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Le territoire, présent dès la création de l’association L’association : un rapport singulier au territoire

La résonance territoriale : comprendre l’implication associative

1 Le projet associatif : une construction socio-spatiale

1.1 Le territoire, présent dès la création de l’association L’association : un rapport singulier au territoire

Dès sa création, l'association développe un rapport singulier à l'espace. Quand une association fait référence, dans son nom ou dans son objet, de façon explicite, à une aire spatiale, c'est que les fondateurs se sont projetés, au moment de la création, sur cet espace. En ce sens, cette aire participe de la territorialité de l'association. Elle va en définir la zone d'action, parfois même la légitimité d'intervention (même si dans la pratique elle peut se modifier au fil du temps).

Nommer l'association est l'acte fondateur, résultat d'un processus de distinction et de

démarcation. Dans la plupart des cas, le nom a une relation directe avec l'activité mais il inclut très souvent une référence spatiale. Martin de la Soudière (2004) rappelle que nommer, c'est d'abord « désigner, identifier, domestiquer l'espace ». « Par cette emprise sur l'espace,

médiateur entre un groupe social et le territoire qu'il occupe, le nom tend à conférer à l'un comme à l'autre consistance et surcroît d'identité ». Mais se nommer c'est aussi se distinguer,

affirmer sa singularité par une auto-désignation. En ce sens, le nom renvoie autant à l'identité de l'autre qu'à celle de l'association.

L’objet déclaré est le deuxième élément déterminant puisqu’il borne juridiquement l’action

associatif. Selon les cas, ce dernier sera plus ou moins flou, plus ou moins territorialisé154. L’analyse des objets indique ce qui mobilise les individus et les conduit à s’engager dans l’action collective mais révèle aussi des rapports aux lieux plus ou moins développés et revendiqués.

Lorsqu'elle est présente, ce qui est le cas pour la grande majorité des associations, la référence spatiale mobilisée peut être de plusieurs ordres155 :

 « Frontières » administratives et politiques

La totalité des échelles territoriales sont mobilisées : commune, communauté de communes, canton, arrondissement, département, région, nations (France et étranger). Ceci montre bien que les « frontières » légitimées par l’histoire sont encore très prégnantes.

 Références géographiques

Si les toponymes sont régulièrement utilisés, les références spatiales mobilisent aussi les caractéristiques physiques de l’espace et les constructions sociales qui s'y rattachent : vallée, mont, plateau, coteau, colline, prairie, rive, causse, plan d’eau, lac, puech, quartier, bassin de vie, d'emploi....

 Références historiques

Dans certains cas la référence renvoie plus spécifiquement à un élément historique156, réel ou supposé, parfois revisité. Le renvoi au passé permet de circonscrire un espace aujourd'hui et tente de le légitimer par une référence culturelle plus ou moins partagée. Le Pays Cathare est une bonne illustration157 de cette mobilisation historique pour produire du territoire.

 Liée à un établissement et circonscrite à cet espace (école, hôpitaux, église, entreprise...)

Si l'aire spatiale revendiquée, parfois affectée158, participe à la construction d'une « image » de l'association à destination des habitants (éventuellement futurs membres potentiels) et des élus, elle borne aussi les territoires associatifs entre eux et met en évidence les concurrences ou les complémentarités territoriales. Elle peut aussi renseigner sur un sentiment d'appartenance.

L'aire spatiale définie par les statuts n'est qu'un élément du rapport au territoire. Parallèlement, le travail en réseau, engagé depuis longtemps par les associations, vient le complexifier.

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Selon la rédaction de l'objet, l'aire spatiale revendiquée peut être un élément illustratif ou devenir une contrainte d'action.

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Ces éléments sont notamment issus du terrain de recherche. La présentation détaillée des références mobilisées est faite dans la troisième partie.

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A Figeac, dans le Lot, quelques associations font référence aux templiers ( une commanderie existerait en centre ville), alors que les historiens réfutent leur présence dans cette ville. Beaucoup d'autres à Champollion, natif de cette ville.

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En référence à l'ouvrage de M. C. Garcia et W. Genieys (2005), L'invention du pays cathare. Essai sur la

constitution d'un territoire imaginé, Paris, L'Harmattan.

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C'est le cas notamment pour les associations intermédiaires dont le territoire d'intervention est défini par le préfet lors de l'agrément.

Le réseau : une réalité associative très ancienne.

Les associations ont compris très tôt la nécessité de se regrouper pour exister dans l’espace public. L’obligation de se faire reconnaître par l’État centralisé a conduit les associations à créer de grandes fédérations dont la mission était double. A l’interne, elles devaient être « ressource »159 pour les adhérents, et à l’externe,

elles devaient faire entendre la voix des associations et peser sur les décisions politiques. Les fédérations, dont certaines sont encore très puissantes, se sont généralement constituées sur des thématiques sectorielles à l’image du fonctionnement des ministères. Elles se sont imposées au fil du temps comme les interlocuteurs obligés, certaines ont même acquis des compétences particulières, c’est le cas par exemple des fédérations sportives ou des fédérations de pêche.160 Les grandes fédérations sont généralement reconnues d’utilité publique ce qui leur permet en outre d’accueillir des fonctionnaires détachés ou mis à disposition.161

Aujourd’hui le modèle fédératif « traditionnel » est en crise pour trois raisons essentielles :

 Depuis la décentralisation, le

rapprochement, au niveau local, des centres

de décision, nécessite moins une

représentation parisienne auprès des ministères que la constitution de réseaux départementaux ou régionaux.

 Avec la crise, l’État s’est progressivement désengagé politiquement et financièrement, privant les fédérations d’une partie de leurs moyens. La montée du concept de développement local a conduit à privilégier le niveau micro.

 Les modifications sociologiques intervenues dans les associations (baisse de la militance, recherche de services, engagements multiples et de courte durée...) qui les conduisent souvent à privilégier le court terme au long terme.

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Ressource à différents niveaux : juridique, logistique, financier, réflexif, …

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Les fédérations sportives ont obtenu un quasi-monopole en échange de leur agrément. Les fédérations de pêche gèrent les agents chargés de la police de la pêche mis à disposition par le Conseil supérieur de la pêche.

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Depuis de nombreuses années l’État essaie de réduire ses dépenses aussi la mise à disposition de fonctionnaire est en net recul. Dans les associations d'éducation populaire elle a même quasiment disparu obligeant les fédérations à revoir leurs organisations et leurs stratégies d'action.

« La fédération et encore plus la confédération sont aujourd’hui décriées. Ringardes, budgétivores, elles semblent cumuler les handicaps. À contre courant, elles cherchent à rassembler le plus grand nombre de structures quand l’heure est au “small is beautiful”. Elles tendent à unifier alors que l’on vante la culture et le respect des différences. Elles se structurent au niveau national alors que la décentralisation est dans l’air du

temps. Cependant, les fédérations

demeurent, y compris au sein du CELAVAR et ce n’est pas forcément un signe de passéisme. En effet, il s’agit d’un mode d’organisation assez naturel qui, fruit de l’histoire, procède par addition de structures diverses. La fédération s’organise géographiquement selon la taille de ses composantes, depuis le niveau le plus fin (commune, intercommunalité ou pays) au niveau le plus important (région). C’est le cas de la Ligue de l’enseignement, première fédération d’éducation populaire, tant par l’histoire que par la taille, mais aussi de la Confédération nationale des Foyers ruraux ou de la Fédération nationale des CIVAM. À équidistance entre le réseau et la fédération, se situe peut-être l’union. Elle réunit au niveau

géographique des structures aux

thématiques distinctes, comme Peuple Et Culture, ou réunit au niveau national des structures de même type mais fortement autonomes, préexistantes à l’union, ce qui pourrait qualifier l’UNCPIE. L’analyse des pratiques a montré que le qualificatif choisi ne départage pas

réellement les associations du

CELAVAR, la distinction venant de la façon dont ces entités fonctionnent. La pratique “réseau” pouvant dynamiser le fonctionnement associatif classique ou le perturber. »

« Les organisations sectorielles à structure verticale se trouvent contestées en leur sein, l’intégration institutionnelle et idéologique des groupes locaux laisse place à une autonomisation croissante et revendiquée par rapport aux structures nationales et aux grandes constellations d’idées (laïque, socialiste, catholique,…) » (Barthélemy, 2000).

En créant le Conseil National de la Vie Associative (CNVA)162 par décret du 25 février 1983, le gouvernement prend officiellement acte de l’importance des associations. Ce faisant, il cherche aussi à construire un interlocuteur unique face à la nébuleuse des fédérations.

Au niveau associatif, le développement des réseaux va de pair avec la crise de l’État providence, et le transfert sur le niveau local qui s'accentue avec la décentralisation. La gestion par projet, qui devient peu à peu le modèle de l'action publique, va obliger les associations à trouver de nouveaux partenaires, et construire de nouveaux réseaux (CELAVAR, 2002).

A côté de réseaux très sectoriels par domaine d’activité, existent des réseaux plus transversaux et moins hiérarchisés, comme par exemple le CELAVAR. Celui-ci, créé officiellement en 1989, regroupe 13 réseaux associatifs163 (qui représentent environ 35 000 associations) et se présente comme une plate-forme d’information, d’échange et de concertation autour de la question rurale. La référence spatiale sert de point de convergence et relie des membres qui ont comme interlocuteur privilégié le ministère de l'Agriculture. L'arrêt, en 2009, par ce ministère, des financements pour l'animation des territoires ruraux, conduit le CELAVAR à repenser son projet associatif (annexe n°21). Le réseau est tributaire des éléments qui fondent l'adhésion des membres et il peut aussi disparaître si ces fondements ne sont plus d'actualité.

L'analyse faite par le CELAVAR sur les réseaux qui le composent, distingue deux points de vue. Le premier met en évidence une dynamique de réseau qui s'instaure entre les composantes institutionnelles dans un cadre traditionnel fédératif. Le second, que l'action résiliaire agit sur les individus-membres du réseau qui, en retour, transforment leurs institutions respectives. Le réseau agit donc sur les niveaux individuel et collectif, eux mêmes en interaction.

L’Union Nationale des Acteurs et des structures du Développement Local (UNADEL) créée en 1992 est aussi une association qui fédère des acteurs (collectivités locales, associations, organismes, mais aussi personnes physiques) autour de la thématique transversale du développement local.

A côté de ces réseaux organisés (souvent sous statut de la loi 1901), se développent aujourd’hui, au niveau local, des réseaux d’acteurs plus informels, dont les associations ne sont qu’une composante. Ces réseaux sont multiples et mobilisent les secteurs économique et politique autant que social. Ils ont une triple fonction :

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Le C.N.V.A. est l'interprète auprès du gouvernement des préoccupations et des attentes de l'ensemble des associations. A cette fin, il donne son avis sur les projets de textes législatifs ou réglementaires, il conduit les études qui lui paraissent utiles au développement de la vie associative, et propose toutes mesures susceptibles d'améliorer la vie associative, il établit un bilan triennal de la vie associative afin de faire mieux connaître le mouvement associatif et son évolution.

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En 2010, le CELAVAR regroupe les réseaux et unions : AFIP, Chantier école, FNCIVAM, FNFR, Inter AFOCG, Ligue de l'enseignement, MRJC, Peuple et culture, Solidarité Paysans, UNAADMR, UNADEL, Études et chantiers, UNCPIE.

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Ils sont sources d’information (ils permettent aux acteurs de réagir plus rapidement et d’anticiper les besoins).

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Ils permettent le lobbying politique (pour faire aboutir un dossier ou obtenir une subvention).

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Ils facilitent le développement et la gestion de projets (en développant le partenariat).

Mohamed Djouldem (1991) accorde trois propriétés fondamentales au réseau :

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La relation. Le réseau, c'est tout d'abord des liens qui unissent des membres. Il se

caractérise par l'ampleur de la densité des relations entre les membres (connexité) et par la multiplicité des relations assurées (connectivité).

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Le projet. La viabilité du réseau dépend de la force du projet. Celui-ci doit être

suffisamment explicite et mobilisateur pour les membres.

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La continuité. L'action résiliaire suppose une régularité relationnelle entre les

membres. « La rupture désagrège le lien et dissout le réseau. »

Pour cet auteur, l'analyse en terme de réseau est fondamentale « dès lors qu'on s'intéresse à

des groupes et à des individus et à l'usage qu'ils font de leurs statuts et rôles, hors et dans les espaces institutionnalisés. »

Les réseaux associatifs se créent au gré des besoins et des événements. Ils servent à la coordination et à la recherche d’efficience. Ce fut le cas de la création, en mai 2001, de la « Plate-forme inter-associative de Midi-Pyrénées pour les pays et les agglomérations », dont l’objectif était de permettre « la mobilisation des associations et des habitants afin qu’ils

co-produisent le projet de développement durable de leur territoire ». Toujours à propos des pays,

la « Plate-forme inter-associative Territoires d’Avenir »164 animée par l’UNADEL depuis 1997, mobilise régulièrement ses adhérents pour les conseils de développement (annexe n°22).

Les réseaux, dans le cadre des projets de développement, jouent un rôle important dans la mobilisation des associations. Dans la mise en place des pays, certains réseaux ont proposé des actions de sensibilisation sur les enjeux de la démarche (informations juridiques, formation des bénévoles, organisation de débats en amont, conférences….), d’autres ont essayé d’organiser la représentativité associative au sein des conseils de développement (c’est le cas du CRAJEP en Midi-Pyrénées). Des réseaux plus informels se sont aussi constitués. Ils regroupent des associations œuvrant sur le territoire du pays, souvent dans des secteurs d’activité proches, qui cherchaient à s’organiser pour être reconnues comme interlocuteur et participer à la mise en place du pays. Le réseau a permis à certaines associations de s' imposer dans les conseils de développement.

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Cette plate-forme créé en 1997, est composée de 45 associations ou réseaux nationaux. Lieu d'échanges sur les enjeux communs du développement local et de la citoyenneté, cette plate-forme a axé ses travaux 2000-2001 sur la mise en place des conseils de développement.

L’acteur associatif développe des stratégies de plus en plus complexes où les modèles fédératifs anciens peuvent cohabiter avec des formes résiliaires plus modernes. Ainsi, il développe ses marges de manœuvre et son pouvoir n’en est que renforcé. Dans cette complexification des relations et des stratégies, toutes les associations ne font pas jeu égal et une fracture peut s’instaurer entre celles qui sauront développer et mobiliser de nouveaux réseaux et celles qui resteront soit isolées, soit sur des modèles de représentation qui pourront, en fonction des projets associatifs, s’avérer moins pertinents.

L’action résiliaire source de complexification territoriale

Les réseaux fédératifs, relativement structurés, renvoient à des territoires la plupart du temps calqués sur les découpages administratifs. Les logiques institutionnelles impriment leur logique au territoire (Offner, Pumain, 1996). Les associations construisent un territoire d’action qui va du local à l’international.

Les autres réseaux plus ou moins formels et structurés dessinent des espaces d’action dont les limites peuvent être mouvantes au gré du développement du réseau. Le rapport à la matérialité de la terre peut être fort, s’il s’agit d’un réseau local, comme très virtuel, quand le réseau est mondial et utilise les NTIC pour relier les membres. Il peut être un facteur d’enfermement dans le localisme comme un élément d’ouverture au monde. Le réseau va ainsi, selon les cas, renforcer la territorialité collective ou au contraire la rendre plus diffuse.

Par les réseaux, les acteurs développent une relation au territoire multiscalaire. Ce travail en réseau fonde de nouveaux territoires. « Ce sont les pratiques des acteurs qui construisent les

territoires de leurs stratégies en combinant les effets de proximité et ceux de la distance et de la mobilité » (Barthe, 1997). Les réseaux participent de cette complexité territoriale de l’acteur

associatif.

L’action résiliaire oblige à dépasser les cadres habituels d’analyse territoriale. Il ne suffit plus d’interroger les structures formelles (administratives, politiques…), il faut intégrer la dimension plus informelle et plus intemporelle165 des réseaux, dimension qui introduit une dynamique permanente dans le processus de territorialisation du projet associatif. Plusieurs formes de réseaux cohabitent :

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Les réseaux locaux et horizontaux souvent relativement informels, ils reposent sur l’interconnaissance et la coopération locale entre les acteurs.

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Les réseaux de production (liés à l’activité de l’association) ou les réseaux professionnels (liés aussi aux salariés de l’association).

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Les grands réseaux fédératifs sectoriels côtoient des réseaux plus transversaux mais relativement formels. Ils mobilisent toutes les échelles territoriales du meso au macro.

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Les réseaux politiques, liés, soit au marquage idéologique de l’association, soit aux relations interpersonnelles entre les élus et les dirigeants. C’est aussi le réseau

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dans le sens « réseau d’action publique », c’est-à-dire d’un réseau d’acteurs collectifs organisés (publics et privés) intervenant dans le cadre d’une politique publique donnée, où les interactions sont intenses entraînant une forte interconnaissance et où les acteurs sont relativement interdépendants (Le Galès, Thatcher, 1995).

Dans le cadre de l'action publique de développement, les réseaux peuvent jouer le rôle de catalyseur. Selon les cas, ils contribuent à une plus grande mobilisation, ou à l’inverse, freinent l’engagement associatif.

A travers leurs réseaux, les associations s’ouvrent sur les autres et le monde. Selon les cas, cet autre peut être dans la proximité du local, mais la plupart du temps les réseaux constitués obligent les acteurs associatifs à penser sur d’autres échelles et à resituer leurs actions dans un cadre plus global. Les réseaux transcendent aussi les notions d’urbain et de rural. Ils font se confronter les expériences menées sur l’un comme sur l’autre et peuvent être de formidables espaces de construction de nouvelles ruralités basées sur l’interterritorialité. L’action des réseaux est essentielle pour la dynamique associative, malheureusement certains connaissent des difficultés de financement qui handicapent leur capacité d’animation.

Les associations développent un rapport au territoire complexe où s’articulent action locale et action résiliaire. L’action publique de développement rural leur propose de participer à la construction du projet territorial pour apporter leurs expertises techniques mais aussi pour profiter de leurs réseaux relationnels. Mais de quoi parle-t-on ? La participation suppose-t-elle l'implication ? Si oui, sous qusuppose-t-elles formes ?