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Que puis-je attendre de la recherche juridique ?

Excursus : les éléments de méthode III

1. Que puis-je attendre de la recherche juridique ?

Deux remarques générales s’imposent en relation avec le domaine d’étude (A.), avant d’introduire les défis qui se présentent à l’apprenti-doctorant (B. ; C.).

Une première loi « naturelle » A.

Après avoir choisi mon thème (en l’occurrence, l’acquisition du revenu des personnes non astreintes à tenir des comptes) et l’avoir problématisé (la disponibilité du revenu), je me suis trouvé confronté à mon premier dilemme méthodologique : déduire ou induire ? L’enjeu, à l’évidence, n’était pas de trancher, mais de choisir un angle pour approcher la recherche. Avec CABALLERO GUZMAN, je suis en effet conscient des limites de la scientificité d’une réflexion juridique :

« Pareils aux botanistes qui font des herbiers ou aux entomologistes qui font des collections, les juristes analysent, distinguent, rapprochent et classent. »46

Au moins trois arguments donnent raison à cette analogie entre juristes et botanistes.

1° Dans les systèmes civilistes, la recherche juridique consiste principalement à ordonnancer. L’entreprise est à la fois modeste et ambitieuse : il ne s’agit pas de résoudre une question fondamentale ou de faire avancer la science. Certes, le doctorant cherche à relier des effets à des causes dans le but de préciser le sens d’une norme ou de la concrétiser. La construction a néanmoins des limites. Au-delà du choix d’une approche empirico-inductive ou hypothético-déductive, le travail de juriste consiste, essentiellement, à décrire et à expliquer. Le problème est moins celui d’inventer des concepts que de s’approprier l’Histoire d’un texte, d’une disposition ou d’une notion. La raconter peut contribuer à en révéler le sens.

2° Expliquer des procédés législatifs, pratiquer l’herméneutique ou formuler des propositions normatives suppose de mener une recherche qui dépasse la règle et sa portée. On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le système de la loi et les relations qu’elle entretient avec d’autres objets de l’ordre juridique, y compris les principes généraux.

L’harmonisation horizontale et verticale des lois d’imposition du revenu en Suisse ayant été largement réalisée sous l’angle de l’assiette de l’impôt (y compris l’imposition dans le temps), je me bornerai à renvoyer aux bases légales fédérales et à la jurisprudence pertinente47/48. Il pourra

46 CABALLERO GUZMAN,p. 90.

47 L’harmonisation des impôts directs comporte deux pans. Le premier est horizontal, c’est-à-dire que l’harmonisation est réalisée entre les cantons, d'une part, et, dans le canton, entre les communes, d'autre part. Le second est vertical, c’est-à-dire que l’harmonisation 62

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aussi s’avérer nécessaire de sortir du cadre des textes légaux pour chercher d’autres idées, plus grandes, d’une part, et de croiser les méthodes pour trouver d’autres pistes de réflexion, d’autre part.

3° Quels avantages peut-on trouver dans une démarche qui procède par hypothèses et déductions ? Emprunter cette voie assure quelques conclusions logiques par le prisme du raisonnement syllogistique ; le risque existe alors de perdre de vue les enjeux pratiques. Certaines normes imposent en effet une confrontation à une situation concrète en raison de l’indétermination des notions qu’elle comporte. Faut-il dès lors se concentrer sur la récolte de données et leur traitement ? Emprunter cette voie permet certes de travailler sur des particularismes pour chercher à traiter de façon similaire ce qui doit l’être et de séparer le reste. Le risque est cependant de poser la mauvaise question, voire de manquer de distance. Celle-ci est pourtant nécessaire à la recherche académique.

Le compromis réside peut-être dans la prise de conscience qu’une relation dialectique peut s’installer entre ces deux approches, au fil de l’étude. C’est l’option que j’ai prise : à la manière d’un botaniste, j’ai observé des cas concrets, cherché à les distinguer, à les rapprocher et à les classer.

Une deuxième loi « humaine » : de l’étudiant en droit au doctorant B.

Une lecture hâtive de l’extrait mis en exergue de la Critique de la raison pure pourrait donner à penser que l’entreprise de rédaction d’une thèse de doctorat est vouée à l’échec ab initio49. Le candidat n’est-il pas dépourvu des attributs nécessaires à sa réalisation ? Au sortir de mes études, j’étais de fait incapable de me servir de toute connaissance pratique pour conduire ma réflexion.

L’expérience faisait défaut ; pourtant, il fallait que je m’invente les qualités requises.

Comment substituer un chercheur à l’étudiant de la veille ? J’ignorais jusqu’à la façon d’entamer mon travail. Je savais, tout au plus, qu’une des finalités est réalisée entre la Confédération et les cantons, puis entre les cantons et les communes.

48 Les dispositions de la LHID, similaires à celles de la LIFD, ne peuvent pas être interprétées différemment des dispositions prévues par la LIFD. Pour le Tribunal fédéral,

« [u]ne interprétation divergente irait à l'encontre de l'harmonisation verticale et porterait atteinte à la volonté de simplifier l'application du droit poursuivie par la loi sur l'harmonisation fiscale », voir notamment ATF 133 II 287 consid. 2.2 p. 290 ; arrêts du TF 2A.683/2004 du 15 juin 2005 consid. 4.4, 2A.480/2004 du 2 février 2005 consid. 3.3 publié à la RDAF 2005 II 227 p. 232. Sur l’harmonisation de l’impôt sur le revenu et ses limites, voir YERSIN, Harmonisation, p. 295 ; REICH (Steuerrecht, p. 172 N 66) relève qu’il reste quelques différences dès lors que certains cantons connaissent une définition plus étroite de la notion de rendement de fortune provenant de droits de participation, en particulier la remise d’actions gratuites et l’augmentation de valeur nominale des actions.

49 Supra p. 4.

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était de produire, au terme d’une réflexion approfondie, un résultat écrit, attestant d’une étude soigneuse. Pour obtenir son doctorat, le candidat ne doit-il pas mener à bien des recherches afin de développer une proposition, sa thèse ? L’inquiétude naquit ainsi dès les premiers jours avec la question initiale (selon la chronologie du doctorant), qui n’était autre que celle que j’allais poser, me poser. A la fois la plus difficile et la plus importante, cette question allait m’occuper pendant des années. Elle pouvait avoir de l’influence au-delà de ma thèse. Il était ainsi naturel que le doute s’installât avec le premier temps de la réflexion : celui de la définition et de la délimitation de la question de thèse.

Après le choix du sujet, les choses s’accélérèrent doucement. Le deuxième temps fut celui de la collecte et du tri de données : l’apprenti-doctorant que j’étais a commencé à exploiter les informations recueillies. Il a fallu prendre conscience que la préparation d’une thèse ne consistait pas « à changer le monde ». Il s’agissait plus modestement de commencer par identifier les problèmes, de s’atteler à les isoler, avant de pouvoir les résoudre. Le processus d’ordonnancement était en marche.

Le principal défi fut celui de consentir au temps-long. Comme une thèse ne s’écrit pas au rythme d’une écriture judiciaire, il a fallu accepter une phase de transition. Les données recueillies ne pouvaient être transposées sous une forme, espérons-le, intelligible qu’au terme d’un lent processus de maturation.

Ce fut le troisième temps de la recherche.

Le mouvement n’étant pas linéaire, ces trois périodes se sont succédé autant qu’elles se sont enchevêtrées : il y eut le temps de l’observation, le temps de l’analyse et le temps des réponses.

Les trois temps : constat, analyse hypothético-déductive et casuistique C.

La démarche suivie dans cette étude consiste à mettre en relation des faits observés à propos d’un objet particulier : le revenu. J’ai dit que mon objectif n’était pas d’élaborer une théorie générale ou de formuler une proposition de définition. Ce serait prématuré. Le revenu est une notion encore dynamique.

Elle est à la fois phénoménale et construite. Je me contenterai dès lors d’emprunter des éléments de réflexion à la science économique et à la doctrine fiscale pour proposer une méthode de résolution des cas d’acquisition du revenu à partir de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Trois questions devront selon moi être posées à cette fin :

1° Est-on en présence d’un avantage économique ? 2° L’avantage économique est-il disponible ?

3° L’avantage économique est-il exonéré par la loi ou l’autorité fiscale a-t-elle renoncé à l’imposer ?

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Pour y répondre, notre recherche se déroulera en trois temps : le constat (1°), la théorie (2°) et la pratique (3°).

1° Au temps du constat, le problème sera circonscrit, les termes définis et les conceptions du revenu exposées. Nous chercherons essentiellement à décrire.

2° Au temps de la théorie, nous offrirons des pistes de lecture de la loi et des éléments de méthode. Nous chercherons aussi à mettre en évidence l’architecture du système pour donner des points de repères solides.

Nos considérations procéderont alors essentiellement de déductions.

3° Au temps de la mise en pratique, nous répondrons à la question de thèse de manière concrète. Des regroupements et des différenciations de situations sensibiliseront le lecteur au moment de l’acquisition du revenu. En l’absence de solution légale ou a priori, c’est l’étude de cas qui permettra de cerner le problème avec le plus d’acuité.

Pour moi, l’objectif principal consistera à mener une réflexion qui soit susceptible d’introduire un ordre relatif dans la matière étudiée. Si une généralisation m’était permise, je dirais que la mise à l’épreuve de la raison de plusieurs propositions peut permettre au chercheur d’aboutir à un résultat qu’il jugera fiable. Entreprendre une thèse (ou une synthèse) suppose de relier des faits entre eux et de rechercher des causes aux effets observés. L’achever autorise, dans le meilleur des cas, à formuler une proposition originale. La mienne est la suivante : l’acquisition du revenu des contribuables qui ne tiennent pas de comptes coïncide, sauf exception, avec le moment où l’avantage économique devient librement disponible.

La disponibilité du revenu constitue ainsi un concept opératoire pour décrire ce qui est visé.

2. Quelques-unes des particularités du domaine étudié