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L’École française d’Analyse du Discours

I.4. Synthèse et perspectives

La critique apparaît de prime abord comme un objet de nature hétérogène, à tel point qu’il semble difficile de l’instituer en objet d’étude : à la fois faculté de l’esprit, exercice de cette faculté, production langagière et corps de métier, la critique recouvre des réalités et des pratiques très diverses. Aussi faut-il considérer la critique comme une pratique qui s’actualise à travers différents genres. Celui qui est retenu ici, est celui de la recension qui a connu une évolution au cours des siècles : alors qu’elle a pour ancêtre des productions fictives dialogales comme les Monatsgespräche de C. Thomasius au XVIIe siècle, la recension a évolué vers des textes monologaux dialogiques158. Autrement dit, la recension apparaît à ses origines comme un discours produit fictivement par au moins deux locuteurs pour devenir un discours produit par un seul locuteur, mais qui conserve néanmoins une structure d’échange. Il convient de formuler ici l’hypothèse stylistique selon laquelle la recension a intégré cette forme dialogale première pour devenir un genre dont les éléments constitutifs se définissent en termes de rapports métatextuels et d’hétérogénéité énonciative. Cette hypothèse va de pair avec d’autres hypothèses formulées dans la recherche au sujet de la stabilisation de la pratique critique dans le genre de la recension159. Tandis qu’au XVIIIe sièle, la critique connaît une diversité de formes d’expression, la forme de la recension tendrait aujourd’hui à se stabiliser. Aussi est-il pertinent de retenir comme objet d’étude les recensions répondant à des critères précis, à savoir des textes appartenant au discours critique de l’espace germanophone contemporain, publiés dans la presse et ayant pour objet un roman. Au vu des premières observations, c’est l’étude de textes contemporains qui a été retenu. Un changement dans les pratiques a, en effet, eu lieu entre le XIXe et le XXe siècle, faisant de ce dernier le siècle de la critique. Par ailleurs, privilégier les textes portant sur un même objet générique, à savoir le roman, permet de déterminer dans quelle mesure cet objet peut avoir des répercussions sur l’organisation des recensions. Enfin, le fait de s’intéresser exclusivement à des textes publiés dans la presse

158 La double distinction entre discours monogal/dialogal et discours monologique/dialogique évoquée ici,

s’appuie sur la définition suivante : « Nous proposons d’ajouter à la distinction traditionnelle entre un discours produit par un seul locuteur/scripteur, appelé monologal, et un discours produit par deux locuteurs/scripteurs, au moins, appelé dialogal, la distinction entre un discours à structure d’intervention, dont les constituants immédiats sont liés par des fonctions interactives, que nous appelons monologique, et un discours à structure d’échange, dont les constituants immédiats liés par des fonctions illocutoires initiative et réactive, que nous appelons dialogique » (Roulet et alii 1991 : 60).

159 „Abweichungen vom tradierten Textmuster sind äußerst selten. Dagegen kennt das 18. Jahrhundert

literarische Besprechungen in einer Vielzahl von Ausdrucksweisen. Wissenschaftliche Textgattungen sind hier ebenso vertreten wie publizistische und literarische Formen; neben Abhandlungen und Analysen gibt es Anzeigen, Kommentare, aber auch Satiren, Briefe, Parodien und Essays. Damit ist mehr bezeichnet als eine Diversität im Formalen“ (Urban 2004 : 237).

généraliste permet de délimiter l’ancrage institutionnel, qui impose une situation de production spécifique, voire une intention communicationnelle biaisée par d’autres impératifs. La critique journalistique possédant un fort degré d’actualité, il est possible de postuler l’emploi d’un certain nombre de procédés spécifiquement journalistiques participant ou non du genre recension.

Une première étude bibliographique a permis de mettre en évidence l’intérêt suscité dans la recherche par le discours critique. Cet intérêt est de plusieurs ordres :

- un intérêt historique/diachronique : nombreuses sont les études retraçant l’évolution de la critique littéraire en France ou en Allemagne comme le travail de P.-U. Hohendahl (1985) qui a été mis à jour et prolongé notamment par T. Anz et R. Baasner (2004). D’autres travaux s’intéressent en outre aux origines de la critique littéraire (Kluge 2009), ou du moins aux origines communément admises par la recherche et qui correspondent, au XVIIIe siècle, à l’apparition d’une opinion publique.

- un intérêt dans les sciences humaines en général : la recension est un objet d’étude pluridisciplinaire. Dans la mesure où ses origines coïncident avec l’apparition d’une opinion publique, la sociologie et la philosophie lui accordent un intérêt certain afin de comprendre comment s’articulent la critique et la société, et notamment afin de comprendre comment elle peut organiser une sédimentation culturelle inconsciente. Par ailleurs, les études littéraires s’intéressent traditionnellement à la recension en s’interrogeant sur son degré d’autonomie en tant que texte et en montrant qu’elle n’est pas un discours sur mais avec la littérature.

- un intérêt dans les sciences du langage : la critique scientifique semble occuper un statut particulier. Il n’est certes pas étonnant que la recherche s’interroge de façon introspective sur la manière dont elle perçoit et reçoit ses publications. La thèse de S. Adam (2007) se consacre à ce type de critique tout en affirmant paradoxalement que c’est la Kunstrezension, la recension d’art, qui constitue l’archétype du discours critique. Les problématiques proprement linguistiques portent sur les régularités structurelles et compositionnelles des recensions, sur leur degré de normativité ainsi que sur les configurations énonciatives répondant à des stratégies argumentatives spécifiques. Cependant, les perspectives adoptées se limitent souvent à la recension scientifique, portent sur le discours critique en général ou ne prennent pas en considération l’épineuse imbrication du discours critique dans la presse.

Le choix de la recension comme objet d’étude est par conséquent conforté par ce passage en revue de l’état de la recherche. Afin de mener à bien cette étude, il convient de s’appuyer,

d’une part, sur le cadre théorique de la Textsortenlinguistik qui fournit des outils en matière de classification générique. D’autre part, il faut faire appel aux travaux de l’École française d’Analyse du Discours et aux outils de la linguistique énonciative afin de reconstituer le dispositif d’énonciation qui inscrit la composition textuelle des recensions dans la situation de communication qui leur est propre. Enfin, l’ensemble de ces appareils théoriques doit être confronté à un corpus afin d’éprouver leur bien-fondé et d’élaborer de nouveaux outils d’analyse.

II. Fonction, composition et