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La théorie de l’accroissement du patrimoine (TAP) Une brève exposition

Les contributions allemandes II

2. La théorie de l’accroissement du patrimoine (TAP) Une brève exposition

A.

a. Le postulat

On ne peut pas faire l’économie d’une compréhension générale de la théorie de l’accroissement du patrimoine (TAP) pour aborder de façon

148 NOËL,CR LIFD, ad art. 16 N 9.

149 A ce sujet, infra note de bas de page 832.

150 A ce sujet, infra Chapitre 7.

151 HIRT (p. 127) la qualifie de dépassée : « [d]ie Quellentheorie gilt heute deshalb zu Recht als überkommen» ; MENGIARDI, p. 48 ;au sujet de l’interprétation de la clause générale, infra Chapitre 8.

152 Sur la question, voir en particulier DE VRIES REILINGH, p. 155 N 473.

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pragmatique la notion de revenu en doit fiscal. Si la loi consacre une notion plus restrictive que ne le voudrait cette approche, la TAP constitue en effet le point de départ de l’analyse en présence d’un événement susceptible de tomber dans le champ d’application de l’art.

16 al. 1 LIFD.

Elle est le résultat d’un travail scientifique de plus d’un demi-siècle en Allemagne autour de la notion de revenu153. Comme on l’a vu, SCHANZ fut le premier à remettre fondamentalement en cause la théorie des sources, dominante à l’époque154. A une approche structuraliste, il chercha à substituer une approche conséquentialiste qui reflète mieux la capacité économique de l’individu155.

La théorie de l’accroissement du patrimoine, en allemand Reinvermögenszugangstheorie, postule que le revenu se compose de tout ce qui contribue à l’augmentation du patrimoine de l’individu au cours de la période envisagée156. Pour mesurer la variation de son patrimoine, on peut en théorie procéder de la façon suivante :

1° En premier lieu, constater l’état du patrimoine au commencement de la période (T.0) ;

2° En second lieu, faire la somme de l’ensemble des éléments qui accroissent le patrimoine de l’individu au cours de la période (T.0 à T+1) ;

3° En troisième lieu, soustraire de la somme obtenue les frais reliés à l’acquisition des éléments donnant lieu à un accroissement, car le

« surplus de patrimoine consommable » ou « revenu disponible » ne comprend pas les sommes engagées pour le dégager (T.0 à T+1) ; 4° En quatrième lieu, constater l’état du patrimoine au terme de la

période (T+1) ;

5° En dernier lieu, faire la différence entre l’état du patrimoine au terme de la période et l’état du patrimoine au commencement de la période pour obtenir le montant théorique de revenu réalisé (T+1).

153 Les premières réflexions spécifiquement consacrées à la notion fiscale de revenu datent de 1832 avec notamment l’économiste HERMANN jusqu’à SCHANZ qui publie en 1896 : « Der Einkommensbegriff und die Einkommensteuergesetze » et marque un tournant dans l’approche de la notion de revenu ; sur les principaux apports des économistes allemands du 18ème siècle au sujet de la notion de revenu imposable, voir WUELLER, p. 141-160 ; SCHANZ (p. 6) reproduit la définition du revenu d’Hermann : « dieSumme der wirtschaftlichen oder Tauschgüter, welche in einer gewissen Zeit zu dem ungeschmälert fortbestehenden Stammgut einer Person neu hinzutreten, die sie daher beliebig verwenden kann ».

154 Supra note de bas de page 119.

155 SCHANZ (p. 5) « wirtschaftliche Kraft eine Person in einer bestimmten Period » ; dans le même sens, WUELLER,p. 155 avec référence àSCHANZ.

156 SCHANZ, p. 23 ; dans ce sens RUSCONI, p. 16.

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b. L’évolution du rapport de droits et obligations

Avec la TAP, c’est le résultat qui compte, non la forme. On s’intéresse à l’évolution du rapport entre les droits et les obligations du contribuable entre deux périodes données.

L’acquisition d’un droit (un voisin tond ma pelouse gratuitement ; j’occupe une maison abandonnée pendant deux mois) ou d’un bien (je reçois une toile de maître appartenant à mon vieil oncle) représente toujours un revenu, que l’attribution d’un avantage ait été consentie ou non, qu’elle soit susceptible de se répéter ou non, que la source disparaisse ou non. En outre, l’enrichissement peut provenir d’éléments extérieurs au patrimoine (je reçois un livre de JEAN-JACQUES ROUSSEAU), comme d’éléments qui le composent (je vis dans ma propre maison).

La mesure de la variation positive s’effectue au temps T+1 compte tenu de l’état du patrimoine au temps T.0.Toutes choses étant égales par ailleurs, la période devrait être suffisamment longue pour être significative en termes de mesure de la variation. En réalité, les contraintes budgétaires de l’Etat imposent une période généralement courte d’un an.

c. L’inclusion des accroissements « endogènes »

Les accroissements de valeur intrinsèque des biens ou des droits, que le professeur REICH qualifie d’accroissements « endogènes », sont inclus dans le revenu de l’individu157. L’exemple le plus courant est celui de l’augmentation de valeur d’un terrain pour des raisons conjoncturelles.

Sans que Pierre déploie d’activité, il se peut que le prix du marché pour sa villa sur les bords du Léman s’élève. Selon la TAP, il est enrichi.

Malgré l’absence de réalisation du gain, l’avantage économique est déjà considéré comme un revenu.

Pierre exécute des travaux dans sa maison, il « se rend un service à lui-même ». Selon la TAP, il réalise un revenu correspondant à la valeur des travaux effectués. Les lois d’imposition du revenu excluent généralement les revenus en l’absence d’entrée d’un avantage économique dans le patrimoine.

L’augmentation de la valeur d’un titre de participation suit le même sort : il s’agit d’un revenu, même en l’absence de mobilisation effective de la valeur. En dérogation à la TAP, le droit fiscal n’impose pas cet avantage économique avant qu’il ne se soit matérialisé dans un acte d’aliénation du contribuable. La loi introduit ainsi un correctif à la TAP avec le principe de réalisation : faute de transaction ayant pour effet d’actualiser la plus-value, l’impôt sur le revenu n’appréhende pas cette

157 Pour une définition des accroissements endogènes du patrimoine, voir REICH,Steuerrecht, p. 209 N 14 à la note de bas de page 16.

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augmentation de valeur158. D’un point de vue conceptuel, la théorie de l’accroissement du patrimoine se distingue de la théorie des sources dans la mesure où il n’est pas nécessaire de détacher la partie du tout pour qu’il y ait revenu159.

Quelques illustrations B.

a. L’accroissement net

En guise d’illustrations, on trouve parmi les éléments qui participent à l’accroissement du patrimoine de l’individu :

i. Les avantages en nature ou appréciables en argent ; les intérêts d’avoirs bancaires ou servis sur un prêt ; les coupons d’obligation ; les sommes versées par l’employeur (salaires, bonus, gratifications, primes d’ancienneté, etc.) ; les rémunérations pour services rendus en tant qu’administrateur ; les plus-values sur l’aliénation d’un élément du patrimoine ; le produit obtenu lors de la vente de droits de souscription ; la valeur locative160 ; le produit tiré de la cession ou de l’exploitation de biens immatériels ; les sommes perçues des assurances-vieillesse et survivants, invalidité, chômage, perte de gain ; la pension alimentaire pour le crédirentier ;

ii. Les sommes uniques ou périodiques obtenues ensuite de décès (p.

ex. en cas de succession)161 ; le bénéfice d’un legs ou d’une donation162 ; les indemnités obtenues en échange de la renonciation à l’exercice d’un droit ; gains de loteries, de jeux ou de paris163 ; les aides publiques ou privées ; les sommes allouées à titre de réparation morale à la suite d’une décision judiciaire164 ; la perception d’une somme d’argent à l’occasion de la liquidation du régime matrimonial165.

158 Les raisons sont nombreuses : le contribuable ne dispose pas de liquidités suffisantes, l’objet ne peut pas être évalué au jour le jour, l’autorité n’a pas les moyens logistiques de suivre l’évolution du bien en temps réel.

159 En ce sens, REICH/WEIDMANN,KommentarStHG, ad art. 7 N 10.

160 SCHANZ, p. 6 et s.

161 SCHANZ, p. 7 et s. et p. 24.

162 Pour une intéressante analogie entre la situation du donateur et du vendeur, voir SCHANZ, p. 10 et s. ; ég. p. 16 et s. pour une démonstration du caractère « risible » d’ignorer les donations au motif qu’elles n’auraient pas un caractère régulier (récurrent) dans l’hypothèse où l’on cherche à prendre en compte la capacité économique de l’individu (Leistungsfähigkeit).

163 SCHANZ, p. 24 ; d’un avis apparemment moins tranché, LANG, The Influence of Tax Principles on the Notion of Income, p. 19 ; HIRT, p. 128.

164 BRACK, p. 63.

165 Dans ce sens, NOËL, CR LIFD, ad art. 24 N 3 ; RIVIER, Revenu, p. 300.

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b. La diminution nette

A l’inverse, les événements suivants entraînent une diminution du patrimoine :

i. Les intérêts passifs et la perte en capital166 ;

ii. Les frais d’administration du patrimoine, tels que les frais bancaires ; iii. Les contributions alimentaires et d’entretien qui grèvent le

patrimoine du débirentier ;

iv. Qu’il s’agisse d’une amende d’ordre ou d’une peine pécuniaire, les sanctions que prévoit le droit pénal à la suite de la commission d’une infraction entraînent une diminution du patrimoine ;

v. Le paiement des impôts entraîne une diminution du patrimoine.

c. Les événements neutres

Par définition, le remboursement de primes ou de cotisations à un assuré ou le remboursement qu’accorde l’employeur ne sont pas des revenus. Le travailleur qui encourt des dépenses dans le cadre de l’exercice de son activité n’est logiquement pas appauvri dès lors qu’il peut en réclamer le remboursement à son employeur. Il en va de même des prestations allouées en compensation du damnum emergens167. Contrairement au produit de la vente de droits préférentiels de souscription (Bezugsrechten), la simple attribution de tels droits ou leur exercice n’augmente pas le patrimoine de l’individu. A cette occasion, l’actionnaire ne reçoit rien de plus que ce qu’il n’avait déjà168.

Le transfert de la propriété d’une somme d’argent par le prêteur à l’emprunteur à l’occasion d’un prêt de consommation n’est pas un revenu dès lors qu’en contrepartie celui-ci s’engage à rendre la même somme à celui-là169. La dette peut être comprise comme une renonciation à une consommation future, puisqu’il se produit simultanément dans le patrimoine du prêteur une augmentation de l’actif et du passif. Pour cette raison, il n’y a pas d’accroissement des ressources disponibles.

166 SCHANZ, p. 7 et s. et p. 24 ; REICH,Steuerrecht, p. 209 N 12 ; WUELLER, p. 156.

167 Voir arrêt du TF 2C_120/2008 du 13 août 2008 consid. 3.3 publié à la RDAF 2009 II 34 p.

38 et les références citées.

168 REICH/WEIDMANN,KommentarStHG, ad art. 7 N 79.

169 Voir l’art. 312 al.1 CO.

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Quelques commentaires C.

a. L’origine du revenu ou sa cause sont indifférentes

Avec la TAP, il s’agit d’observer l’effet d’une série d’événements sur le patrimoine de l’individu, sans se préoccuper des causes de l’enrichissement. Peu importe la qualité du débiteur, voire l’existence d’un débiteur, le revenu peut provenir de n’importe qui, de n’importe quoi et de n’importe où. Par exemple, le revenu n’est pas rattaché à une contre-prestation ou à un investissement consenti préalablement. Il n’est relié qu’à un sujet, un espace et un intervalle de temps. La jouissance de biens à usage durable et les prestations à soi-même sont compris dans la définition du revenu. Pour cette raison, la TAP donne lieu à une conception extensive du revenu, dont on dit qu’il n’a pas de

« couleur »170.

b. L’acquisition du revenu est observée sur une période, non sur un instant

La TAP a en outre cette autre particularité qu’elle ne renseigne pas précisément sur l’instant où l’élément particulier vient enrichir l’individu et se limite à concevoir le revenu de façon globale171. La réalisation ou la disponibilité du revenu n’est pas un élément constitutif du revenu pour les tenants de la théorie de SCHANZ172, dès lors qu’elle mesure la variation des droits et obligations de l’individu entre deux périodes données173. En droit suisse, les principes de réalisation et de disponibilité du revenu viennent tempérer le caractère extensif de la TAP en imposant un critère pour fixer le moment de l’acquisition du revenu174.

Selon la TAP, il est indifférent que le revenu ait un caractère régulier, irrégulier, voire unique. Cela signifie que les gains occasionnels et les revenus extraordinaires sont compris dans l’assiette de l’impôt175. Il se peut qu’un revenu ayant un caractère unique contribue à une augmentation significative du taux d’imposition au cours d’une période donnée. L’impératif de périodicité de l’impôt entre ainsi en collision avec le principe de la capacité économique du contribuable.

170 Dans ce sens, RIVIER, Revenu, p. 299.

171 WEIDMANN, Zeitpunkt der Realisation von Ertrag und Einkommen im Handels- und Steuerrecht, p. 21.

172 Voir WUELLER, p. 155.

173 Dans ce sens, SALOM, p. 41 ; apparemment d’un autre avis, OBRIST, p. 140 et s.

174 Sur le défaut théorique et le défaut pratique de la TAP, voir HIRT, p. 129.

175 En ce sens, RUSCONI, p. 16.

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c. La fréquence de l’évaluation

Etant donné que la détermination du revenu se produit de façon régulière (d’année en année), le risque de déviation est limité à la période de calcul où le gain exceptionnel est réalisé. Dès l’année suivante, la situation est revue et peut être modifiée. L’avancée des dispositifs de contrôle (moyens technologiques et systèmes d’échanges de renseignements entre autorités) permet de penser que la précision de l’évaluation de la variation du patrimoine va continuer à aller croissant. Si la comptabilisation d’opérations mineures était autrefois exclue, il se peut qu’elle soit demain permise. Par conséquent, l’évolution du patrimoine peut être mesurée de plus en plus précisément.

Si la théorie des sources est aujourd’hui reléguée au second plan pour analyser une situation non réglée par la loi fiscale, elle conserve une certaine influence en droit civil. Lorsqu’il apprécie les différents facteurs à prendre en considération pour fixer la contribution d’entretien, le juge tempère l’incidence des revenus apériodiques dans sa détermination des revenus respectifs des époux. L’influence de la théorie des sources se justifie dans ce contexte étant donné que la détermination de la contribution par le juge a un caractère prospectif. A la différence du revenu imposable, le revenu qui sert de calcul pour la contribution d’entretien n’est pas réévalué chaque année. Le caractère stable de la source permet de pallier l’incertitude qui accompagne le jugement.

3. La théorie de la participation au marché (TPM)