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• Première phase : l’observation

Dans les jardins familiaux, j’ai commencé par proposer d’aider les jardiniers en train de s’occuper de leur parcelle tout en discutant avec eux de façon informelle. Ainsi, de fil en aiguille, j’ai constitué mon réseau de connaissances et ces liens sont devenus de plus en plus familiers au cours du temps. Me présenter m'a posé d'entrée de jeu quelques problèmes. Comment le faire, et en particulier comment me présenter sur le plan professionnel? Si j'avais envie de taire mon métier de médecin afin de jouer à être un "vrai" ethnologue, comment alors me justifier si j'avais été découverte ? Ne pourrait-il pas y avoir alors une suspicion d’imposture? Saint-Malo est une petite ville et quelques uns de mes contacts se sont faits aussi grâce à des connaissances au courant de mon métier. Si être anthropologue implique de jouer à être un autre (Berliner, 2013), il était question bien 51

sûr de jouer à être jardinière, ce que j'ai fait d’autant plus dans le jardin où j’ai obtenu ma propre parcelle. Mais est-ce que ça impliquait aussi de "jouer" à ne pas être médecin? Pour éviter ces écueils qui auraient pu me faire perdre la confiance des jardiniers, j’ai finalement choisi de me présenter comme un médecin qui, en parallèle, faisait une thèse d'anthropologie. Ne mentir sur rien me permettait de ne pas me prendre les pieds dans le tapis.

Comment expliquer le métier d'anthropologue? En commençant cette observation, cela m’a semblé bien compliqué, non seulement en raison du fait que je sois médecin (est- ce cela qui a fait que tant de fois on m’a soupçonnée de faire des recherches archéologiques sur des crânes, de l’anthropologie morphologique, ou encore des enquêtes pour la police scientifique, provoquant alors chez certains jardiniers une certaine incompréhension quant à ma présence au sein d’un jardin). Au début, quand je me présentais, mes explications probablement peu claires semblaient difficilement compréhensibles, ce qui me paraissait inconfortable. Il m’était difficile d'expliquer le lien entre jardin et anthropologie, puisque justement c’était ce lien que je venais questionner, sans trop d'idées préconçues puisqu’il s’agissait de mon premier terrain sur la question. Mais assez rapidement, j’ai considéré que ce flou n'était pas pour desservir l’enquête, il

Les propos en italique sont ceux repris des auteurs

permettait au contraire de ne pas orienter le discours des jardiniers, ni ce qu’ils me donnaient à voir. Bien souvent, au début des entretiens, j’ai eu l’impression d’être reporter pour Rustica! Je n’ai cependant pas mis de côté tout cet aspect technique, considérant qu’il faisait partie intégrante de l’ethnographie de ces jardins.

Je m'y suis rendue le plus possible à vélo, considérant que ce moyen de locomotion rendait le contact plus facile. J'aimais l'idée de ce moyen de me déplacer comme faisant partie de ma panoplie d'ethnologue, ce qui avait en plus l’avantage de me faire penser que j'étais en dehors en quelque sorte, inclassable en terme de position sociale... comme un anthropologue?...

Une des difficultés était de trouver des jardiniers présents au jardin notamment pour les jardins familiaux, puisque chacun y va jardiner pour son propre compte, selon son emploi du temps. Il n’y a donc pas d’horaires particuliers pour ces jardiniers, ni pour l’ouverture de ces jardins, même si leur fréquentation augmente pendant le week-end ou en fin d’après-midi. Difficultés en terme d'horaires mais aussi en terme de saisons : en plein mois de décembre, il y a moins de jardiniers qui travaillent et la conversation en plein vent glacial n'est pas forcément possible. Et puis l’hiver n’est pas la pleine saison du légume, même s’il peut y en avoir encore, et que des travaux de préparation de la terre se poursuivent. Ce fut donc une observation en partie saisonnière, plus soutenue aux beaux jours. Cependant ce travail d’observation n’a pas cessé en hiver, le caractère saisonnier justement de cette activité m’apparaissant comme essentiel.

Ce fut beaucoup plus facile pour le Jardin partagé de Dinan, puisque les plages horaires de jardinage étaient fixées, mais aussi parce que la condition de l’observation participante a justement été imposée naturellement par l’association. Il fallait adhérer à l’association et participer aux activités, et donc bénéficier de sa part de légumes à la fin de la demi-journée pour pouvoir observer. Tous les jardiniers ne savaient pas forcément que ce travail d’enquête était en cours. Dans ces conditions, il me fut ensuite facile de proposer des entretiens à certains jardiniers et aux responsables de l’association.

Au Jardin de Rothéneuf, ce fut un peu plus compliqué en terme d’organisation de l’observation car le petit nombre de jardiniers, soit cinq foyers, ne me permettait pas comme au Bignon d’y aller régulièrement et de voir si quelqu’un y travaillait, il y avait en effet rarement quelqu’un. Certaines incursions solitaires m’ont cependant permis d’observer ce beau jardin. Il a fallu organiser des rendez-vous avec les jardiniers dès le début pour les y rencontrer. Et de la même façon que dans les autres jardins, il y a eu des rencontres pour jardiner avec eux ou d’autres réservées à des entretiens. Un des entretiens a été plus amusant : installée sur une chaise au beau milieu du jardin, j’ai conduit l’entretien en prenant des notes alors que le couple travaillait autour de moi. Nous avons

alors ri en évoquant l’ethnologue du début du XXème siècle au milieu des autochtones, comme sur les si belles photos de Malinowski...

Au Jardin de la gare, ce fut encore un peu plus difficile. Une jardinière rencontrée en dehors du jardin a permis d’établir le contact. Son caractère confidentiel « illégitime » ne rendait pas les jardiniers forcément accueillants. On me soupçonnait d’emblée de vouloir une parcelle, ou encore d’être susceptible d’ébruiter l’existence de ce jardin considéré comme inexistant grâce au fait qu’il reste caché. C’est grâce à cette informatrice privilégiée que deux autres jardiniers ont pu être rencontrés, mais on ne peut pas dire que ces observations aient pu se faire sur un temps long, Mon intégration au jardin n’a pas été réellement possible et le caractère très individuel des activités de chacun, en particulier en raison des haies masquant les jardins aux yeux des autres jardiniers ne m’a pas permis de devenir une figure à laquelle on s’habitue, dont on oublie un peu la présence. Tous ces jardins sont d’ailleurs cadenassés et peu visibles lors d’une simple déambulation.

J'ai donc dans un premier temps participé aux travaux de jardinage. Il m'apparaissait également important d’observer ces jardins même sans la présence des jardiniers : la place des clôtures, les fleurs, le jardin en hiver par rapport au jardin en été, les mauvaises herbes etc. J'ai fait des photos et quelques dessins, profitant des moments où aucun jardinier n’était là.

J'ai également participé aux événements qui jalonnent la vie de ces jardins : fêtes, pique-niques, assemblée générale, réunions.

• Deuxième phase : les entretiens

Ces observations se sont poursuivies de manière informelle, mais ont surtout été complétées par la phase des entretiens individuels. 23 entretiens approfondis ont été menés. Ils duraient en moyenne une heure et demie. Ils ont eu lieu cette fois sur rendez-vous avec le jardinier : au jardin si le temps le permettait ou chez des jardiniers, ou encore chez moi pour l’un d’entre eux. En tous cas toujours autour d’une table permettant une prise de notes correcte, il y a d’ailleurs toujours des tables dans les jardins pour les pique-niques.

Ces temps d’échanges ont nécessité une partie préliminaire où cette fois il a fallu expliquer un peu plus l’objet de ce travail, mais cette difficulté était alors plus simple à gérer en entretien, en raison du temps disponible pour échanger et expliquer. Au bout de 18 mois d’observation, j'ai proposé des entretiens à des personnes que je connaissais. Il s'agissait d'entretiens semi-directifs dont la trame s’est modifiée au fil du temps, en fonction des données recueillies et des nouvelles interrogations qui émergeaient. Au préalable, une grille d’entretien était rédigée à partir d’un modèle et je prenais des notes 52

Annexe 7 : Modèle de guide d’entretien

au cours de l’entretien, certains verbatims étant mis entre guillemets lors même de la prise de ces notes. Les guides des entretiens ont été réécrits pour chaque nouvelle personne, selon l’apparition de nouveaux questionnements au fur et à mesure de l’avancée du travail d’enquête et selon le jardinier.

En ce qui concerne les jardiniers avec lesquels ont eu lieu les discussions, trois ont été menées avec les deux membres d’un couple, 11 avec des femmes et 9 avec des hommes. Neuf personnes étaient encore en activité, les autres étaient en retraite. Les âges s’échelonnent entre 49 et 85 ans. Les activités de chacun sont consignées dans un tableau en annexe 8 . 53

Organiser ses récoltes et ranger ses outils : les données recueillies