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Le patrimoine, le capital et le dommage III

3. Distinctions entre revenu et dommage

Le dommage est-il l’inverse du revenu ? Une étude approfondie du rapport entre les notions (civile) de dommage et (fiscale) de revenu présenterait un intérêt certain. La superposition du droit fiscal implique en effet de tirer les conséquences logiques de la qualification retenue en droit privé.

En matière de responsabilité civile, l’idée fondamentale est de rétablir le patrimoine du lésé dans son état antérieur à l’incident, non d’enrichir ce

632 Voir notamment les art. 620 al. 1 CO pour les sociétés anonymes ; art. 764 al. 1 CO pour les sociétés en commandite ; art. 772 al. 1 CO, pour les sociétés à responsabilité limitée.

633 Pour plus de détails sur la structure du capital et les mesures correctives du droit fiscal, infra p. 140-143.

634 En ce sens, PIGOU, p. 123.

635 Infra Chapitre 13.

636 A ce sujet, voir en particulier infra p. 303.

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dernier. Dès lors, lorsque le juge (civil) constate un dommage, l’intuition voudrait que le lésé ne soit pas imposé sur la réparation qui lui est accordée.

Cette intuition ne se vérifie pas toujours. Le revenu correspond à l’augmentation nette du patrimoine du contribuable637, tandis que le dommage correspond à la diminution involontaire du patrimoine du lésé638. Plus précisément, le revenu se détermine en application de la théorie de l’accroissement du patrimoine : il suppose que l’on appréhende la variation positive du patrimoine de l’individu au cours de la période d’examen. Le dommage se détermine en application de la théorie de la différence : il suppose que l’on compare le patrimoine du lésé en imaginant l’état dans lequel il se trouverait sans l’acte dommageable639 . Dans les deux cas, le but est de reconstituer a posteriori un patrimoine hypothétique640.

La somme qu’alloue le juge au lésé vise à le replacer dans la situation qui serait la sienne s’il n’avait eu à subir un acte dommageable. L’interdiction de la

« surindemnisation » (Überentschädigungsverbot) constitue en outre un

« principe cardinal » du droit de la responsabilité civile, y compris en relation avec le droit des assurances sociales641. En l’absence de surindemnisation, il ne devrait pas y avoir de revenu imposable. Par conséquent, la symétrie entre revenu et dommage vaut apparemment pour le damnum emergens dans le système de la fortune privée642. Cela étant, le dommage suppose une diminution involontaire du patrimoine :

637 En ce sens, HUNZIKER/MAYER-KNOBEL,Kommentar DGB, ad art. 24 N 3 ; sur la définition économique du revenu, supra Chapitre 3. et sa transposition dans l’ordre juridique infra Chapitre 8.

638 CHAPPUIS (p. 27) précise, à juste titre, en citant PETITPIERRE que c’est l’atteinte dont est victime le lésé qui doit être indépendante de sa volonté. Les dépenses qui en résultent (le dommage) peuvent être consenties volontairement (p. ex. le patient décide de se faire soigner). Cette précision a de l’importance, car, en matière fiscale, le contribuable qui consent à une atteinte ne peut pas demander que la contre-prestation qu’il reçoit soit exclue du champ de l’impôt au motif qu’il s’agirait d’un « dédommagement ». Par exemple, le boxeur qui obtient un cachet pour avoir combattu et subi des lésions ne peut pas soutenir qu’une partie de son cachet correspond à une compensation pour les contusions, hématomes et autres lésions dont il a souffert.

639 CHAPPUIS, p. 29 et les arrêts cités.

640 Pour la définition économique du revenu, supra Chapitre 3.III.2.B.

641 CHAPPUIS (p. 22) avec référence aux ATF 132 III 321 consid. 2.2.1 p. 324 et 129 III 135 consid. 2.2. p. 143.

642 Au sujet des revenus de remplacement en général, voir en particulier l’art. 23 let. a à c LIFD ; à propos des « Schadenersatzleistungen », voir RICHNER/FREI/KAUFMANN/MEUTER, Handkommentar DBG, Remarques préliminaires ad art. 16-39 N 27, ad art. 16 N 28 et ad art. art. 22 N 89 ; pour le cas particulier du dommage à un actif commercial dans le système de la fortune commerciale, voir RICHNER/FREI/KAUFMANN/MEUTER, Handkommentar DBG, ad art. 16 N 156 ; sur le tort moral, infra p. 272 et s.

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« [c]elui qui diminue volontairement son patrimoine ne subit pas un dommage ; il contracte une obligation, procède à une aliénation, renonce à un droit, fait un acte de consommation ou une impense. »643

Le contribuable peut ainsi être imposé sur ce qu’il perçoit en échange de cet acte volontaire. Cette nuance fait que les deux notions ne sont pas symétriques.

En droit civil, l’entier du dommage doit au demeurant être réparé ; il importe peu que les conséquences de l’acte dommageable se déclarent immédiatement après sa survenance ou au compte-goutte dans les semaines, voire les mois qui suivent. Pour éviter les problèmes de calculs, le juge est parfois contraint de distinguer deux postes : le « dommage actuel » et « le dommage futur »644.

1° Le dommage actuel compense la personne lésée pour la perte éprouvée à compter de l’acte ayant causé le préjudice et jusqu’au moment du jugement.

2° Le dommage futur, plus délicat à définir, suppose que le juge se livre à un pronostic sur les événements susceptibles de survenir après sa décision. Pour être inclus dans la réparation, le dommage futur doit être suffisamment déterminable645.

Le critère pertinent pour la qualification est celui du moment du jugement646. Si l’un et l’autre de ces « deux postes » suivent des règles de détermination qui ne se recoupent pas entièrement, ils représentent, d’un point de vue économique, un « même préjudice »647. Selon CHAPPUIS :

« La perte de gain à indemniser est la diminution de revenus648 que le lésé a subie, en raison du fait générateur de responsabilité, depuis la survenance de ce dernier jusqu’au jour du jugement. Il s’agit d’un dommage actuel qui doit être distingué de l’atteinte à l’avenir économique, soit la perte de gain qui survient après le prononcé du jugement. »649

L’autorité fiscale cherche, quant à elle, à reconstituer l’ensemble des éléments qui sont venus augmenter la fortune du contribuable au cours de la période fiscale sous examen. Dans la mesure où le juge octroie une indemnité pour compenser une perte de gain (lucrum cessans), celle-ci constitue un avantage économique pour le contribuable dont la fortune augmente. Il en va de même

643 DESCHENAUX/TERCIER, § 3 N 12.

644 CHAPPUIS distingue le « préjudice actuel » (p. 207 ss) et le « dommage futur » (p. 276 ss).

645 CHAPPUIS, p. 277.

646 Ibidem.

647 CHAPPUIS, p. 254 ; le Tribunal fédéral précise que : « la distinction n’a d’autre fonction que celle de faciliter le calcul du juge, car il s’agit en fait de deux postes d’un même préjudice » (arrêt du TF 4C.324/2005 du 5 janvier 2006 consid. 3.2 cité par CHAPPUIS, p.

276).

648 Mis en évidence par l’auteur.

649 CHAPPUIS, p. 250 et s.

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lorsque l’indemnité provient d’un employeur ou d’un assureur650. Les notions de revenu et de dommage sont ainsi asymétriques en ce qui concerne l’indemnisation de la perte de gain651.

650 RICHNER/FREI/KAUFMANN/MEUTER, Handkommentar DBG, Remarques préliminaires ad art.

16-39 N 28 et ad art. 16 N 29.

651 Ce problème sera traité plus en détail infra Chapitre 15.