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Le revenu : un phénomène ou une notion indéterminée ?

Avant qu’il ne serve de base au prélèvement d’un impôt, les expériences se sont multipliées pour tenter de conceptualiser le revenu7. Les résultats se sont révélés concluants de manière générale. Depuis plus d’un siècle, les approches ont peu évolué au fond : d’un revenu-source à un revenu-variation, la tendance

5 Sur les sens du mot revenu, infra p. 28-31.

6 Sur l’imposition de la découverte d’un trésor, infra p. 275-278 ; sur les « Frequent Flyer Miles », infra p. 270 ; sur la remise de dette, infra p. 280-283.

7 A ce sujet, voir REICH, Steuerrecht, p. 205 N 1 et les références citées dans la note de bas de page 1.

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serait à la conception d’un revenu-consommation8. La capacité économique demeure l’aune à partir de laquelle envisager le problème. Les difficultés surviennent au moment de concrétiser les choses.

En l’état, le revenu est encore pensé comme une variation de patrimoine à l’intérieur d’une période d’examen définie. Les sciences économiques offrent des pistes de réflexion logiques que les droits nationaux précisent, aménagent ou ignorent. Comme le nuage de pollution, la notion de revenu répond à des impératifs qui ne s’arrêtent pas aux frontières.

En Allemagne et aux Etats-Unis, les interrogations sur l’objet de l’impôt ne cessent d’occuper la recherche des grandes universités. Nous nous y référerons de façon ponctuelle9.

Le fiscaliste ne peut pas échapper aux problèmes que pose la définition du revenu. Qu’il s’intéresse au carried interest, à une donation, à la reconnaissance d’un gain en capital ou à l’imposition partielle d’un dividende, le problème à l’origine des autres réside dans les éléments caractéristiques de chaque type d’avantage économique10. Quel est ce phénomène ou cette notion que l’impôt cherche à saisir ?

En Suisse, la loi regroupe les différents types de revenus par catégories. Les deux catégories principales distinguent revenus du travail et revenus de la fortune en fonction du critère de la source ; une troisième catégorie rassemble des revenus divers (autres revenus). Les revenus de la prévoyance font l’objet d’un régime particulier. La loi comporte ainsi un catalogue exemplatif de revenus imposables et une liste exhaustive d’exonérations11. Pour ceux qui auraient échappé à une mention expresse, on a prévu une clause générale qui

« ferme » le système12. Avec ce procédé, le législateur peut se garder d’attribuer des éléments caractéristiques au revenu. Il laisse le soin aux juges de l’appréhender avec pragmatisme.

Si la plupart des revenus correspondent à la conception économique de SCHANZ-HAIG-SIMONS13, le droit exonère certains avantages qui répondent à cette définition. Il en va ainsi en particulier des gains en capital issus de la fortune privée. La « praticabilité administrative » explique certains écarts entre les notions juridique et économique de revenu. D’autres résultent de compromis législatifs ou tiennent à des politiques d’incitation.

8 AUERBACH,p. 13 ss ;WARREN, Choice between Income and Consumption Taxes, p. 54 ss ; WARREN, Would a Consumption Tax be Fairer, p. 1081 ss ;KAPLOW, Capital Levies and Transition to a Consumption Tax, 112 ss ; KAPLOW, The Income Tax versus the Consumption Tax, p. 35 ;MCNULTY,p.2095.

9 A ce sujet, infra Chapitre 3.

10 Sur l’utilisation de cette locution, voir en particulier infra p. 99-101 .

11 Pour les avis de la doctrine à ce sujet, infra Chapitre 8. et note de bas de page 990.

12 Infra Chapitre 8. et note de bas de page 990.

13 Infra Chapitre 3.III.

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La démarcation la plus nette entre l’économie et le droit se trouve dans la détermination du moment du revenu : quel est l’événement qui déclenche son acquisition ? En raison de la valeur-temps de l’argent (time value of money), les intérêts du fisc et ceux du contribuable divergent sur cette question. Celui-ci cherche en effet à différer la réalisation de ses gains et à accélérer la comptabilisation de ses pertes ou de ses frais, celui-là défend une position inverse14. Dans la mesure où, une fois encore, la loi ne fixe pas la règle a priori, le juge arbitre.

Lorsque la réception d’un avantage économique repose sur un acte générateur d’obligations, est-il préférable de faire dépendre le moment du revenu de la conclusion du contrat, de son exécution, de l’échéance ou de l’exigibilité de la prestation ? Le Tribunal fédéral répond en fixant une règle propre au droit fiscal. Selon une jurisprudence constante, un revenu est réputé « réalisé » :

« [L]orsqu’une prestation est faite au contribuable ou que ce dernier acquiert une prétention ferme sur laquelle il a effectivement un pouvoir de disposition. »15 Il précise en outre que :

« L’acquisition d’une prétention est déjà considérée comme un revenu dans la mesure où son exécution ne paraît pas incertaine. »16

Cette règle prétorienne s’applique à tous les types de revenus. Elle a pour vocation de fixer des critères d’appréciation devant le silence de la loi. Au-delà des avantages que le contribuable reçoit physiquement (p. ex. lors de la remise effective de valeurs en numéraire), certains rapports de droit exigent en effet une analyse rigoureuse des circonstances. Qu’est-ce qu’une prétention ferme ? Qui est titulaire du pouvoir de disposition ? Quand l’exécution est-elle incertaine ? Sur le plan de la méthode, on peut s’interroger sur le sens à attribuer à ces notions. Les rapports de droit (privé ou public) sont-ils le point de départ pour déterminer le moment du revenu ? Faut-il au contraire apprécier la situation selon la réalité économique ? Les deux approches ne sont peut-être pas exclusives ; il se pourrait bien qu’elles soient complémentaires17.

14 Sur les intérêts antagonistes du fisc et du contribuable concernant la valeur-temps de l’argent, infra Chapitre 9.

15 Arrêts du TF 2C_785/2013 du 28 mai 2014 consid. 4.1, 2C_620/2012 du 14 février 2013 consid. 3.4 publié à la RDAF 2013 II 197 p. 204 et s., 2C_94/2010 du 10 février 2010 consid. 3.1 publié à la RDAF 2012 II 17 p. 20, 2C_236/2010 du 14 octobre 2010 consid.

2.3 publié à la RDAF 2011 II 84 p. 87, 2C_116/2010 du 21 juin 2010 consid. 2.3 publié à la RDAF 2010 II 474 p. 481, 2A.182/2002 du 25 avril 2003 consid. 3.2.1 publié à la RDAF 2003 II 623 p. 626, 2C_351/2010 du 6 juillet 2011 consid. 4.1 publié à la RDAF 2011 II 27 p. 32, 2A.146/2002 du 13 février 2003 consid. 3.3 publié à la RDAF 2001 II 343 p.

349, du 10 juillet 2001 consid. 3 publié à la RDAF 2001 II 345 p. 347.

16 Arrêts du TF 2C_236/2010 du 14 octobre 2010 consid. 2.1 publié à la RDAF 2011 II 84 p.

87, 2C_116/2010 du 21 juin 2010 consid. 2.3, 2A.151/2005 du 1er novembre 2005 consid.

2 ; ATF 115 Ib 238 consid 3d p. 242, 113 Ib 23 consid. 2e p. 26, 105 Ib 238 consid. 4a p.

242 et les références citées.

17 A ce sujet, infra p. 228-234.

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La qualification, au sens fiscal, a une incidence à la fois sur l’assiette et le calcul de l’impôt. Elle dépend en principe de la structure ou du contrat qu’a choisi le contribuable (le rapport de base), la qualification fiscale étant en principe une qualification secondaire des rapports de droit ou « fait économique » (rapport de superposition). L’acquisition du revenu répond à la superposition fiscale.

Cela signifie que la forme que choisit le contribuable pour organiser ses rapports déploie des effets fiscaux.

Dans certains cas, le revenu doit en revanche être attribué au titulaire effectif du pouvoir de disposition. L’autorité peut en effet chercher à vérifier que le contrat ou la structure reflète la véritable volonté des parties. Si tel n’est pas le cas, elle dispose de moyens de sauvegarde de sa créance18. En d’autres termes, le revenu étant la conséquence économique d’un rapport de droit privé (ou public), l’attribution subjective du revenu suit a priori les apparences juridiques19. Garde-fous, les notions propres au droit fiscal ou « à rattachement économique » permettent au législateur d’opérer une délégation horizontale de compétences vers le juge. Dans l’application de ces notions, les autorités ont ainsi la tâche d’apprécier les conséquences économiques (fiscales) des comportements des parties indépendamment de l’apparence que créent les rapports de droit (approche selon la réalité économique ; wirtschaftliche Betrachtungsweise). Le législateur procède tantôt par renvoi implicite, tantôt par renvoi exprès à la réalité économique20.