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Quelques-unes des particularités du domaine étudié De la réticence à ancrer des concepts dans la loi

Excursus : les éléments de méthode III

2. Quelques-unes des particularités du domaine étudié De la réticence à ancrer des concepts dans la loi

A.

Malgré l’accélération de son développement depuis quelques décennies, la

« science fiscale » en est encore à ses balbutiements. MAURICE LAURÉ formulait ce constat dès les premières lignes de l’ouvrage qu’il y consacre50.

50 LAURÉ, p. 3-9 ; LAURÉ est reconnu comme le « créateur » de cet impôt indirect que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de « taxe sur la valeur ajoutée ». Dans une thèse pour le doctorat de l’Université Panthéon-Assas, BOURGET consacre plus de 1000 pages à la science juridique et au droit financier et fiscal sans faire mentir LAURÉ. Mise en relation avec l’étude des principes du droit privé, la science fiscale n’a, si l’on peut dire, pas encore atteint l’âge de la puberté. En retraçant notamment l’évolution moderne du droit fiscal allemand dès la fin du 19ème siècle, la doctrine méthodologique et dogmatique de l’Ecole fiscale de GRIZIOTTI en Italie, ainsi que l’apport de JÈZE au développement de la partie juridique des finances publiques en France, BOURGET présente une étude complète

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Contrairement au droit privé où certaines institutions légales furent imaginées il y a plus de 2000 ans, peu de concepts sont ancrés dans les lois fiscales. Leur création est rendue plus difficile parce que la matière doit s’adapter à l’évolution des activités économiques. La loi ne fixe pas toujours de critères a priori, de sorte qu’il appartient au juge d’apprécier chaque situation en fonction de l’ensemble des circonstances. En cas de dispute, l’intention prime le plus souvent l’expression ; les finances de l’Etat en dépendent.

Etant donné la composante aléatoire qui accompagne l’issue d’une réclamation ou d’un recours, les contribuables cherchent à les éviter. Ils préfèrent se protéger contre les surprises en allant solliciter une décision préalable, un

« ruling », auprès de l’autorité compétente. Les décisions des tribunaux représentent ainsi une portion relativement congrue de l’activité fiscale. Même si la pratique des autorités est publiée, le contribuable doit composer avec un accès plus délicat à l’information en la matière. Il en va de même pour le chercheur.

De la réticence à définir le revenu B.

Dans un monde idéal, la définition des contours du revenu échapperait aux décisions politiques ; seuls les taux seraient sujets à des modifications. Une définition juridique de l’objet de l’impôt aurait naturellement l’avantage d’améliorer la sécurité du droit et, par conséquent, sa prévisibilité.

Dans la préface d’un ouvrage consacré à la notion de revenu du capital, l’association européenne des professeurs de droit fiscal (EALTP) mettait en exergue un extrait de la contribution du Professeur LANG :

« It is a task of the tax sciences to strengthen the certainty of law by finding a concept of income which is generally accepted. The taxpayer ought to rely on the fact that there are neither loopholes nor hidden privileges for his neighbour. Politicians may determine tax rates but the definition of income as the best measure for the ability to pay taxes should not be a playing field for politicians. The non-political character of the income tax base gives stability to the tax law. Institutions of civil law have grown in long traditions of jurisprudence and therefore immunized against abuse. The legal definition of income should obtain the same immunity. This gives the taxpayer the feeling that taxation is part of a civilized society. »51

Une définition juridique du revenu préserverait la base imposable de distorsions fondées sur des raisons extrinsèques au système de l’impôt. La notion de revenu étant la clé de voûte, un consensus sur ses éléments de l’enfance de cette science et des influences réciproques de ses différents géniteurs. Il montre qu’elle se développe dans le premier quart du 20ème siècle, voir p. 1137.

Malheureusement, l’apport du Suisse BLUMENSTEIN ne fait pas l’objet d’une section spéciale. Sa délimitation entre droit fiscal matériel et formel est toutefois mentionnée (p.

351), puis brièvement exposée (p. 352 et s.).

51 LANG, The Influence of Tax Principles on the Notion of Income, p. 5 et General Report, Préface.

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caractéristiques favoriserait la prévisibilité et l’équité de l’impôt. Le revenu est, je l’ai dit, avant tout « à rattachement économique ». L’observation et la définition de ses propriétés pourrait ainsi échapper au principe de territorialité. Il faudra néanmoins encore du temps pour y parvenir.

Il se trouve que la fiscalité est aussi l’un des derniers bastions de la souveraineté des Etats, à la fois levier politique et instrument de concurrence.

Pour ces deux raisons déjà et quoique les contours de la notion soient théoriquement universalisables, les Etats connaissent des régimes différenciés d’imposition du revenu. Les choix législatifs n’ôtent rien au travail du chercheur qui peut contribuer à améliorer la lisibilité d’un régime particulier, notamment en mettant en évidence les exceptions et traitements de faveur qu’il comporte. L’entreprise permet ainsi de favoriser l’égalité de traitement entre les citoyens.

Après la question préalable de la notion, s’interroger sur le moment du revenu consiste à observer les propriétés des rapports de droit établis sans négliger les rapports de force. La loi prévoit en effet dans certains cas que l’appréciation fiscale s’écarte des rapports de droit qu’ont noués les parties pour mieux coïncider avec la réalité économique. On parle alors d’autonomie du droit fiscal.

La méthodologie que nous avons adoptée suit la logique de la superposition sans ignorer les exceptions qui s’y attachent.

Dans les deux cas, il est impératif d’apprécier les caractéristiques du sous-jacent, le fait économique. L’événement ayant une incidence fiscale peut être de deux ordres :

1° Soit il est déclenché par la conclusion d’un acte juridique (Rechtsgeschäft) ou par la loi, auquel cas l’état de fait est déjà qualifié en droit ; il est connoté juridiquement. Raisonner en droit fiscal, c’est alors procéder à une qualification secondaire de la relation de faits (rapport de superposition), tandis que la qualification primaire relève du droit privé (rapport de base) ;

2° Soit il est déclenché par la survenance d’un acte matériel, auquel cas l’état de fait n’est pas forcément connoté juridiquement. Raisonner en droit fiscal, c’est alors prendre la mesure d’un événement économique pour en tirer les conséquences.

Jus ex facto oritur C.

Le droit est né du fait. L’imposition du revenu n’échappe pas à ce constat. Le

« système » suisse, comme d’autres, s’est construit à coups d’exceptions et de corrections. L’exonération des gains en capital de la fortune privée en constitue la pierre angulaire. N’étant pas arrêtée de façon générale et abstraite, la délimitation entre revenu imposable et gain exonéré suppose régulièrement le recours aux conseils du mandataire, suivie d’une appréciation de l’autorité ou

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du juge. La complexité des échanges ou des structures, la singularité des situations et la sophistication des parties ont ainsi pour conséquence que la règle ne naît que de la décision finale du juge. C’est à lui que l’autorité est conférée.

Certes, au-delà de la relation entre circonstances concrètes et dispositif normatif, l’autorité qui est chargée d’appliquer la loi rend publique sa pratique à travers des ordonnances administratives. Et le contribuable lui soumet son analyse par écrit (ruling), soucieux d’en confirmer le bien-fondé. Pourtant, l’une comme l’autre savent que la « réponse » au problème posé dépend autant de l’articulation de la question (framing the issue) que de la coïncidence exacte avec une mesure définie. Sans minimiser la fonction normative du droit, cette étude entend composer avec la réalité qui lui dicte sa loi : le droit n’est autre que le fait des rapports humains. Le juge « donne corps » à la règle à chaque décision d’application. Avant cela, son sens n’est pas toujours déterminé, et, après, sa portée relative.

D’aucuns dénoncent les notions juridiques indéterminées comme des atteintes au principe de la sécurité du droit. D’autres se satisfont du pouvoir laissé au juge d’apprécier la singularité du cas pour décider en équité, c’est-à-dire de façon adaptée aux circonstances particulières de la situation. A l’aide d’observations et de décisions de jurisprudence, le praticien devient plus sensible aux facteurs et autres indices utilisés en droit fiscal. La résolution des cas complexes, à l’instar de ceux qui sont portés devant le Tribunal fédéral, impose un examen rigoureux de toutes les circonstances. La même question peut ainsi connaître des réponses différentes en fonction du temps, de l’endroit et des arguments qu’ont avancés les parties.