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Hiérarchisation des actes textuels

II.2. Composition séquentielle des recensions

II.2.3. Séquence explicative

L’explication ne se limite pas comme la description à la période. Il existe bien entendu des périodes explicatives qui, sur de courts segments, introduisent une explication, mais il existe également des séquences explicatives articulées autour de deux opérateurs :

Un premier opérateur (POUQUOI) fait passer d’une schématisation initiale (Sch.i) qui présente un objet complexe à une schématisation qui fait problème (Sch.pb). Un second opérateur (PARCE QUE)

permet de passer de l’objet problématique à une schématisation explicative (Sch.expl) (Adam 2015 : 193).

Il est relativement aisé de comprendre la présence de séquences et de périodes explicatives dans les recensions. A priori, le travail du critique consiste en partie à rendre accessible la lecture de certains ouvrages. Le recenseur peut ainsi être amené à expliquer au lecteur certains faits ou certains contenus : le recenseur explique pour faire comprendre. Par ailleurs, dans l’activité critique, le recenseur peut également être amené à justifier ces prises de positions : le recenseur se justifie pour remporter l’adhésion du lecteur. Ce sont ces deux cas de figure qui font ici l’objet d’une analyse. Une attention particulière est portée, d’une part, à caractériser la spécificité du travail de recension, et d’autre part à ne pas désolidariser la séquence explicative des visées argumentatives qu’elle peut avoir.

II.2.3.1.

Expliquer pour faire comprendre

L’explication suppose la présence d’un destinataire auquel le locuteur explique un fait, un contenu. L’explication définit donc des statuts pour les interlocuteurs. Lorsque le recenseur explique pour faire comprendre, il met l’explication au service de la composante informative et par la même occasion il se pose en lecteur averti. En [48], on observe la schématisation initiale d’un objet complexe : le recenseur pose le roman comme étant complexe (Sch.i.). Dans un second temps, il explique la raison de cette complexité avec les deux syntagmes introduits par weil (Sch.exp.).

[48.] „Tote Tiere" ist also ein komplexer Roman: weil er mehrere Gattungen vereint, aber auch weil er widersprüchliche Emotionen und Reflexe zum Ausdruck bringt, Sympathie und Enttäuschung, Empathie und Befremdung, Lob und Schelte. Kühls Erzählstil bleibt ruhig und unaufgeregt, hat ein Tempo, das der Bezeichnung „Abenteuerroman" standhält und gleichzeitig seine Bilder, Gedanken und Assoziationen voll zur Geltung bringt (Kijowka, faz, 02.04.12., nous soulignons).

Force est de constater ici qu’il ne s’agit pas d’une séquence explicative, mais d’une simple période explicative dans la mesure où le problème n’est pas schématisé, mais simplement implicite. La seconde phase implicite correspondrait à la question de savoir pourquoi ce roman est complexe (Sch.pb). On comprend toutefois la démarche du recenseur qui pose une situation problématique avant de la résoudre pour le lecteur. En [49], le recenseur procède de façon similaire, mais cette fois-ci, c’est la schématisation initiale qui n’est pas explicite.

[49.] Warum ist Literaturkritik kein ganz steriles Geschäft, vergleichbar etwa der Qualitätsprüfung in der Nahrungsmittelindustrie? Weil man sich so schön aufregen kann. Weil man immer wieder

aufstöhnt und es einfach nicht begreifen kann, was die klugen, gebildeten und erfahrenen Literaturkritikerkollegen da wieder an Lobesfloskeln und Preisungsphrasen vom Stapel gelassen haben (Mangold, zeit, 24.03.12., nous soulignons).

On pourrait schématiser cette séquence de la façon suivante :

Sch.i. : la critique littéraire n’est pas une activité stérile (présupposé).

Sch.pb : Pourquoi la critique littéraire n’est-elle pas une activité stérile comme les contrôles sanitaires dans l’industrie agro-alimentaire ?

Sch. Expl : Parce que la critique est une activité expressive, lors de laquelle on ne peut s’empêcher de s’emporter contre les critiques dithyrambiques.

Cependant, si le recenseur se considère comme un lecteur plus averti que le lecteur lambda, les séquences explicatives peuvent varier dans leur degré de certitude. Autrement dit, le recenseur n’adopte pas nécessairement un ton savant supérieur. Il peut également illustrer les interrogations du lecteur comme le montre l’exemple [50] portant sur l’intrigue d’un roman :

[50.] Der Roman beschreibt prägnant den komplexen Prozess von Annäherung und Abstoßung zwischen Vater und Tochter, die wiedergefundene Intimität und die darauf folgenden Fluchten Veronikas. Beide quält die nicht beantwortbare Frage nach dem Warum. Hat Lily sich das Leben genommen, weil sie manisch-depressiv war? Weil sie sie im Stich gelassen haben? Weil sie ihre Tabletten nicht mehr nahm? Oder hat sie den Freitod tatsächlich frei gewählt? Lilys Geschichte erinnert an die der Dichterin Hertha Kräftner, die sich mit 23 umgebracht hat (Strigl,

stand, 25.02.12., nous soulignons).

La schématisation initiale thématise la relation complexe entre un père et sa fille. Mais la schématisation du problème est formulée sous la forme d’une impasse : il est impossible de répondre à la question portant sur la raison du suicide du personnage. Face à cette impossibilité, le recenseur propose tout de même une schématisation explicative multiple, mais qui prend la forme de nouvelles interrogations. Cet exemple illustre l’activité du critique qui consiste ici en une activité interprétative ouverte. C’est à une démarche similaire à laquelle on assiste en [51]. Le recenseur devance le questionnement de son lecteur (man mag

fragen). Cette séquence explicative est plus longue, mais fonctionne selon les principes qui

ont été définis ci-dessus.

[51.] Man mag fragen, von welcher Welt der Roman träumt, wenn sein Vexierbild zur Ruhe kommt. Gewiss träumt er nicht von guten Demokraten, denn im Imperium, und das ist sein reaktionärer Strang, sind Demokratie und Kapitalismus offenbar zwei Masken desselben Verhängnisses. Wohl aber spricht aus dem Roman eine namenlose, nur zu verständliche Trauer über die entzauberte Welt, und so träumt er – durch seine Figur Engelhardt hindurch –

von einer Erde, die nicht bis in den letzten Winkel kapitalistisch tätowiert und von Geld und Werbung beschlagnahmt ist. Warum sich Kracht diese andere Welt nicht ausmalt, liegt auf der Hand: Er nimmt den Titel seines Romans ernst, das Imperium ist totalitär, es gibt keinen symbolischen Ort, keine Sprache außerhalb seines Herrschaftsbereichs. Deshalb macht sich Kracht daran, das Imperium durch Wiederholung zu dekonstruieren, er zeigt es als leere Tautologie, als Schlange, die sich selbst auffrisst und dabei immer denselben Film abspielt, den Sieg der Vernunft über einen verrückten Deutschen (Assheuer, zeit, 23.02.12., nous soulignons).

On observe donc la schématisation d’un problème, posé sous la forme d’une question potentielle (sch.pb) et qui présuppose que l’idéal souhaité par le roman est un objet complexe (Sch.i.). La schématisation explicative est introduite et récapitulée par Warum et Deshalb. La recension a ici la prétention de concurrencer la théorie littéraire en proposant une explicitation poétologique du texte. Ainsi, l’explication peut être au service de la composante informative pour renseigner le lecteur sur des informations qui sont qualifiées, dans le modèle adapté de W. Zillig (figure 8), d’informations sur le fond ou sur l’arrière-plan. Les informations sur le fond portent dans les exemples ci-dessus sur l’intention de l’auteur [48] [51] ou sur le contenu du roman [50], celles sur l’arrière-plan concernent ici le cadre de la critique littéraire [49].

II.2.3.2.

(Se) Justifier pour convaincre

L’explication suppose, conformément à ce qui a été dit, la présence d’un destinataire. Ce dernier a besoin de l’explication ou la revendique. Elle peut dans un cas comme dans l’autre participer de la composante évaluative dans la mesure où elle peut ratifier un jugement. Le recenseur est ainsi amené à (se) justifier pour convaincre. On peut imaginer que dans la situation de communication imposée par la recension, tout jugement porté sur le roman peut faire figure de schématisation initiale dans la mesure où il appelle une justification pour être crédible. Ce constat s’inscrit en quelque sorte dans un contrat de lecture entre le recenseur et le lecteur. En [52], on observe le cas d’un jugement accompagné d’une justification. Il ne s’agit cependant pas d’une séquence explicative à proprement parler dans la mesure où cette explication ne respecte pas l’ordre de regroupement des macro-propositions. Il s’agit ici de ce que l’on pourrait nommer une pré-explication qui aboutit à un jugement.

[52.] Was so einfach klingt, ist schwierig umzusetzen - auch erzählerisch. Weil es hier glaubwürdig gelingt, ist „Das Glück von Frau Pfeiffer“ auch eines des Lesers (Lovenberg, faz, 31.03.12., nous soulignons).

Si l’on rétablit l’ordre canonique de la séquence explicative. La schématisation initiale de l’objet complexe correspondrait à l’affirmation qui consiste à dire que ce roman fait le bonheur de son lecteur (Sch.i.). La schématisation du problème est l’appel à justification implicite revendiqué par le lecteur (Sch.pb). Enfin, la schématisation explicative réside dans l’affirmation selon laquelle le roman a réussi ce qui est justement si difficile à réaliser d’un point de vue narratif. En inversant l’ordre des éléments et en terminant la période explicative par la schématisation initiale, le recenseur crée ici un effet de pointe qui permet de placer stratégiquement en fin de période le jugement porté sur le roman.

Dans l’occurrence [53], on observe un segment explicatif de nature similaire. Le recenseur justifie un de ces jugements. Cependant, à la différence de l’occurrence précédente, la séquence explicative, pour être recomposée dans son intégralité, nécessite le recours au contexte et à l’intertexte. Ce passage s’inscrit, en effet, dans une polémique autour du roman

Imperium de Christian Kracht. Le 13 février 2012 paraît dans les pages du magazine Der Spiegel un article de Georg Diez accusant Christian Kracht de nourrir une pensée

antidémocratique et de servir de porte-parole à l’extrême droite. Suite à cet article, de nombreux recenseurs prennent la défense de l’auteur et reprochent à Georg Diez d’assimiler de façon simpliste le personnage du roman Imperium et son auteur. Georg Diez publie alors un second article pour répondre à ces reproches. L’exemple suivant est extrait de ce second article :

[53.] Ich hatte also eine Vorgeschichte, als ich den Roman „Imperium" las. Und ich las, parallel dazu, den E-Mail-Wechsel „Five Years" zwischen Christian Kracht und David Woodard, der vergangenes Jahr im Wehrhahn Verlag erschienen ist. Ich las den Roman unter dem Eindruck dieser E-Mails, und ich verstand auf einmal, woher mein Unbehagen kam. Ich entschied mich deshalb, einen Text zu schreiben, der keine Rezension des Romans sein sollte, sondern den Schriftsteller Kracht in seinem Kontext beschreibt. Es ging nicht nur um ein Buch, es ging um die Gedankenwelt eines Autors (Diez, spieg, 27.02.12., nous soulignons).

Il s’agit ici d’un segment explicatif qui correspond à la troisième phase de la séquence explicative. D’ailleurs, l’adverbe deshalb fonctionne comme un indicateur de clôture de la séquence explicative. Les deux premières phases de la séquence explicative sont, en revanche, absentes du cotexte. On pourrait cependant considérer qu’à une autre échelle, le premier article de Georg Diez fait office de schématisation initiale : le recenseur y thématise les problèmes d’interprétation que pose le roman. La seconde phase, quant à elle, prend forme dans les autres recensions qui prennent parti pour l’auteur du roman et incitent, comme en [54], Georg Diez à s’expliquer :

[54.] Was Diez aus den Mails zitiert – und zwar sowohl von Kracht wie Woodard –, ist nun allerdings haarsträubend und durchaus bedenklich. Darauf unmittelbar auf den Roman zu schliessen und dessen Figur mit dem Autor zur Deckung zu bringen, ist, das sollte der Schriftsteller Georg Diez wissen, ein klassischer Kurzschluss (rbl, nzz, 17.02.12., nous soulignons).

Ainsi, il ne s’agit pas ici d’une séquence explicative ordinaire dans la mesure où elle ne constitue pas une unité compositionnelle du texte. Cependant, on constate que des éléments contextuels et intertextuels peuvent se substituer à certaines phases de la séquence explicative, montrant ainsi les enjeux énonciatifs qui sous-tendent ces séquences.

II.2.3.3.

Remarques énonciatives sur l’explication

On explique toujours quelque chose à quelqu’un. Rien d’étonnant donc, à ce que, comme cela vient d’être observé, la séquence explicative présente des enjeux d’ordre énonciatif. Les questionnements que soulève le recenseur peuvent n’être que des questions dites rhétoriques [55] visant à interpeller le lecteur et surtout à le faire adhérer à son propos.

[55.] Ja, das Buch hat Längen, wie manche Kritiker angemerkt haben. Aber warum soll ein Roman, an dessen Ende man wünscht, man könnte noch weiterlesen, kürzer sein? (Freund, stand, 17.03.12., nous soulignons).

Ici, le recenseur finit son article par une question rhétorique qui n’appelle qu’une seule réponse non équivoque et qui permet de désamorcer le reproche que l’on pourrait faire au roman d’être un peu long. Le recenseur bloque un effet perlocutoire redouté. Mais ce cas de question rhétorique n’appelle pas d’explication, il existe d’autres questions tout aussi artificielles qui permettent d’introduire l’explication comme en [56].

[56.] Rosens Erinnerungen umkreisen seine große Liebe. Mit ihr versinkt er in eine Traumnovelle, bevor sie ihm verlorengeht. Warum? Weil die Technik das Unheimliche nicht austreibt, sondern Pan in Arkadien sein Unwesen treibt. Keine Utopie also, außer der Leser glaubt, was bei Eds drittem Erwachen erzählt wird (Metz, faz, 17.03.12., nous soulignons).

L’hypothèse selon laquelle un jugement du recenseur appelle implicitement une justification pour le lecteur a été formulée. Ici, cette justification est matérialisée par le warum qui sert effectivement d’opérateur entre la schématisation initiale et la schématisation explicative. Ce questionnement correspond à celui du lecteur que le recenseur intègre ainsi dans son raisonnement. On retrouve dans ce discours monologal dialogique l’illusion d’un discours dialogal, tel qu’il était pratiqué aux origines de la recension219. Ce procédé qui consiste à

anticiper les questions de son interlocuteur possède par ailleurs un intérêt argumentatif. Enfin, en [57] on observe une occurrence similaire où la seconde phase de la séquence explicative est matérialisée sous la forme d’une question anticipée :

[57.] Das ist ein Unterschied, der in dem „reinen Roman“, als welchen Banville die „Unendlichkeiten“ begreift, den Unterschied macht. Menschen bleiben, so legt uns der große irische Erzähler nahe, auf den Tod als Elixier des Lebens angewiesen.

Warum Roman in Reinkultur? Weil hier ein Erzähler schalten und walten kann wie ein Gott, Welten aus dem Nichts der Phantasie erschafft und sie wieder in dieses Nichts zurücksinken lässt, sobald er aufhört, ihnen seine Stimme, die Stimme des Hermes, zu leihen. Die Handlung, vorderhand streng nach der Einheit von Ort und Zeit erzählt, spielt sich an einem einzigen Tag in einem einzigen Haus ab, entgleist aber lustspielartig immer wieder in Slapstickszenen und luftiger Götterdramaturgie (Geyer, faz, 10.03.12., nous soulignons).

Cependant, on trouve ici en outre une dimension méta-énonciative dans la séquence explicative. La schématisation initiale correspond au segment reinen Roman qui n’est pas un concept littéraire et appelle par conséquent une explication pour le lecteur ordinaire. La schématisation du problème revient donc sur cette notion (Warum Roman in Reinkultur?) et introduit de ce fait la schématisation explicative (weil).

Ces brèves remarques énonciatives sur l’explication n’ont pas pour prétention d’être exhaustives et il convient de se reporter au troisième chapitre de ce travail pour une analyse plus complète des enjeux énonciatifs. Par ailleurs, ces remarques ne contredisent en rien les analyses faites sur les séquences explicatives au service de la composante informative, d’une part, et de la composante évaluative, d’autre part. Elles montrent cependant l’intérêt qu’il peut y avoir à faire une lecture énonciative des séquences textuelles en tant que regroupement ordonné de propositions-énoncés en macro-propositions liées entre elles.