• Aucun résultat trouvé

Tertiarisation de l’économie et découplage

Les principaux déterminants du découplage

Section 2. La structure de l’économie

2.3. Tertiarisation de l’économie et découplage

2.3.1. Distinction entre la tertiarisation relative et la tertiarisation

absolue

Comme nous le soulignons précédemment, la tertiarisation de l’économie n’entraîne pas toujours une baisse du niveau de pollution dans un pays. Pour tenter de démontrer cette hypothèse, nous faisons une distinction entre deux formes de tertiarisation.

La première forme de tertiarisation est celle que nous appelons tertiarisation relative. Cette forme de tertiarisation correspond à une restructuration de l’économie caractérisée par une augmentation de la part du secteur tertiaire au détriment des autres secteurs. Nous précisons ici que cette baisse de la part des autres secteurs dans l’économie au profit du tertiaire est due à une baisse du niveau d’activité dans ces secteurs de l’économie (notamment en termes d’emploi). Ce cas correspond à la situation des économies en transition au début des années 1990 qui ont connu à des degrés différents une tertiarisation relative, à savoir une baisse du niveau des activités dans les secteurs primaires et secondaires au profit du secteur tertiaire. L’autre forme de tertiarisation est celle que nous appelons tertiarisation absolue par opposition à la première forme. Cette forme de tertiarisation se caractérise par une augmentation de la part des activités dans le secteur tertiaire mais sans qu’il n’y ait une baisse du niveau d’activités dans les autres secteurs. Cette situation correspond à une augmentation

du niveau d’activité économique dans un pays suite à la croissance du secteur tertiaire indépendamment des autres secteurs. Ce cas correspond plus à la situation actuelle des pays développés qui connaissent une tertiarisation caractérisée par une augmentation du poids du secteur tertiaire dans l’économie (avec la création de nouvelles activités de service) mais sans une évolution significative du niveau d’activités dans les autres secteurs de l’économie59. Ainsi, si la tertiarisation relative peut avoir un certain impact positif sur le découplage (à cause des écarts d’intensité de pollution entre le secteur tertiaire et les autres secteurs), cela n’est pas forcement le cas de la tertiarisation absolue qui peut parfois même être défavorable au découplage. En effet, la tertiarisation absolue se traduit par un accroissement du niveau d’activité économique suite à l’accroissement des activités de services déjà existantes (sous- section suivante) ou à la création de nouvelles activités de services. Dans le cas où les nouvelles activités de services sont plus polluantes que celles existantes, cet accroissement peut entraîner une augmentation de l’intensité de pollution. Par exemple, aujourd’hui, nous utilisons certains services qui n’existaient pas il y a 20 ou 30 ans qui sont relativement polluants. C’est le cas des services liés à l’informatique et à la téléphonie (conseil et assistance informatique, les centres d’appels téléphoniques pour renseigner les abonnés des sociétés de téléphonie ou proposer les nouveaux produits aux clients des banques ou des sociétés d’assurance). L’arrivée de ces services dans les économies s’est accompagnée d’une augmentation des prélèvements de ressources naturelles pour fabriquer les équipements nécessaires à leur production (véhicules, locaux, matériels et supports de travail comme l’informatique…). A cette augmentation de prélèvements de ressources naturelles, correspond une augmentation du niveau de pollution étant donné que la fabrication, l’acheminement et le fonctionnement de ces équipements sont sources de pollution.

Par ailleurs, même s’il n’y a pas de création de nouvelles activités, la tertiarisation absolue n’est pas exemptée de dimension matérielle, via certaines activités connexes lesquelles sont sources de pollution (Gadrey, 2008, p. 6).

59 Ces pays connaissent déjà une part très élevée du secteur des services dans l’économie (en moyenne entre 70% à 80% en 2013 selon les données de la banque mondiale) au point que le niveau d’activités dans les autres secteurs ne baisse plus que très faiblement.

2.3.2. La tertiarisation de l’économie draine d’autres activités de

pollution

Cette fois-ci nous raisonnons dans une situation où la tertiarisation absolue est due uniquement à un accroissement des activités de services déjà existantes dans l’économie. L’établissement d’une relation de service entre le prestataire (producteur) et le client (consommateur) peut nécessiter l’utilisation de biens matériels dont la fabrication, l’acheminement et le fonctionnement sont sources de pollution et de prélèvements supplémentaires de ressources naturelles. Cette matérialité des activités de service repose principalement sur trois composantes (Gadrey, 2008, p. 6): la matérialité liée au déplacement des personnes indispensables à la production du service, la matérialité des espaces où ont lieu la relation de service et la matérialité des outils techniques d’appui à la relation.

La première composante comprend entre autres : les déplacements des prestataires dans le domicile des clients (services à domicile), les déplacements à la fois du prestataire et du client ou de l’usager dans un lieu précis pour la production du service (hôpital, école, hôtels, etc.), les déplacements d’un point à un autre des deux acteurs (transports de personnes) pour la production du service. La matérialité de cette composante porte sur l’augmentation des biens nécessaires pour le déplacement des personnes (parc de véhicules, infrastructures, etc.) participant à la production de ce service (Gadrey, 2008, p. 6).

La matérialité de la deuxième composante porte sur celle des lieux où se déroule la production du service (universités, aéroports, gares, etc.), ces lieux étant construits spécialement pour la production de ce service. La construction, le fonctionnement et l’entretien de ces lieux demandent encore davantage de ressources naturelles (Gadrey, 2008, p. 6) et génèrent aussi davantage de pollution.

Enfin, quant à la troisième composante, sa matérialité repose sur celle des outils techniques pour la production du service. C’est le cas des guichets automatiques dans les banques, des batteries d’appareils qui se trouvent dans un hôpital, ou encore des machines de contrôle technique dans un garage automobile. Ces différents appareils peuvent contenir des flux et des stocks importants de matériels.

Dans les études, les économistes tentent parfois d’estimer l’impact écologique de la production des activités de service. En 2006, dans le cas des Etats-Unis, Suh, à partir des

données de 1998, estimait l’intensité directe du dioxyde de carbone d’une activité de service à 0,36 kg/$. Ce chiffre montait à 0,83 kg/$ lorsqu’il tient compte de la pollution des autres activités nécessaires à la production de ce service (intensité indirecte du dioxyde de carbone). Ainsi, pour Suh (2006), en tenant compte de la pollution des activités induites par la production d’un service, le passage à une économie de services dans le cas des Etats-Unis ne permettra de réaliser au mieux qu’un découplage relatif. Les autres travaux, notamment ceux de Nansai et al., en 2009 et Okamoto en 2013 tendent à confirmer cette dépendance matérielle et énergétique des activités de service.

En conclusion, l’analyse de l’impact environnemental des activités de service sous cet angle semble montrer que la tertiarisation de l’économie ne va pas toujours de pair avec l’immatérialité de l’économie.

Outline

Documents relatifs