• Aucun résultat trouvé

Le principe d’association, une réalité humaine sous contrôle du pouvoir

Le principe d’association semble indissociable de l’histoire humaine. Jean Claude BARDOUT (2001), dans son ouvrage sur le droit des associations, rappelle que, depuis l’Antiquité, partout sur la planète, les hommes se sont regroupés. Ces groupements s’organisaient autour de trois grands thèmes : les groupements professionnels, les confréries religieuses et les associations de secours mutuel. Parmi les plus anciens, il cite, dès 1400 av. J.-C, l’existence d’un fond de secours en Basse Égypte pour les tailleurs de pierre. Dans la Grèce antique se développent des associations répondant aux différents besoins de la population (pratiques religieuses, professionnelles, politiques, entraide et secours). Dans l’Empire Romain, nombreux sont les groupements professionnels (scribes, forgerons, charpentiers, gladiateurs). Les collèges romains qui regroupent les citoyens par professions, quartiers ou croyances, sont des organisations structurées avec des assemblées générales et des représentants dûment mandatés. Le modèle gaulois s’inspirera des Grecs et des Romains mais puisera également dans l’expérience des ghildes scandinaves et germaniques.

En France, l’histoire des associations est émaillée d’interdictions. Dissolutions et condamnations d’associations, par décision des conciles ou édits de souverain, ne se comptent plus43 tant elles sont nombreuses, mais la multiplicité des arrêts et ordonnances renouvelant l’une après l’autre les mêmes prohibitions prouve combien il était difficile de les faire observer. Quelles que soient les formes d’association, les pouvoirs (politiques ou religieux) n’ont cesse de les surveiller, voire de les contrôler et d’en modifier le droit.

L'étude du droit d'association, à partir du Moyen-âge, montre un foisonnement associatif très encadré par l'Église. C’est l’époque des confréries qui regroupent des croyants autour d’un saint patron. Elles organisent des cérémonies, processions, mais s’occupent aussi des secours aux malades, aux veuves et orphelins. Apparaissent aussi les jurandes, qui donneront plus tard les corporations, unissant les membres d’une même profession. La corporation est une personne morale. Elle jouit de tous les droits civils. Si, à l’origine, elle fonctionne sur un mode égalitaire, démocratique et ouvert (essentiellement au niveau des maîtres), elle va petit à petit dégénérer et devenir un corps hiérarchisé, dépendant du pouvoir d'État, en échange de certains privilèges. A la hiérarchie fondée sur le mérite va succéder une hiérarchie sociale héréditaire. L’inégalité qui s’instaure dans les corporations va donner naissance, à partir du XIVème siècle, au compagnonnage. Exclus des confréries de maîtres, les compagnons fondent leurs propres associations.

43

Charlemagne interdit les confréries dès le IXème siècle.

1305 : Philippe le Bel interdit toute association de plus de cinq personnes en un lieu public ou secret.

1326 : Le Concile d’Avignon décrète « la nullité, la dissolution et la rupture de tous les rassemblements alliances, sociétés, conjurations dites fraternités et confréries fondées par les clercs ou les laïcs... ».

1383 : Charles VI interdit les maîtrises et confréries de métiers.

1539 : L’ordonnance de Villers-Cotterêts établit les bases juridiques de la répression anti-associative. François 1er déclare « abattues, interdites et défendues toutes confréries des gens de métier et artisans par tout le royaume » 1629 : Le code Michau défend à tous les sujets du roi de « faire aucune ligue ou association » et ce sous peine de mort et de confiscation des biens.

Le progrès technique et industriel va condamner le modèle corporatif. En 1776, Voltaire déclare : « Toutes ces maîtrises et jurandes n’ont été inventées que pour tirer de l’argent des

pauvres ouvriers, pour enrichir les traitants, et pour écraser la nation »44. Dans l’Encyclopédie45

(1751-1772), les maîtrises « sont la cause ordinaire du grand nombre de fainéants, de bandits,

de voleurs, que l'on voit de toutes parts. » (annexe n°1)

Les révolutionnaires de 1789 suivent les idées de Jean-Jacques Rousseau pour qui aucun intermédiaire ne doit exister entre l'État et le Citoyen. Il n’existe qu’une association légitime, c’est la Nation. L’association apparaît comme une fracture dans l’unité nationale. Elle limite la liberté de l’individu. « On peut dire qu’il n’y a pas autant de votants que d’hommes, mais

seulement autant que d’associations » (Rousseau, 1762). La déclaration des droits de l’Homme

et du Citoyen46 du 26 août 1789 omet le droit d’association. L’article 3 ne laisse pas place à l’équivoque : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul

corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »

La législation révolutionnaire ne reconnaît que les clubs et associations politiques qui expriment le nouvel état d’esprit. C’est ce que reconnaît la loi du 13 novembre 1790 : « Les

citoyens ont le droit de former entre eux des sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui régissent tous les citoyens. »

C’est la loi « Le Chapelier » du 14 juin 1791 qui condamnera, au nom de la liberté individuelle, toutes les associations professionnelles, corporations et compagnonnages confondus (annexe n°2).

« Art. 1 : L'anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état ou profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit. »

Le député Marat verra dans cette loi un attentat au droit d'association (annexe n°3).

Si la loi Le Chapelier interdit toute association professionnelle, le droit de réunion s’impose vite comme l’accessoire obligé de la démocratie. La constitution du 3 septembre 1791 reconnaît la liberté des citoyens à s’assembler comme un droit naturel et civil. Il va s’en suivre une explosion de clubs et sociétés. On en comptera 800 en 1792, dont les noms sont souvent très évocateurs.47 Les sociétés populaires vont prendre un poids de plus en plus important dans la vie sociale et vont pour certaines devenir des organes officiels. Elles participent à la désignation des fonctionnaires, effectuent des tâches de police, délivrent des papiers administratifs. Elles deviennent peu à peu les auxiliaires du gouvernement. Cette non-séparation entre pouvoir associatif et pouvoir étatique leur sera fatale. Cette question du rapport au pouvoir politique est toujours d’actualité dans le milieu associatif.

44

Citation extraite de l’ouvrage de J.C. Bardout (2001), p 66

45

Denis DIDEROT, Jean le Rond d’ALEMBERT, L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et

des métiers, Édition originale (1751 – 1772) Tome IX, p 911 à 915

46

Source : http://www.conseil-constitutionnel.fr

47

Société des défenseurs des droits de l’homme et du citoyen ; Société fraternelle des patriotes des deux sexes ; Société des hommes du 14 juillet ; Société des hommes libres ; Société populaire et républicaine des arts…

A partir de 1794, une série de décrets va limiter le pouvoir des clubs et sociétés populaires et le Code pénal napoléonien48 de 1810 va consacrer la fin de la liberté d’association :

« Article 291 : Nulle association de plus de vingt personnes dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s’occuper d’objet religieux, littéraires, politiques ou autre, ne pourra se former qu’avec l’agrément du Gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer à la société. »

Mais Napoléon, conscient de l’utilité des structures intermédiaires entre l'État et le peuple, va reconstituer certains corps qu’il conçoit comme des relais du pouvoir impérial : corps des fonctionnaires, chambre des avocats, des notaires, de la magistrature. Il crée les offices d’avoués, d’huissiers et de notaires. L’Empire rétablit le corps des bouchers et celui des boulangers. Napoléon fait surveiller, encadrer et diriger ces sociétés par ses agents.

L'envolée associative qui suit la révolution de 1830 sera de courte durée. Un débat s’engage au parlement pour limiter le développement des associations et la loi adoptée le 10 avril 1834, dite « Loi d’inquiétude », aggrave les dispositions de l’article 291 du code pénal.

« Art. 1er. Les dispositions de l'article 291 du code pénal sont applicables aux associations de plus de vingt personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections d'un nombre moindre, et qu'elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués. L'autorisation donnée par le gouvernement est toujours révocable. »

La révolution de 1848 va marquer une pause dans cette suite d’interdictions.

1848 - Art 8 de la Constitution républicaine : « Les citoyens ont le droit de s'associer, de s’assembler paisiblement et sans armes, de pétitionner, de manifester leurs pensées par la voie de la presse ou autrement. L’exercice de ces droits n’a pour limites que les droits ou la liberté d’autrui et la sécurité publique. »

Des centaines de clubs et associations se créent. C’est aussi l’envolée des associations ouvrières de production (coopératives) et des sociétés de secours mutuel. Mais très vite, le gouvernement s’inquiète et dès le 19 juin 1849, une loi, qui sera reconduite en 1850 et 1851, permet au gouvernement d’interdire les clubs et les réunions publiques. Le coup d'État de décembre 1851 mettra fin à la seconde république.

Les associations ont connu des temps difficiles depuis 1789 et la réflexion sur ces organisations ne cessera jamais (Fretel 2003). La fin du second Empire sera marquée par une libéralisation progressive du droit d’association :

-

25 mai 1864 – Loi qui autorise la coalition des ouvriers, à condition qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté du travail.

-

24 juillet 1867 – Loi qui reconnaît les coopératives ouvrières de production.

Sous la Troisième République, les débats sur la liberté d’association reprennent. De 1876 à juillet 1901, de nombreux députés, parmi lesquels Pierre Waldeck-Rousseau (annexe n°4), n’auront cesse de proposer des lois visant à supprimer les restrictions existantes au droit d’association :

-

Loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion.

48

L’article 291 ne réussira pas à supprimer toutes les associations. Les compagnonnages, les sociétés secrètes, les associations d’artisans et d’ouvriers se perpétuent en passant dans la clandestinité, sous la Révolution, l’Empire et la Restauration.

-

Loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels 49 abroge la loi Le Chapelier.

-

Loi du 1er avril 1898 relative aux sociétés de secours mutuels.

Il faudra 33 projets de loi avant que le 1er juillet 1901, Waldeck-Rousseau, devenu Président du Conseil, fasse adopter la loi sur le contrat d’association, publiée au Journal officiel du 2 juillet 1901 et dont le décret du 16 août paraît au Journal Officiel du 17 août 1901.