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Le revenu en rapport avec d’autres notions juridiques I

1. Relations entre revenu, chose, bien et valeurs patrimoniales La coïncidence n’est pas entière entre les notions de revenu et de chose (1°), de revenu et de bien (2°) ou de revenu et de créance (3°). Aucun de ces concepts empruntés au droit privé ne saisit entièrement le phénomène économique à l’œuvre. Essayons de les distinguer de manière synthétique :

1° Tandis que la chose désigne en droit une portion délimitée et impersonnelle de l’univers matériel, susceptible d’une maîtrise humaine et qui se distingue de l’animal476, le revenu peut prendre d’autres formes, notamment celles d’un droit de créance, de jouissance ou de propriété. Le revenu n’est pas limité à la chose au sens des droits réels ; 2° La notion de biens est tantôt plus étroite et tantôt plus large que celle de

chose. En droit privé, la doctrine française définit les biens comme des droits ayant une valeur économique, avec ou sans, le support matériel d’une chose corporelle477. Un bien c’est à peu près tout ce qui peut faire l’objet d’une appropriation478. En Suisse, la notion de « biens » semble avoir moins d’importance que la notion de « chose » en droit réel. En revanche, en matière fiscale, l’art. 3 let. b LTVA définit les biens comme suit : « les choses, mobilières et immobilières, ainsi que le courant électrique, le gaz, la chaleur, le froid et les biens analogues ». Tout comme le revenu, le bien est alternativement corporel ou incorporel, selon que l’on peut le toucher physiquement ou non. Le revenu peut certes prendre la forme d’un bien corporel, lorsque l’individu reçoit, par exemple, un bien meuble ou un immeuble. Cependant, le revenu peut également prendre la forme d’un bien incorporel lorsque l’individu bénéficie de l’attribution d’un droit réel, d’un droit de créance ou de la naissance d’une prétention en justice. Il peut enfin prendre la forme d’un bien incorporel absolu, tel qu’un droit à une part des bénéfices d’une société en nom collectif. Le revenu se distingue dès lors du bien en ce sens qu’il constitue le reflet pécuniaire de l’acquisition du bien dans le patrimoine, non le bien lui-même. Le revenu s’épuise dans l’instant ; le bien s’inscrit dans la durée ;

3° La notion de « valeurs patrimoniales » occupe une place importante en droit pénal. Parmi les infractions qui recourent à cette notion, il y a en particulier l’abus de confiance et le blanchiment d’argent. Selon l’art.

476 Voir STEINAUER,t. I,p. 58 et s. qui précise que la chose ne doit pas avoir été soustraite au droit privé, voir « choses du patrimoine administratif » ou « choses dans l’usage commun ».

477 BERGEL/BRUSCHI/CIMAMONTI,p. 2 ; le bien caractérise plutôt le droit qui porte sur la chose que la chose elle-même.

478 BERGEL,p.3.

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138 ch. 1 al. 2 CP, l’emploi sans droit d’une valeur patrimoniale est passible d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Le comportement incriminé est celui qui consiste à porter atteinte à l’obligation de maintenir et restituer la valeur patrimoniale d’autrui. L’auteur de l’infraction est certes titulaire juridique de la chose confiée par mélange, mais dans les faits (économiquement) la valeur n’est pas la sienne. L’intérêt que protège cette disposition n’est pas la propriété au sens des droits réels, mais « la propriété économique », c’est-à-dire la qualité d’ayant droit économique des fonds (ultimate beneficial owner)479. L’auteur de l’infraction accomplit un acte ayant pour effet de priver le lésé des « valeurs patrimoniales » qui lui appartiennent, « sur un plan économique »480. Les valeurs patrimoniales correspondent en effet à « tout avantage économique susceptible d’être estimé en argent »481.

Par ailleurs, l’art. 305bis CP réprime « celui qui aura commis un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime […] ». La doctrine s’appuie notamment sur une interprétation historique pour montrer que cette notion inclut les biens meubles et les immeubles, l’argent, les créances ou les autres droits qui leur sont attachés, ainsi que « les métaux et pierres précieux »482. Cette notion « à rattachement économique » est donc large et se rapproche de ce que l’on entend par revenu.

Du point de vue économique, le revenu inclut en outre les « prestations à soi-même » qu’effectue le contribuable (p. ex. le peintre en bâtiment qui repeint sa maison). Il en va de même de la valeur de jouissance des biens à usage durable, tels qu’un yacht ou une villa. Pris dans cette acception large, le revenu est encore plus inclusif que la notion de valeur patrimoniale. En revanche, la notion fiscale de revenu en droit suisse est moins inclusive en raison des exceptions que consacre la loi (p.

ex. l’exonération des gains en capital, des donations et des successions)483.

De la bientôt désuète monnaie aux valeurs patrimoniales en passant par le bien ou la créance, rien ne saisit entièrement cet objet particulier qu’est le revenu. Nous préférons le décrire comme un afflux de valeur, un transfert de flux ou une augmentation du pouvoir de disposition de l’individu entre deux périodes

479 Sur la notion d’ayant droit économique dans le contexte des art 305ter CP et 4 LBA, voir CASSANI,Finanzmarktaufsicht, p. 137.

480 En ce sens, DE PREUX/HULLIGER, CR CP II, ad art. 138 CP N 32.

481 DE PREUX/HULLIGER, CR CP II, ad art. 138 CP N 31.

482 CF, Message sur le blanchissage d'argent, p. 981 et s. ; CASSANI, CR CP II, ad 305bis N 15 ; ég. la même auteure,Finanzmarktaufsicht, p. 127.

483 Sur le système d’imposition du revenu en Suisse et la notion fiscale de revenu, infra Chapitre 7 et Chapitre 8.

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de temps. L’objet doit en effet être relié à un sujet et s’inscrire dans un cadre spatial et temporel. Le revenu ne se définissant pas dans l’absolu, il exprime un changement de l’état des choses : il mesure une variation.

2. Un « avantage économique »

On l’a vu, le revenu est plus qu’un droit ou une valeur patrimoniale. Il peut aussi prendre la forme d’une chose ou d’un bien. Il recouvre l’ensemble de ces notions, sans se confondre avec l’une ou l’autre d’entre elles. La formule d’avantage économique doit dès lors être préférée. Cette locution est déjà employée, à notre connaissance, à deux reprises dans l’ordre juridique suisse.

1° Elle se trouve en droit comptable où l’actif en particulier est défini à l’art. 959 al. 2 CO et comprend :

« [L]es éléments du patrimoine dont l’entreprise peut disposer en raison d’événements passés, dont elle attend un flux d’avantages économiques484 et dont la valeur peut être estimée avec un degré de fiabilité suffisant. »

Le législateur vise ainsi à décrire un phénomène large, un ensemble plus important que ne le permettent les notions de gains, rendements, droits ou biens. Tous les avantages que l’entreprise est susceptible de recevoir à l’avenir sont visés, quelle que soit leur forme juridique.

2° La notion d’avantage économique figure à l’art. 3 let. c. LTVA où la prestation est définie comme :

« [L]e fait d’accorder à un tiers un avantage économique485 consommable dans l’attente d’une contre-prestation ; constitue également une prestation celle qui est fournie en vertu de la loi ou sur réquisition d’une autorité. »486

Comme en droit comptable, le législateur vise un phénomène économique en matière de taxe sur la valeur ajoutée. C’est « le fait d’accorder à un tiers un avantage», indépendamment de la forme qu’il peut prendre.

3. Synthèse intermédiaire

Le revenu est plus qu’une chose, une valeur patrimoniale ou mobilière A.

En résumé, le revenu, ce que l’individu perçoit en retour, peut être exprimé à travers une série de concepts juridiques :

i. Il peut s’agir d’un objet matériel, délimité, susceptible d’appropriation et impersonnel, à savoir une chose au sens de l’art. 713 CC487 ;

ii. Il peut s’agir d’une valeur patrimoniale au sens du Code pénal488 ;

484 Mis en évidence par l’auteur.

485 Mis en évidence par l’auteur.

486 Art. 3 let. c LTVA.

487 STEINAUER, t. I, p. 56-58 N 60-68.

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