• Aucun résultat trouvé

Les contributions allemandes II

1. La théorie des sources (TDS)

Une brève exposition : le caractère régulier (regelmässig) A.

Pour les tenants de la théorie des sources, le revenu prend la forme « d’un flux continu et régulier généré par une source stable », ou « durable »127. L’Allemand FUISTING proposait la définition suivante (traduite de l’allemand par RUSCONI) :

« [L]’ensemble des biens réels affluant au cours d’une période déterminée des sources durables de produits que possède un individu, biens dont il dispose pour satisfaire ses propres besoins et ceux des personnes qu’il est légalement tenu d’entretenir. »128 Il s’agissait de mesurer le pouvoir de disposition de l’individu au cours d’une période donnée en mettant l’accent sur les avantages économiques qui sont susceptibles de lui parvenir avec régularité d’une période à l’autre. Pour qu’il y ait récurrence, le revenu devait provenir de sources stables comme la terre, le travail ou le capital.

a. Les sources : la terre, le travail et le capital

Dans un arrêt ancien129, le Tribunal fédéral avait défini la source comme :

« Le moyen par lequel le contribuable reçoit des recettes qui, en tant que rendement, peuvent être mises en comparaison avec ce qu’il possédait jusqu’alors. Le rendement brut de la source est réduit de certaines dépenses. »130

Parmi les sources stables du revenu, il y a en particulier la terre, la force de travail et le capital. La terre rapporte à son propriétaire un revenu foncier, la force de travail rapporte au travailleur une partie du produit de son activité et le capital rapporte au capitaliste une partie du profit résultant de l’investissement. Les trois sources peuvent être combinées.

Terre, travail et capital sont ainsi susceptibles de générer un revenu régulier.

Le capital a un caractère stable particulièrement prononcé ; il permet théoriquement de produire des recettes sur une période illimitée. La valeur de la terre a par ailleurs tendance à augmenter en raison de la diminution des surfaces habitables induite par la densification de la

127 Voir WUELLER, p. 146 ; TIPKE/LANG, p. 320 N 182 ; OBERSON,Droit fiscal, p. 96 N 3 ; NOËL, CR LIFD, ad art. 16 N 5 ; MENGIARDI, p. 47 et s.

128 RUSCONI,p. 15 et s. et les références citées ; pour une traduction similaire de l’approche de FUISTING, voir RIVIER, Revenu, p. 299 ; pour une version en allemand, voir HIRT, p.

126.

129 Arrêt du TF du 19 juin 1964 publié aux Archives 33 p. 478 et à la RDAF 1965 p. 292.

130 Arrêt du TF du 19 juin 1964 consid. 1 publié aux Archives 33 p. 478/481 et à la RDAF 1965 292 p. 293.

147

148

149

150

151

population. En revanche, la force de travail n’est pas illimitée ; elle s’épuise avec le temps et tend à diminuer à mesure que l’âge avance.

b. Le critère de la stabilité de la source

Au-delà de la différence d’intensité, ces sources sont de nature à générer des recettes à intervalles plus ou moins réguliers. Elles participent en effet à l’enrichissement durable de l’individu. Le caractère stable de la source constitue le critère fondamental du raisonnement parce que la pérennité de la source est synonyme de production de recettes régulières131. Le revenu est ainsi constitué essentiellement de recettes qui sont susceptibles de se « régénérer », peu importe la fréquence.

A l’inverse, les recettes uniques ou extraordinaires provenant de l’aliénation d’une source de revenus sont écartées de la définition : le tarissement ou la disparition de la source neutralise l’enrichissement132. D’un point de vue comptable, l’exclusion des gains extraordinaires (windfalls) peut se justifier dans la mesure où ils sont susceptibles de fausser l’appréciation des investisseurs et créanciers au sujet des bénéfices futurs de l’entreprise133.

Sous l’angle de la capacité économique, le contribuable qui bénéficie d’un revenu extraordinaire jouit d’une augmentation de son pouvoir de disposition. L’ignorer peut, selon nous, avoir pour conséquence de traiter deux situations semblables, différemment134.

Le gain obtenu dans un casino, celui qui résulte de la vente d’une voiture d’occasion ou l’intérêt perçu sur une obligation de la Confédération ont tous pour effet d’accroître les moyens dont dispose l’individu pour s’acquitter de l’impôt. Selon la théorie des sources, les deux premiers éléments ne constituent pas des revenus dès lors que l’enrichissement de l’individu coïncide avec la disparition de la source.

Celle-ci consacre par conséquent une notion restrictive du revenu.

131 Voir notamment WEIDMAN, Zeitpunkt der Realisation von Ertrag und Einkommen im Handels- und Steuerrecht, p. 12 ; BRACK, p. 45 ;SALOM,p. 40 et s ; SCHANZ, p. 11 ; NOËL (CR LIFD, ad art. 16 N 5) utilise la formule suivante : « le revenu imposable ne peut procéder que d’une source durable, qui produit à intervalles réguliers un flux de richesse ».

132 Pour BRACK (p. 58), la stabilité de la source du revenu est un critère imparfait car : « il n’y a pas de source qui ne s’épuise à la longue ». En 1941 déjà, BRACK pointait le doigt sur les limites de cette conception en raison de la faiblesse du critère sur lequel elle repose ; en droit français, voir la thèse (ancienne) de COLIN, p. 243.

133 En ce sens, KALDOR, The concept of income in economic theory, p. 173.

134 Sur cette critique, voir KALDOR, An Expenditure Tax, p. 68.

152

153

154

155

c. Le revenu est disponible au moment de la séparation entre le contenant et le contenu

La différence entre revenu et gain en capital pourrait remonter à l’origine à la définition des droits du « life tenant » par rapport à l’objet immobilier dans le contexte du droit des trusts anglo-saxons135. De la distinction ontologique entre revenu et capital, le droit fiscal britannique aurait conçu deux concepts distincts : le récipiendaire devait avoir, si ce n’est la titularité juridique, un pouvoir économique sur l’objet dont découlait le revenu136. Cela n’est pas le cas en présence d’un gain en capital. Il existerait donc une bonne raison de le distinguer des autres revenus. Il n’est pas exclu cependant qu’une partie du gain en capital procède de la force de travail que l’individu a mise à contribution137. Le gain qui en découle n’est alors pas si différent des autres revenus. La force de travail déployée vise en effet à augmenter la valeur du capital. Il se justifie de la prendre en compte fiscalement.

Que la dominante soit conjoncturelle ou structurelle, l’actualisation du gain conditionne généralement son imposition : au moment de la

« réalisation », un droit patrimonial se substitue à un autre droit (réel ou contractuel). Le revenu se matérialise dans un autre bien ou droit au moment où celui-ci est séparé du capital138. De latente, la plus-value devient actuelle139.

Quelques illustrations B.

Au nombre des exemples les plus courants, on trouve :

i. Le salaire, car le travailleur est maître de sa force de travail ;

ii. Les revenus de la fortune immobilière, en particulier le loyer car la mise à disposition de l’immeuble en échange du versement d’un loyer peut se faire sans atteinte à la substance de l’élément de fortune. L’immeuble continue de faire partie intégrante du patrimoine du propriétaire qui le remet en location.

Parmi les éléments qui sont exclus du revenu selon la théorie des sources, on trouve notamment :

i. La plus-value réalisée à l’occasion de l’aliénation d’un élément du patrimoine, puisque la source disparaît au moment où le gain est

135 AVERY-JONES/DE BROE/ELLIS et al.,p. 225.

136 AVERY-JONES /DE BROE/ELLIS et al. (p. 225) soulignent que cette décision a influencé la conception de la loi d’imposition britannique sur le revenu qui a elle-même inspiré celles de l’Australie et du Canada.

137 WUELLER, p. 158 citant GÄRTNER, Über den EinkommensBergriff, Finanz-Archiv, p 515.

138 TIPKE/LANG, p. 275 N 50.

139 Sur la traduction du concept en droit suisse, voir RIVIER, Obligations à intérêt unique prédominant, p. 457.

156

157

158

159

réalisé140 ;

ii. Les droits et biens reçus par le biais d’une donation, à la suite d’une succession ou de la liquidation d’une personne morale. Ces gains extraordinaires ne proviennent pas d’une source stable et durable141 ; iii. Le gain perçu par un inventeur à l’occasion de la cession complète et

irrévocable des droits qu’il détient sur sa création, pour la même raison142 ;

iv. Le gain de loterie en raison de son caractère aléatoire143 ; v. Le versement d’une prestation en réparation du tort moral144.

Nos commentaires C.

La théorie des sources se concentre sur les propriétés de la source du revenu, non sur l’effet qu’il produit sur le patrimoine. Elle consacre ainsi une approche structurelle et formaliste du revenu : le revenu est le flux périodique que l’on retire d’une source stable.

En français, elle a pour elle le sens du mot de revenu, lequel évoque l’idée de récurrence ou de périodicité de l’objet145 : le revenu est ce qui revient ou est amené à revenir146. Elle a ainsi inspiré la métaphore de fruit périodique pour désigner le revenu147.

Au regard de la capacité économique des individus (ou de leur pouvoir d’achat), le caractère extraordinaire du revenu ne suffit pas à justifier une exclusion de la base imposable.

140 NOËL, CR LIFD, ad art. 16 N 5 et la référence citée.

141 NOËL, CR LIFD, ad art. 24 N 3 ; OBERSON, Droit fiscal, p. 97 N 4.

142 Pour d’autres exemples, voir RIVIER, Revenu, p. 299 ; pour une critique, voir SCHANZ, p.

143 N20. OËL, CR LIFD, ad art. 16 N 5.

144 Pour justifier sa décision de ne pas imposer les « punitives damages », la Cour d’appel du troisième circuit aux Etats-Unis utilisait l’argument suivant, tiré de la théorie des sources :

« We believe that the ordinary man regards income as something which comes to him from what he has done, not from something which is done to him. This is perhaps an over-simplification but we are of the opinion that the ordinary man using terms of common speech would not regard punitive damages as “income” […] », Court of Appeals, Third Circuit, Commissioner of Internal Revenue v. Glenshaw Glass Co.commissioner of Internal Revenue v. William Goldman Theatres, Inc. 211 F.2d 928 (1954). Celle-ci fut toutefois déjugée par la Cour suprême des Etats-Unis dans son arrêt de principe sur la notion de revenu.

145 BRACK (p. 64) voit dans l’étymologie française du terme revenu essentiellement l’idée de recettes qui affluent avec une certaine régularité, tout en nuançant la portée de cette constatation en rappelant que les termes anglais et allemand insistent plutôt sur l’idée de quelque chose qui entre dans le patrimoine.

146 NOËL (CR LIFD, ad art. 16, N 5) rappelle que dans la terminologie française l’idée de répétition est évidente, revenu étant le substantif de revenir.

147 En ce sens, HIRT, p. 127.

160

161

162

Au cours de l’année N., Amandine jouit d’une capacité économique semblable qu’elle « gagne » une somme de CHF 50’000 dans un jeu de loterie, revenu extraordinaire, ou qu’elle perçoive CHF 50’000 en raison du travail qu’elle a accompli pour son employeur.

Le facteur de récurrence a certes une incidence sur la capacité économique du contribuable envisagée sur une période étendue. Mais le principe de l’annuité de l’impôt qui a pour effet de morceler le substrat imposable en fonction des périodes fiscales (généralement courtes d’un an) réduit cette incidence. Du point de vue du pouvoir d’achat des individus au cours de la période d’examen, il est indifférent que le gain provienne d’une source stable ou qu’il ait un caractère exceptionnel.

L’abandon des distinctions à raison de la source a l’avantage d’éviter que ceux qui ont les moyens d’organiser leur patrimoine bénéficient d’un traitement de faveur contraire à l’équité en transformant la qualité de leur revenu.

Pour le professeur NOËL, la théorie des sources trouve une forme de consécration en droit suisse dans l’exonération des gains en capital de la fortune privée148. Selon nous, cette exonération ne doit pas être extrapolée. Elle doit être comprise comme une dérogation au système de l’imposition du revenu global net149, laquelle doit être interprétée restrictivement150.

Quoique les revenus soient formellement classés par catégories selon le critère de la provenance, la théorie des sources a perdu toute autorité dans l’interprétation de la clause générale du revenu151. En revanche, la source du revenu ou sa nature est toujours pertinente en matière de double imposition intercantonale et internationale où la répartition des éléments imposables (positifs ou négatifs) entre les différentes souverainetés suppose qu’on les distingue à partir des catégories légales. Celles-ci reposent sur le critère de la source152. Elle conserve également de l’influence en matière d’impôt anticipé où seuls certains rendements de fortune sont appréhendés.

2. La théorie de l’accroissement du patrimoine (TAP)