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L’émergence du concept de « développement durable » Le retour de la problématique environnementale au début des années 1970 va marquer

Section 2. Croissance économique compatible avec la préservation de l’environnement

2.3. L’émergence du concept de « développement durable » Le retour de la problématique environnementale au début des années 1970 va marquer

un tournant décisif dans la perception des rapports entre la croissance économique et la préservation de l’environnement. En effet, contrairement à l’opposition entre les anti-

croissance et les pro-croissance sur la nature de ce rapport, au niveau des institutions internationales et des Etats, on s’intéressera plutôt aux stratégies pour concilier la croissance économique et la préservation de l’environnement. Pour atteindre ce but, plusieurs concepts ont été proposés depuis cette période. Certains de ces concepts réussiront à s’imposer dans la littérature, comme l’écodéveloppement, le développement durable ou encore la croissance verte.

2.3.1. De l’écodéveloppement au développement durable

L’émergence du concept de développement durable s’inscrit dans un processus dont le point de départ remonte au début des années 1970. Ce processus a été déclenché par la remise en cause dans le rapport Meadows du mode de développement de l’époque. Les réactions suscitées par la publication de ce rapport vont amener la communauté internationale à se pencher sur la problématique environnementale. L’une des premières manifestations de ce regain d’intérêt à l’égard de l’environnement a été l’organisation en 1972 à Stockholm de la première conférence internationale sur l’environnement humain. A l’occasion de ce sommet, on insistera surtout sur l’importance de la préservation de l’environnement dans le développement économique (Bürgenmeier, 2008, p. 37). Ainsi, pour parvenir à un mode de développement compatible avec la préservation de l’environnement, le concept d’« écodéveloppement » sera proposé pendant cette conférence. L’écodéveloppement se réfère à : « un développement socio-économique endogène, reposant sur des forces vives organisées de la société, conscientes de la dimension écologique et recherchant une symbiose entre l’homme et la nature » (Sachs, 1978, p. 1), ou encore : « un développement endogène et dépendant de ses propres forces (self reliant), soumis à la logique des besoins de la population entière et non de la production érigée comme une fin de soi, enfin conscient de sa dimension écologique et recherchant une harmonie entre l’homme et la nature » (Sachs, 1980, p. 12). Cette notion lancée18 par Maurice Strong19 s’imposera sur d’autres notions proposées pendant cette conférence, comme l’ « éco-éco » (Sachs, 1980, p. 12). L’écodéveloppement cherche une harmonisation entre l’environnement et le développement. Parmi les auteurs qui

18 En collaboration avec Sachs, considéré à certains égards comme l’initiateur de ce projet (voir Boidin et al., 2014).

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se sont intéressés à ce concept, Ignacy Sachs est souvent considéré comme l’un des principaux théoriciens, voire le principal. Il en a consacré plusieurs écrits, dont entre autres : l’écodéveloppement : une approche de planification en 1978 ; les stratégies de l’écodéveloppement en 1980, l’écodéveloppement : stratégies pour le XXIe

siècle en 1997. En constatant le mal développement des pays développés et ses conséquences sur le reste du monde (particulièrement sur les pays pauvres), Sachs se pose certaines questions, a savoir : quelle croissance nous faudrait-il et à quelles conditions pourrons-nous surmonter cette crise du développement (« le mal développement ») ? (Sachs, 1980, p. 15). Il entend par crise du développement, une situation dans laquelle la poursuite de la croissance économique s’accompagne à la fois d’un accroissement des inégalités sociales et d’une dégradation de la qualité de l’environnement. En effet, il constate que même en période de prospérité (notamment les « Trente Glorieuses »), les pays du nord sont incapables de résoudre certains problèmes, comme le chômage, l’éradication de la pauvreté ou encore de limiter l’exploitation à outrance des ressources naturelles. Il impute cette incapacité au mode de développement qui prédominait à cette époque (le « modèle occidental ») (Sachs, 1980, p. 25). D’après lui, ce modèle repose sur une internalisation des profits et une externalisation des coûts sociaux par les firmes. Cette non prise en compte des externalités environnementales se traduit à la fois par l’exploitation irrationnelle des ressources et une élévation du niveau de pollution (Sachs, 1980, p. 25). Il critique aussi le mimétisme de certains pays du Tiers monde et des pays de l’Europe de l’Est qui tendent à s’approcher du modèle occidental. Pour sortir de cette crise, Sachs recommande un développement en harmonie avec l’environnement.

Par ailleurs, Sachs considère l’opposition croissance/environnement comme un faux débat. En effet, pour lui, l’issue de la croissance dépend de « ses modalités, l’usage qui en est fait et la répartition du produit qui en résulte… » (Sachs, 1980, p. 31). Cette issue peut être soit le « développement », soit le « mal développement » caractérisé par des disparités sociales et géographiques et la dégradation de l’environnement. L’une des conséquences de ce mal développement est le gaspillage des ressources par les riches et leur surutilisation par les pauvres qui ne peuvent faire autrement. Cependant, pour Sachs, penser que l’arrêt de la croissance pourrait être une solution à cette situation serait un : « sophisme intellectuellement trop facile, socialement inacceptable, politiquement suicidaire. ». Ainsi, contrairement aux

défenseurs de la « croissance zéro » ou « zézistes » 20 , Sachs recommande plutôt l’écodéveloppement, autrement dit un développement reposant sur trois piliers :

-l’autonomie des décisions (self-reliance) et la recherche de modèles endogènes propres à chaque contexte historique, culturel et écologique ;

-la prise en charge équitable des besoins de tous les hommes et de chaque homme ; besoins matériels et immatériels, à commencer par celui de se réaliser à travers une existence qui ait un sens, qui soit un projet ;

-la prudence écologique, c'est-à-dire la recherche d’un développement en harmonie avec la nature.

Pour lui, l’écodéveloppement doit être une sorte d’harmonisation des objectifs socio- économiques et écologiques. Cet arrangement doit principalement être planifié aux niveaux local, rural et urbain, mais avec une coordination par l’Etat de l’ensemble des initiatives prises. Enfin, cette planification doit intégrer cinq dimensions de durabilité (Sachs, 1997, p. 28) : la durabilité sociale, la durabilité économique, la durabilité écologique, la durabilité spatiale et la durabilité culturelle.

a-La durabilité sociale

Cette dimension de l’écodéveloppement porte sur une croissance qui tient compte des inégalités entre les individus. Elle vise l’équité intragénérationnelle en favorisant à la fois l’amélioration du niveau de vie des populations les plus vulnérables et la réduction des inégalités entre les pauvres et les riches.

b-La durabilité économique

Cet aspect de l’écodéveloppement est fondé sur l’efficacité et la constance dans la gestion des ressources. Cette efficacité doit apparaître non seulement dans l’utilisation des ressources, mais aussi dans leur répartition. Quant à la constance dans la gestion des

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ressources, elle n’est possible qu’en l’absence de certaines contraintes externes, comme le service de la dette extérieure, le protectionnisme des pays du Nord ou encore le déséquilibre des rapports de force au niveau des échanges.

c-La durabilité écologique

Cela demande entre autres :

- la protection de l’écosystème en utilisant ses ressources de façon rationnelle ; la limitation de la consommation des énergies fossiles et le développement des énergies renouvelables ; -l’adoption des modes de consommation responsables, principalement dans les pays riches et la recherche des techniques de production écologiquement efficaces ;

-la mise en place des stratégies efficaces de protection de l’environnement par les Etats.

d-La durabilité spatiale

Elle consiste principalement à freiner l’exode rural en créant de nouvelles activités économiques dans les campagnes. Ce rééquilibrage démographique entre les villes et les campagnes passe par la modernisation de l’agriculture, les facilitations de crédits pour les petits paysans, la création dans les campagnes d’autres activités non agricoles…

e-La durabilité et la culture

Cette dimension de l’écodéveloppement tient compte des réalités culturelles de chaque territoire. Elle consiste à intégrer le contexte culturel de chaque territoire dans la planification d’un « écodéveloppement » (le changement dans la continuité culturelle), et non d’imposer un modèle de développement qui pourrait être en conflit avec le contexte culturel du territoire. En définitive, il devrait y avoir une pluralité de solutions locales chacune pouvant être en harmonie avec le concept normatif d’écodéveloppement.

Mais malgré le caractère multidimensionnel de l’écodéveloppement et la force des propositions de ses promoteurs, le succès de ce concept sera de courte durée puisqu’il sera évincé quelques années plus tard au profit d’un nouveau concept : le «développement durable ». Il fut officiellement écarté pendant la conférence de Cocoyoc en 1974 suite à son rejet par certains gouvernements occidentaux (notamment Henry Kissinger21). Cette éviction semble s’expliquer principalement par :

-Le contenu politique jugé radical par les dirigeants occidentaux : selon Olivier Godard, 2005 (p. 18), ces gouvernements trouvaient le contenu politique de l’écodéveloppement radical par rapport au développement durable considéré comme œcuménique et dont le contenu paraît politiquement plus correct. En effet, dans l’écodéveloppement, on remettait en cause le modèle de développement occidental et on critiquait aussi les pays du Sud qui étaient tentés d’imiter le modèle occidental.

-La crainte d’un rééquilibrage des rapports de force entre le Nord et le Sud : les pays occidentaux craignaient de perdre leur suprématie sur les pays du Sud (Berr, 2008, p. 6) dans la mesure où l’écodéveloppement mettait plus l’accent sur le sous-développement par la recherche de plus d’équité entre le Nord et le Sud.

Ces différentes raisons semblent être à l’origine de l’éviction du concept d’écodéveloppement au profit du développement durable qui paraît pour les Nations-Unies plus global (il concerne un plus grand nombre de pays). Avec ce concept, le développement équilibré ne sera désormais plus l’apanage des seuls pays du tiers monde, mais aussi des pays du Nord.

2.3.2. Le « développement durable » ou la recherche d’un

développement équitable

Apparu pour la première fois dans le rapport « Stratégie mondiale de la conservation »

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