• Aucun résultat trouvé

Mot du français ancien, « gouvernance » est utilisé au Moyen-âge de façon indifférenciée avec les termes gouverne et gouvernement. Tous trois désignent l’action de piloter quelque chose. Puis le terme gouvernement va s’affirmer et être associé à l’idée de « pouvoir hiérarchique, de

rapports de commandement verticaux et descendants, de volonté qui s’impose de manière unifiée » (Gaudin, 2002).

Il passe dans la langue anglaise, au XIVe siècle, et donne governance. Ce terme connait un nouvel essor aux États-Unis, dans les années 1930, dans des travaux d’analyse des politiques publiques et des travaux sur le pilotage pragmatique des entreprises. Dans les années 1970, il est repris par les économistes institutionnalistes. Le terme « corporate governance », qu’on peut traduire par « gouvernance d’entreprise », va ensuite être utilisé dans les milieux d’affaires américains tout au long des années 80 (Holec, Brunet-Jolivald, 1999).

Mais ce n’est que dans les années 1990 que le terme de gouvernance va s’imposer, porté essentiellement par des intellectuels anglo-saxons. En 1995, la Commission sur la gouvernance globale mise en place par les Nations Unies publie un rapport intitulé « Our global neighborhood »115 (Notre voisinage global) qui considère la Terre comme notre jardin commun. Au même moment, dans le milieu économique, réapparaît la notion de gouvernance d’entreprise qui invite à une nouvelle forme de management et de pilotage. Le terme « bonne gouvernance » fait aussi son apparition dans les institutions internationales (Banque mondiale, OCDE...).

La notion de gouvernance suppose « la prise en compte dans les processus de gouvernement

des acteurs politiques dits "non institutionnels, non étatiques, sociaux ou privés", qui, agrégés, forment ce que l’on tend désormais à appeler la société civile » (Paye, 2005).

La gouvernance : une nouvelle relation public/privé

La gouvernance traite toute structure sociale comme un espace de jeu (Moreau, Defarges, 2003). Ceci suppose que les différents participants soient d’accord sur :

-

La délimitation de l’espace (il peut y avoir des problèmes de découpage ou de légitimité territoriale),

-

Les joueurs en présence (il est rare que tous les acteurs soient présents, se pose alors la question des exclus),

-

Les règles du jeu (chaque acteur doit connaître et accepter ces règles),

-

La distribution initiale du jeu (dans la réalité, les cartes sont rarement réparties de façon équitable).

Dans le cadre de la gouvernance, gouverner ne signifie plus fixer et réaliser des objectifs mais établir et surveiller le terrain de jeu. L'État apparaît au début de la procédure pour fixer la règle et à la fin pour en contrôler l’efficacité (Moreau, Defarges, 2003). La gouvernance ne supprime pas le gouvernement mais elle en modifie le rôle. « Le gouvernement ne doit plus être qu’une

115

pièce d’un système global fondé sur la liberté, la créativité et la responsabilité » (Moreau,

Defarges, 2003).

GOUVERNEMENT GOUVERNANCE

Champ Affaires publiques Affaires collectives

Monde Rareté Abondance

Horizon Guerre Paix

Esprit Vertical Hiérarchique Horizontal Démocratique Décisions Ordre Instruction Négociation Processus Finalités Maintien Unité Créativité Diversité

Policier État Autorités indépendantes

État, ultime recours

Le monde de la gouvernance remet en cause la séparation traditionnelle privé/public, en exaltant l’entreprise source de richesses et en limitant l'État à une instance fonctionnelle. La notion d’intérêt général, elle aussi, se transforme. Dans le modèle « classique » le gouvernement est seul garant de l’intérêt général lui-même jugé immuable et intemporel. Avec la gouvernance, l’intérêt général devient le résultat d’un compromis provisoire entre les différentes parties. L'État, qui était le sommet de la pyramide, est aujourd’hui mis « sous surveillance », il doit rendre des comptes à sa population mais aussi à la communauté internationale. La gouvernance suppose une instance de régulation où s’élaborent les règles du jeu et où se rendent les arbitrages.

Flux et réseaux source et condition de la richesse

Participation d’acteurs multiples unis par un marchandage multiforme et permanent

Règles du jeu, normes diverses en négociation constante

Arbitres surveillent la régularité des processus

Pour Gaudin (2002), les foisonnements de références à la gouvernance ne sont pas aléatoires mais correspondent à des registres politiques qui préexistent. Il distingue trois niveaux de signification :

 Pragmatique : La gouvernance est un appel direct au réalisme de la négociation moderne (elle se fait en particulier avec le marché dont elle intègre les règles).

 Moral : La gouvernance est un appel à la responsabilité (mais pour garantir l’efficacité).  Idéaliste : La gouvernance est le principe d’un nouvel humanisme mondial et d’un

ordre politique global.

La gouvernance est devenue un « nouveau médium langagier » planétaire.

Tableau n° 9 : Notions de gouvernement et de gouvernance Source : Moreau Defarges 2003

Tableau n° 10 : Éléments clés de la gouvernance

Les critiques ne manquent pas quant à la pertinence du concept de gouvernance : dilution des responsabilités, évacuation de la dimension politique, mise en avant des intérêts particuliers, ouverture sur la société civile (qui se limite souvent à quelques associations), surévaluation du poids de certaines associations.... Rejeter l'idée de gouvernance est néanmoins difficile car elle imprègne l'action publique d'autant qu'elle « sert à rendre compte des changements (usage

descriptif) à les interpréter (usage analytique) ou à préconiser (usage normatif) » (Allemand,

2000).

A propos de la gouvernance locale

Plusieurs facteurs rendent difficile l’application au niveau local des principes de la gouvernance, tout particulièrement dans le milieu rural :

-

Elle est relativement peu connue des élus locaux.

-

Elle suppose de modifier des pratiques politiques plutôt conçues sur le modèle du gouvernement local.

-

Elle nécessite la mise en place d’instances de régulation là où le conseil municipal est le seul légitimé par le suffrage universel.

-

Elle suppose que les acteurs de la société civile sortent d’un modèle basé le plus souvent sur la notabilité et s’investissent dans une mission de traduction et de construction collective dont l’objectif serait de cogérer le territoire.

Les principes de gouvernance se retrouvent dans les procédures pays et Leader. L’obligation qui est faite aux élus d’élaborer une charte de développement en mobilisant les acteurs locaux et les forces vives du territoire les conduit à associer la société civile.

Dans la mise en place des pays, la société civile se limite souvent aux représentants socioprofessionnels (chambre consulaire, syndicats...), lesquels sont sur des modalités de relation au politique instituées depuis longtemps. Ces acteurs traditionnels de la société civile, où le secteur économique est sur-représenté, ne sont pas toujours les plus bienveillants pour une gouvernance plus ouverte, qui pourrait remettre en cause leur place dans le système d'acteur. Le Conseil Économique et Social (dont la composition en regard des aspirations globales de la population pourrait être discutée) est à cet égard un bon exemple d’une société civile organisée dans le cadre d’un modèle politique basé sur le concept de gouvernement. Sa place est celle du conseiller du prince. Le modèle de gouvernance que suppose le développement durable va plutôt vers l’idée de co-décision, de co-responsabilité. Cette voie, nouvelle pour l’ensemble des acteurs, remet fortement en cause la place et le rôle de chacun. Elle suppose la capacité d’accepter le conflit et celle de permettre aux minorités de s’exprimer.

Au niveau local, la société civile, surtout au niveau des associations, fonctionne souvent sur le modèle du gouvernement. Le système d'acteur local s'est construit, de longue date, sur ce modèle et il n'est pas facile pour les acteurs de changer la dynamique relationnelle. La posture de conseiller ou de contradicteur sied à de nombreuses associations qui laissent volontiers la décision aux élus. De son côté, le politique se sent attaqué dans sa légitimité et son pouvoir de

décision. La démocratie participative est souvent vécue comme remettant en cause la démocratie représentative.