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Mode de production ou d’écriture

I.1.2. Réalités culturelles du discours critique

Les différences terminologiques opérées ci-dessus – entre notamment les termes français et allemands – comme la spécificité du terme allemand de Kritik désignant à l’origine de façon privilégiée la critique journalistique, s’explique par une absence d’unicité de la recension d’un

lorsqu’elle l’appréhende de l’intérieur, c’est-à-dire qu’elle s’attache à l’analyse de ses formes et de ses significations, elle est interne » (Thumerel 2000 : 20).

34 Est conçue comme dogmatique toute critique qui perçoit son référent à la lumière d’un système axiologique

préétabli. Ce système axiologique peut être d’ordre politique, mais également esthétique.

35 « Nous découvrirons comment, d’externe et d’a priori (du XVIe au XIXe siècle), la critique littéraire française

est majoritairement devenue interne et a posteriori » (Thumerel 2000 : 51).

36« La non-écriture, dont l’édition critique est l’exemple – proche de l’interprétation zéro qu’est la lecture à

haute voix d’un texte ; la contre-écriture du commentaire, qui se développe en marge, prolifère, mais jamais pour lui-même ; l’écriture d’un certain nombre de genres critiques forts (ancrés dans une longue tradition proprement littéraire) : l’essai, la lettre, le dialogue… » (Charles 1985 : 24).

point de vue diachronique. La recension, à l’instar de toute forme linguistique, est difficilement analysable hors de l’historicité des discours, d’autant qu’elle revêt un caractère fortement culturel. Comme le laisse penser l’évolution différente des termes français et allemand, les pratiques de la recension sont tributaires d’une époque et d’un lieu. Il existe de nombreuses études retraçant l’évolution de la Literaturkritik dans l’espace germanophone37. Il apparaît comme nécessaire de revenir ici sur quelques aspects de cette évolution, non pour retracer de façon exhaustive l’évolution du discours de la critique, mais afin d’approfondir la notion de recension.

I.1.2.1.

Origines de la critique

Les ouvrages retraçant l’histoire de la Literaturkritik sont confrontés à deux problèmes méthodologiques majeurs :

• La volonté de retracer l’évolution de la Literaturkritik correspond à l’ambition de mieux comprendre en quoi elle consiste. Mais ce travail présuppose qu’on puisse la définir a priori de façon assez précise pour en déterminer l’origine. Ainsi, les auteurs de tels ouvrages s’accordent à dire que le discours critique littéraire est presque aussi ancien que le discours littéraire. Dès l’Antiquité, on trouve effectivement des écrits de nature autoréflexive sur la littérature, ou encore des commentaires métalittéraires sur les productions littéraires d’une époque38. La teneur d’un propos critique existe, cependant la recherche s’accorde à fixer la naissance de la critique au XVIIIe siècle. Ainsi, il semblerait que la critique d’art fasse sa première apparition dans le contexte de la France des Lumières, mais sa paternité continue de faire débat entre notamment La Font de Saint-Yennes et Diderot39. K.-L. Berghahn explique que le début de la

Literaturkritik est le résultat d’un consensus de la part des chercheurs, permettant

notamment de résoudre le premier problème évoqué ici. Le choix de retenir le XVIIIe siècle comme le siècle de la naissance de la critique s’explique par l’importance

37 Outre l’ouvrage de R. Wellek (1955) présentant une histoire mondiale de la critique, il convient de mentionner

l’ouvrage de référence de P.-U. Hohendahl (1985), les réflexions menées lors du Symposium de la Deutsche

Forschungsgemeinschaft de 1989 ainsi que l’ouvrage plus récent de T. Anz et R. Baasner (2007).

38 Voir Aristote, Poétique, suivi d’une importante tradition de traités de stylistique et de rhétorique. Cette

tradition classique se perpétue d’ailleurs dans les siècles suivants : „In der Spätantike und im Mittelalter falten sich diverse Spielarten der Kritik an Texten aus. […] Dabei erhält die Kritik einen fest institutionalisierten Ort innerhalb der Bildungsinstitution der Grammatik“ (Anz & Bassner 2007 : 14).

39 „Um die Frage ‚Wann entstand die moderne Kunstkritik?’ und ‚Wer war der erste Kunstkritiker?’ bewegt sich

seit rund einem Jahrhundert eine Diskussion, in der sich im Wesentlichen zwei Parteien gegenüberstehen: einerseits die Anhänger La Font de Saint-Yennes, die 1747 als das Begründungsjahr der Kunstkritik ansehen, und andererseits die Diderot-Fraktion, die diesbezüglich 1759 angibt“ (Kluge 2009 : 11).

qu’elle revêt désormais dans la philosophie des Lumières40, et par la naissance corolaire d’une opinion publique41. Par ailleurs, un autre argument est avancé pour dater l’origine de la critique au XVIIIe siècle, à savoir celui de la stabilisation de ses fonctions. En définissant la critique comme une instance médiatrice entre la littérature et son lectorat, qui sélectionne, informe, interprète, évalue et prête à la discussion, T. Anz et R. Bassner estiment que ces fonctions sont les mêmes depuis trois cents ans42. Ainsi, ils distinguent cette nouvelle forme de discours par rapport aux propos métapoétiques tenus précédemment.

• Le second problème méthodologique qui se pose dans l’ambitieuse entreprise historiographique de la critique – et qui est en partie lié au premier – est celui des modes d’expression de la critique. Effectivement, le discours critique n’est pas un genre en soi, mais trouve son expression dans divers genres43. P.-U. Hohendahl énumère les formes littéraires sous lesquelles est apparue historiquement la critique : la recension, la glose, la polémique, l’essai, le dialogue, le reportage et même l’histoire littéraire est, à certains égards, une forme de critique littéraire. Cette pluralité suppose que l’histoire de la recension ne se confond pas avec l’histoire de la critique en général ou avec l’histoire d’un autre genre en particulier44. Or, afin d’opérer une telle distinction, encore faut-il être en mesure de définir ce qu’est une recension. Contrairement à la critique en général, il apparaît plus aisé de dater l’apparition des premières recensions. Si l’on retient comme critère définitoire de la recension la publication périodique d’un métatexte au sein d’un journal, d’une revue, il semblerait que les premières recensions dans l’espace germanophone datent de 1722. À cette époque paraissent des recensions dans le Hollsteinicher Correspondent à la rubrique

40 C’est ce qu’affirme Kant dans la préface de la Critique de la raison pure : „In Ermangelung derselben sind

Gleichgültigkeit und Zweifel, und, endlich, strenge Kritik, vielmehr Beweise einer gründlichen Denkungsart.

Unser Zeitalter ist das eigentliche Zeitalter der Kritik, der sich alles unterwerfen muß“ (Kant 1787 : 13, nous

soulignons).

41 „Ihre Geschichte mit der Aufklärung beginnen zu lassen, entspricht einem Konsens der Forschung [...] Die

moderne Literaturkritik entstand in der Aufklärung, und so zeigt die Institution der bürgerlichen Kritik noch heute den Anspruch und die Widersprüche ihrer Entstehungszeit“ (Berghahn 1985 : 10).

42 „Sie verschafft Überblicke, wählt aus, informiert, interpretiert, wertet und regt dazu an, über Literatur zu

diskutieren. […] Seit dreihundert Jahren hat sie im wesentlichen die gleichen Funktionen“ (Anz & Bassner 2007 : 7).

43 „Die Geschichte der Rezension ließe sich möglicherweise als die Geschichte einer Textsorte beschreiben,

nicht dagegen die Geschichte der Kritik. Die Kategorie der Kritik ist nicht einmal als Oberbegriff für eine Reihe von Textsorten zu begreifen, sondern – um eine vorläufige Bestimmung einzuführen – die öffentliche Kommunikation über Literatur, die die Darstellung und Bewertung dieser Literatur zu ihrer Sache macht“ (Hohendahl 1985 : 2).

44 „Die Geschichte der Literaturkritik ist nicht identisch mit der Geschichte des Feuilletons oder selbst des

Gelehrter Artikel45. Ce fait conforte l’idée de choisir le XVIIIe siècle comme le siècle qui a vu naître la critique, même si ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’est attesté le terme de Feuilleton46 pour désigner le supplément des journaux consacré à la vie

culturelle et contenant les recensions.

Cependant, les recensions n’apparaissent pas ex nihilo. Dans l’espace germanophone, on note en 1682 l’existence des Acta Eruditorum de Otto Mencke (Haacke 1952 : 151) qui se réfèrent à la parution de nouveaux ouvrages. Mais ces textes sont encore en latin. Les recensions en langue allemande semblent avoir pour ancêtre des dialogues fictifs publiés au XVIIe siècle, notamment par C. Thomasius dans ses Monatsgespräche entre 1688 et 1690 ou à sa suite par W. E. Tentzel entre 1689 et 1698 dans les Monatliche Unterredungen einiger guten

Freunde47. Si la forme du dialogue fictif empruntée aux philosophes de l’Antiquité classique est très courante à l’époque baroque, son usage est ici novateur. D’une part, les locuteurs occupent une place équivalente au sein des dialogues, l’objectif n’est pas la recherche d’un consensus, mais le développement de points de vue divergents menant à un débat d’idées sur les productions de l’époque. D’autre part, si de tels dialogues existent dans d’autres revues d’érudits à propos d’ouvrages scientifiques, philosophiques, juridiques ou encore historiques, C. Thomasius est le premier à inclure les œuvres littéraires (Anz & Baasner 2007 : 19). On comprend ainsi tout le sens qu’il peut y avoir à associer le terme de Rezension à Besprechung. Les fondements de la recension sont éminemment dialogaux : la constitution du discours de la recension trouve son origine dans le dialogue fictif qu’elle abandonne toutefois au profit du monologue attribué à un Rezensent qui prend en charge le texte. Cet abandon est attesté par W.-E. Tentzel lui-même au début du XVIIIe siècle dans sa Curieuse Bibliothec48. Le dialogue

45 „Die ersten Rezensionen […] in einer dem späteren Feuilleton ähnlichen Rubrik ‚Gelehrter Artikel’, ab 1722

im Hollsteinischen Correspondent“ (Anz & Bassner 2007 : 8).

46 L’usage du terme Feuilleton en allemand est attesté à partir de 1831 : „Der Begriff ‚Feuilleton’ kommt aus

dem Französischen und heißt soviel wie Blättchen oder Beiblatt. Abbé de Geoffroy verwendete 1800 diese Bezeichnung für ein in sein Journal des Débats eingelegtes Beiblatt, das Betrachtungen zu Literatur und Kunst enthielt und sehr erfolgreich war, so dass es wenig später in die eigentliche Zeitung integriert, aber durch einen schwarzen Strich vom Hauptteil abgesetzt wurde. Im deutschsprachigen Raum findet sich die Bezeichnung erstmals 1831 im Nürnberger Correspondenten“ (Neuhaus 2004 : 131).

47 Ces dialogues s’inscrivent dans une fiction où un narrateur présente les deux protagonistes Leonhard et

Antonio. Les deux personnages se retrouvent, au début, dans la bibliothèque de Leonhard et se donnent pour objectif la recension de livres, à savoir une discussion qui donnera lieu à une publication : „In einer berühmten Stadt in Teutschland waren zwey gute Freunde, welche nach der heutigen Mode sehr curieus waren, und gerne von neuen Geschichten und neuen Büchern redeten, und davon ein unvorgreisliches Urtheil fälleten. […] Denn weil ietzo so viel gelehrte Männer in Lateinischer, Teutscher, Frantzösischer, Englischer und Italiänischer Sprache, anderer Schrifften und Erfindungen censiren und recensiren, sich wenig bekümmernde, ob lose Mäuler ihre gifftige Zähne daran reiben, so hofften sie durch solche stattliche Exempel einen Mißgünstigen leicht auff bessere Gedancken zu bringen“ (Tentzel 1689 : 3).

48 W.-E. Tentzel prend désormais en charge en tant qu’auteur les recensions publiées dans ce qu’il présente

entre les locuteurs fictifs laisse place à une nouvelle situation de communication entre un

Rezensent et son lectorat49.

I.1.2.2.

Les âges de la critique

La recension ainsi définie comme une forme particulière de discours critique publiée de façon chronique par un recenseur qui exprime un jugement à l’attention de l’opinion publique, apparaît effectivement au XVIIIe siècle. L’évolution de sa forme ou de ses fonctions s’inscrit cependant dans l’historicité de la critique en général. R. Wellek, dans son ouvrage monumental en huit volumes sur l’histoire de la critique, entre 1750 et 1950, opère un découpage thématique en fonction des pays et, au sein de chaque pays, il détaille l’évolution de la critique en fonction des auteurs. C’est dans le volume sept que l’on retrouve la section dédiée à l’espace germanophone. R. Wellek est l’un des rares auteurs à procéder de façon thématique, mais cette démarche s’explique par la volonté d’embrasser un panorama mondial de la critique. Le fait de procéder par aire géographique n’empêche cependant pas l’auteur de reconnaître le rôle joué par l’Histoire sur l’histoire de la critique50. Ce constat s’applique particulièrement à l’Europe du XXe siècle et a fortiori à l’Allemagne, où le rôle de la critique est devenu de plus en plus une prérogative du monde universitaire et non celui de la presse51. Le transfert de cette prérogative de la communauté scientifique au monde de la presse s’explique naturellement par un ensemble de facteurs d’ordre socio-historique qui ont une incidence sur la critique dans la mesure où elle est une pratique sociale.

Rien d’étonnant, ainsi, à ce que l’on retrouve chez les auteurs qui ont entrepris une histoire de la critique un découpage chronologique dont les charnières correspondent à des événements historiques marquants ou à des courants littéraires. Si la recension évolue, c’est au gré de l’Histoire et de l’histoire littéraire. Ce constat se trouve confirmé si l’on compare ici les

d’exprimer un jugement et de laisser au lecteur la possibilité de l’approuver ou de le rejeter : „[Ich habe] mich endlich überreden lassen, auff dergleichen Arbeit etliche Reden-Stunden künfftig zu wenden, wiewohl nicht mehr in Form eines Gesprächs, im desto eher die abgeschmachteste Censur zu meiden, als ob gute Freunde ben ihren Zusammenkünfften sich nach denen regulis Dialogorum unterreden müsten. Wird demnach der geneigte Leser hinfüro sich gefallen lassen, die recension von allerhand alten und neuen Büchern sonderlich denen, die geist- und weltliche Historien, auchlitterariam & naturalem in sich halten, durch zublättern, und mein davon gesprochenes Urtheil nach seinem Belieben zu billigen oder zu verwerffen“ (Tentzel 1704 : préface).

49 „Der Dialog verlagert sich damit von den fiktiven Diskussionsteilnehmern der Monatsgespräche zur

Kommunikation zwischen dem Rezensenten und dessen Rezipienten“ (Anz & Bassner 2007 : 20).

50 “In certain cases the catastrophes of the twentieth century have influenced German literary criticism so heavily

that one can hardly neglect the political events that often set the course of history” (Wellek 1955 : 3).

51 “In Europe as literary criticism between the world wars became more and more the prerogative of the

university, very few journalists or daily reviewers established any reputation outside their particular audience. This was particulary true in Germany” (Wellek 1955 : 70).

découpages chronologiques (voir tableau ci-dessous) opérés par deux ouvrages de référence, à savoir celui de P.-U. Hohendahl (1985) et celui de T. Anz et R. Baasner (2007).

Tableau 4 : Comparaison des découpages chronologiques retenus par les auteurs

Découpage chronologique selon

P.-U. Hohendahl (1985) Découpage chronologique selon T. Anz et R. Baasner (2007)

Von der klassizistischen zu klassischen Literaturkritik 1730-1806

Die Formationsphase der deutschsprachigen Literaturkritik

Literaturkritik in der Zeit der Aufklärung

Literaturkritik in der Zeit des Sturm und Drang

Literaturkritik in der Zeit der Klassik Begriff der Literaturkritik in der

Romantik 1795-1848

Literaturkritik in der Zeit der Romantik Literaturkritik in der Epoche des

Liberalismus 1820-1870

Literaturkritik in der Zeit des Jungen Deutschland, des Biedermeier und der

Vormärz

Literaturkritik in der Zeit des Realismus

Literaturkritik zwischen Reichsgründung und 1933

Literaturkritik in der literarischen Moderne

Literaturkritik in der Weimarer Republik

Entwicklung der deutschen Literaturkritik von 1933 bis zur

Gegenwart

Literaturkritik unter dem NS-Regime und im Exil

Literaturkritik in der DDR Literaturkritik in der Bundesrepublik

On constate que les deux découpages proposés sont assez comparables, même si T. Anz et R. Baasner distinguent des périodes plus courtes. Le panorama de l’histoire de la critique que proposent les auteurs peut se concevoir en cinq périodes correspondant peu ou prou à des périodes de l’histoire allemande ou de l’histoire littéraire. La première période datée de 1730 à 1806 voit – conformément à ce qui a précédemment été expliqué52 – la naissance de la recension. D’un point de vue interne au texte, l’évolution de la recension se fait à partir d’un dialogue fictif qui devient monologue. D’un point de vue externe, ce phénomène s’accompagne de la constitution d’une opinion publique. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène purement littéraire, mais d’une pratique sociétale avec une

interaction : la société forme la critique, la critique forme la société53. Ces deux points essentiels déjà mentionnés ont plusieurs conséquences.

Tout d’abord, si le texte n’est plus un dialogue, mais le discours d’un locuteur, la question de l’identification de l’auteur n’en est pas pour autant aisée. Jusqu’au XIXe siècle, la plupart des recensions sont publiées de façon anonyme ou signées d’un pseudonyme. R. Baasner y voit l’un des traits constitutifs de la critique à cette époque54 dans la mesure où cela lui confère un réel pouvoir. En outre, les recenseurs n’hésitent pas, sous couvert d’anonymat, à publier dans différentes revues ou journaux ou encore à vendre leur texte à plusieurs reprises.

Par ailleurs, si à ses débuts la critique répond effectivement à l’idéal des Lumières qui consiste à éclairer l’opinion publique en matière littéraire, la réalité finit par décevoir les partisans des Lumières qui constatent l’impossibilité d’éduquer et d’émanciper de façon homogène le peuple55. La critique connaît une première crise identitaire dans la mesure où elle ne sait pas si elle doit orienter ses lecteurs vers ce qu’elle tient pour de la grande littérature ou prendre avant tout en considération le goût du public. Cette crise s’accompagne de l’impuissance constatée de la critique à contrôler le marché de la littérature et reflète le caractère à la fois intellectuel et commercial de l’objet livre. Enfin, à l’issue de cette première période, l’esprit du Sturm und Drang achève de décrédibiliser la critique. On dénie à cette dernière le droit à la parole face au génie de l’artiste56. C’est le début de la mauvaise réputation du recenseur, représentant le critique comme un écrivain raté qui ose critiquer l’auteur. À cet égard un vers célèbre du poème de Goethe intitulé Rezensent et datant de cette époque illustre très bien ce dénigrement du recenseur : „Schlagt ihn tot, den Hund! Es ist ein

Rezensent“57. Klaus Berghahn (1985 : 59) établit un parallèle intéressant entre la France et l’Allemagne. Il considère que la Révolution française est l’aboutissement de ce qui avait commencé avec les armes de l’esprit critique. En Allemagne, en revanche, la critique est

53 „Literaturkritik ist also im 18. Jahrhundert kein bloß innerliterarisches Phänomen umfassender Theorie- und

Geschmacksbildung, sondern sie trägt auch bei zur Konstituierung einer bürgerlichen Öffentlichkeit“ (Berghahn 1985 : 16).

54 „Die Auswirkungen der Anonymisierung prägen die Kritik wie kaum etwas anderes, sie verschaffen ihr Macht

und Ansehen im Guten wie im Schlechten“ (Baasner 2007a : 24).

55 „Der janusköpfige Charakter des Buches als Geist und Ware wurde von den Aufklärern, solange sich der

Buchmarkt durch Kritik noch steuern ließ durchaus begrüßt“ (Berghahn 1985 : 53).

56 „Diese Kritikfeindlichkeit, die sich auf einen emphatischen Geniekult stützte, machte den Dichter zum

selbstherrlichen Gesetzgeber der Kunst und degradierte den Kritiker zum kongenialen Ausleger der Werke“ (Berghahn 1985 : 53).

57 Le poème Rezensent date de 1773. Goethe y compare le critique à un homme invité à sa table qui mangerait à

sa faim, mais critiquerait les mets. Le recenseur visé serait Gießer Schmidt qui aurait réservé un mauvais accueil au Götz von Berlichingen.

frappée d’impuissance, mise au ban et se replie après 1789 dans le domaine purement esthétique, coupée de la réalité et s’adressant à un public idéal58.

Les deux ouvrages de référence retenus ici accordent une place particulière à la critique du romantisme allemand. La critique conformément au constat fait à la fin de la période précédente perd son statut de pratique sociale ancrée dans l’actualité et se retire ainsi dans « l’ésotérisme d’une pratique esthétisante »59 pour reprendre l’expression de J. Schulte-Sasse (1985 : 76). Le romantisme abandonne l’idée de vouloir éduquer le peuple par la critique60. Le nombre de recensions se voulant objectives et publiées dans les revues de savants décroît sensiblement, même si W. Grimm continue à cultiver cette tradition. En lieu et place de ces recensions de savants, R. Baasner (2007e : 63) inventorie trois catégories de critiques61 : la critique d’attaque faite sur un ton ironique, la critique à prétention historiographique et la critique à caractère apologétique. La première est pratiquée notamment par F. Schlegel. La deuxième est fortement liée au monde universitaire depuis les lectures tenues par A.-W. Schlegel à Jena puis à Berlin. Enfin, la troisième catégorie de critiques est incarnée notamment par Görres et sa recension du recueil Des Knaben Wunderhorn, véritable