’objet de la description » (Adam 2015 : 174). Dans le cas des recensions journalistiques, il arrive que la description concerne le livre en tant qu’objet matériel. Ainsi,

en [44], on rencontre le cas d’une description opérant une fragmentation. Ce procédé n’a rien d’étonnant en soi, mais l’occurrence, ici, apparaît comme pertinente dans la mesure où cette fragmentation peut sembler inutile. Les différents éléments de l’objet livre qui sont fragmentés par la description sont marqués en gras :

[44.] Eine Seite besteht demnach aus zwei Textblöcken (davon einer stets kopfüber), einer zum Falz bündigen Zeitleiste und zwei in einen farbigen Kreis gebannten Seitenzahlen. In formaler Hinsicht weist bereits alles auf das zirkuläre Hauptmotiv hin: Insgesamt sind es exakt 360 Seiten. Bei aufgeschlagenem Buch zählt man auf einer Doppelseite jeweils vier Textpassagen à 90 Wörter. Jedes Kapitel ist acht Seiten lang; die in die Horizontale gelegte Acht weist wiederum symbolisch in die Unendlichkeit (Bender, nzz, 19.05.12., nous soulignons).

Cette description fragmentée de l’objet livre peut paraître superflue et fastidieuse. L’aspect du livre est fréquemment décrit, le nombre de page souvent mentionné, mais ces éléments informatifs sont la plupart du temps intégrés à des énoncés qui n’ont pas pour contenu informationnel central le livre objet comme en [45], [46] ou [47] :

[45.] für Uneingeweihte ist es auch bei nüchterner Betrachtung zunächst nicht weniger als ein 700- seitiges, formales wie inhaltliches Monstrum, das augenscheinlich äusserst verworren von einem räumlichen Paradox erzählt (Bender, nzz, 19.05.12., nous soulignons).

[46.] In dem über 700 Seiten starken Werk rollt Minelli die Geschichte dreier Familien über acht Generationen auf (Lüthi, nzz, 21.06.12., nous soulignons).

[47.] Nach gut dreihundert Seiten aus der Feder des Weltbestsellerautors Paulo Coelho folgt nicht taghelle Erkenntnis, auch kein interesseloses Wohlgefallen stellt sich ein, sondern nur Verdunkelungsgefahr und die bohrende Frage, wie es sein kann, dass Millionen Leser irren (Teutsch, faz, 03.01.12., nous soulignons).

La plupart du temps, en effet, le nombre de page est mentionné dans un groupe prépositionnel et ne constitue qu’un circonstant. L’occurrence [44] montre que la fragmentation, même si elle est en principe infinie, n’exprime rien de trivial : « Cette opération est, en fait, contrainte pragmatiquement par la recherche sélective d’une pertinence (visée ou but de l’action verbale) » (Adam 2015 : 174). On en déduit par conséquent que la description par fragmentation en [44] souligne avant tout l’aspect formel atypique de l’ouvrage en question. La seconde opération d’aspectualisation est celle de la qualification (ou attribution de propriétés) qui consiste en :

une mise en évidence de propriétés du tout et/ou des parties sélectionnées par l’opération de fragmentation. L’opération de qualification est le plus souvent réalisée par la structure du groupe nominal nom + adjectif et par le recours prédicatif au verbe être (Adam 2015 : 174).

La structure épithète + nom qualifiant le roman critiqué est très présente dans le corpus. À titre d’exemple, le nom Buch apparaît 767 fois dans le corpus, dont 157 fois accompagné d’une épithète. La liste de ces épithètes est assez riche puisqu’on en dénombre 99 différentes. Parmi ces épithètes, la plus fréquente est l’adjectif neu (22 fois). On compte un certain nombre de formes renvoyant à la parution du roman (erst-, zweit-, dritt-, letzt-, 1987 erstmals

erschien-, heute erscheinend-, 2004 erschien-, nächst-). Ces formes ne participent a priori pas

directement de la composante évaluative. Mais par ailleurs ce procédé de qualification est très fréquemment au service de l’activité évaluative. Cette dernière se fait souvent en faveur du roman (lustig-, großartig-, wunderbar-, klug-) et plus rarement à son détriment (von falschem

Pathos durchgezogen-, kontrovers-, unendlich-…). Ce déséquilibre entre le nombre de

qualifications laudatives et péjoratives s’explique peut-être par le fait qu’une critique négative appelle plus aisément à une argumentation détaillée et non simplement à une simple caractérisation donnée. Enfin, la variété de ces épithètes est assurée par des adjectifs avec leur expansion (überraschen vielschichtig-, wahrlich verrückt-, wunderbar tragikomisch-, eminent

politisch-). Bien entendu, un relevé similaire pourrait être fait à partir des 1845 occurrences

du nom Roman et des 133 occurrences du nom Werk.

Ce passage en revue des périodes descriptives relatives au roman critiqué montre que la description n’est pas un mode de mise en discours exclusivement informatif ou évaluatif. En revanche, en observant les macro-opérations que la description entraîne, on constate qu’il existe un rapport privilégié entre, d’une part, la thématisation et la composante informative, d’autre part, entre l’aspectualisation et la composante évaluative. Toutefois, dans la mesure où l’opération d’aspectualisation s’appuie de manière systématique sur celle de la thématisation, on constate qu’information et évaluation sont étroitement liées.