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Historiquement, la relation pouvoirs publics/associations s'est construite sur le mode tutélaire. L’État fixait les règles du jeu et désignait les joueurs en mobilisant différents outils juridiques (agrément, habilitation...). Le secteur médico-social en est une parfaite illustration. L'ensemble des activités de ce secteur a été confié aux associations, de la formation des professionnels du travail social à la gestion des établissements, en passant par la concertation sur les projets législatifs, mais l’État maîtrisait l'ensemble du processus144. Les associations se retrouvaient en situation de prestataire dans un secteur non concurrentiel. Cette situation de quasi monopole a donné un poids très important aux associations. Elles tiraient leur légitimité publique de cette proximité et de nombreux notables sont sortis de ce champ d'activité. Ces associations apparues dès l'après-guerre ont parfois été qualifiées de « faux-nez de l'administration » (Hély, 2008).

Dans les années 1980, un changement s'opère. La participation des citoyens émerge dans les politiques publiques, notamment dans le cadre du développement urbain et dans les premières initiatives de développement local. Les nouvelles politiques sociales territorialisées mettent en avant cette participation (développement social urbain145, prévention de la délinquance146). Les associations sont mises à contribution dans le cadre d'instances de réflexion mais aussi pour développer des projets d'action financés par les pouvoirs publics. « Traditionnellement extérieures à l'action publique, et tentant de peser sur elle, elles en

deviennent des partenaires » (De Maillard, 2002). Cette période voit aussi la mise en œuvre de

la décentralisation, qui va s'accompagner du développement de la contractualisation, comme mode de relation association/pouvoirs publics, et développer le rôle des collectivités locales. L’État ne définit plus les actions à mettre en œuvre mais il fixe les règles du jeu, lance des appels à projets, définit les méthodes d'action. On retrouve ici les principes même de la gouvernance quant au rôle de l’État. Celui-ci « ne peut imposer sa définition du problème ni de

façon universelle (sur l'ensemble du territoire), ni de manière unilatérale (à l'ensemble des acteurs mobilisés) parce qu'il n'en a plus les moyens, ni du point de vue cognitif ni du point de vue instrumental » (De Maillard, 2002).

Au fil des ans, la rhétorique du projet, du réseau et du partenariat, est devenue la norme de l'action publique. « Ce registre normatif de la "cité par projets", au sens de Boltanski et

Chiapello147, va alors imprégner le discours de bon nombre de responsables associatifs » (Hély,

2004). Progressivement, l'appel à projet, avec un financement conventionné, prend le pas sur

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Certes, dans de nombreux cas les associations ont été à l'initiative, notamment en matière de création d'établissement, mais l’État, petit à petit, a défini les règles du jeu et contrôlé les initiatives, en règlementant l'activité et les moyens techniques afférents.

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Le rapport d'Hubert DUBEDOUT, Ensemble, refaire la ville, marque une étape importante. (Paris : La Documentation française, 1983).

146

Voir le rapport Bonnemaison, Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité, Rapport au Premier ministre, 1982. Publié à la Documentation française en 1983.

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la subvention reconduite tacitement d'année en année. Avec la circulaire Fillon du 18 janvier 2010, relative aux relations entre les associations et les pouvoirs publics, le financement par subvention devrait encore diminuer, au profit d'une relation contractuelle qui risque d'être plus proche des relations de marché que des relations partenariales.

Ces changements dans les modalités de conduite de l'action publique ont nécessité une adaptation, non sans douleur, du milieu associatif. Tout d'abord au niveau des bénévoles, qui se sentent souvent écrasés par l'administratif et qui ont le sentiment de passer leur temps à chercher de l'argent. Il faut reconnaître que les dossiers se sont complexifiés, notamment en matière d'évaluation, depuis la mise en place, en 2001, de la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF). Le partenariat, qui est devenu une exigence, entraîne une multiplication des demandes d'aide financière. Beaucoup de petites associations renoncent devant la charge de travail. Les plus importantes recrutent du personnel qualifié pour gérer ces dossiers et trouver les ressources nécessaires au développement du projet associatif. La maitrise des dispositifs, de la commune jusqu'à l'Europe, tant au niveau juridique que financier, n'est pas tâche aisée et suppose une veille informationnelle importante. L'accès aux ressources externes conduit les associations à développer leurs ressources internes, mais ceci demande des moyens. Pour certaines associations, c'est un cercle vicieux. La faiblesse des ressources internes conduit à une raréfaction des ressources de manière globale, mettant parfois en jeu l'avenir de l'association. Force est de constater que les grosses associations sont celles qui ont pu le mieux négocier cette transition. Elles ont conforté leur position dans le jeu d'acteur. Cette professionnalisation des associations impacte aussi la relation bénévole/salarié et tout particulièrement les dirigeants. Le risque est grand de voir le technique prendre le pas sur le politique (cf. Dérives du projet, partie 2). Les espaces ruraux n'échappent pas à cette dynamique. Les difficultés pour les associations sont même parfois accentuées par la faiblesse des ressources locales externes en matière d'ingénierie et d'expertise.

Pour les associations qui peuvent rester dans le jeu, le modèle d'action par projet va modifier leur place dans le système territorial. Elles sont à présent sollicitées pour participer aux réunions de concertation sur les projets. Selon les cas, on fait appel à leur capacité d'expertise et/ou à leur capacité de mobilisation et de traduction (même si celle-ci est parfois surestimée). Elles sont des sources d'information, des relais pour les institutions mais aussi des vecteurs de légitimation. Reprenant la typologie établie par Françoise Caroux (1978), qui distingue trois types d'associations : les associations d'expression et de participation, les associations de

gestion et celles de revendication, Jacques de Maillard (2002) constate que les plus affectées

par ces changements sont celles du dernier groupe. Les leaders associatifs « se voient invités à

passer de la position classique de consultation ou de contestation à celle d'implication-négociation dans l'élaboration même et le suivi des projets ». Pour cet auteur, il se constitue

des espaces d'action intégrés où les acteurs politiques organisent les modalités de l'échange, définissent quels seront les acteurs autorisés à entrer dans l'arène et quelles seront les règles du jeu. La construction de ces espaces met en œuvre trois éléments complémentaires. En premier lieu, une logique de filtrage va désigner les associations porte-parole de la population. Ce filtre actionne plusieurs éléments, qui vont de la crédibilité de l'association (reconnaissance sociale, expertise sectorielle ou territoriale), aux relations personnelles que les dirigeants entretiennent avec les élus, en passant par la capacité supposée ou réelle à s'intégrer dans un

groupe de travail pluriacteurs. Ce processus permet de désigner les interlocuteurs légitimes. Il s'agit ensuite de s'appuyer sur des acteurs intermédiaires qui vont faciliter les échanges entres les sphères politique et associative. On trouve notamment parmi eux, des agents de développement et des élus, par ailleurs très engagés dans la vie associative, qui vont contribuer « à favoriser les arrangements et accords entre les différentes positions ». Au sein de ces espaces d'actions intégrés, vont s'élaborer des normes d'action communes qui vont permettre de construire le projet de développement.

Néanmoins, les modalités de l'échange ne sont pas symétriques, les associations n'étant généralement pas associées à la définition des cadres de l'action publique. Cette intégration

hiérarchisée a conduit certains auteurs à dénoncer le risque de fonctionnalisation et

d'instrumentalisation pour les associations (Moreau, 2006). Pour Jacques de Maillard (2002), il s'agit, en fait, d'une fonctionnalisation partielle car la multiplicité des cahiers des charges et la diversification des ressources financières donnent des marges de manœuvre aux associations. Ainsi, l'action publique les conduit à se professionnaliser mais parallèlement, « cette polyarchie

institutionnelle locale à pour effet d'autonomiser les associations. »

La décentralisation, en renvoyant sur le local la gestion des dispositifs d'action publique de développement, accentue les disparités locales. Selon les élus et leurs modalités d’exercice du pouvoir, entre gouvernement et gouvernance, les processus de mobilisation locale vont différer, et la place donnée aux associations aussi.

2.2 Associations et développement rural : une longue histoire

Depuis un siècle, les associations se sont développées en milieu rural pour répondre aux besoins sociaux des campagnes, pour lutter contre l'exode rural et pour participer à la modernisation des sociétés rurales d'après-guerre. Nombre d'entre elles sont très ancrées dans l'histoire locale. Elles ont, au fil du temps, développé des services, formé des leaders, tissé des réseaux et sont devenues un maillon essentiel du système d'acteurs local. Selon leur histoire et leur projet, elles ont construit des relations très différentes avec les pouvoirs publics. Les associations d'aide à domicile en milieu rural et les foyers ruraux sont des exemples de cette dynamique associative née au début du XXème siècle et qui perdure aujourd'hui. Ces associations ont dû s'adapter aux transformations des campagnes pendant près d'un siècle et tentent d'exister au XXIème siècle, non sans difficulté pour certaines. En ce sens, elles sont une bonne illustration des changements qui se sont opérés, notamment dans la relation avec les pouvoirs publics.

Les Associations d'Aide à Domicile en Milieu Rural : de la gestion bénévole à