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Toutes les motivations avancées lors des discussions avec les jardiniers ne sont pas exclusives les unes des autres, les jardiniers en citent volontiers plusieurs.

Le lien avec la nature est ce qui revient le plus dans leurs discours à propos de ce qui les a incité à se lancer dans cette activité.

« Tout est dans la nature. »

« Il y a un amour avec la terre, c’est la terre qui donne. »

Ce lien est considéré comme positif, ressourçant, comme un retour à quelque chose, ou comme un ilôt, un refuge au sein de la ville. Dans ce lien, il y a la notion d’un lien physique avec la terre et les végétaux.

« Venir au jardin c’est un moment de silence, de corps à corps avec le ciel et la terre. »

C’est une motivation qui occupe le devant de la scène dans d’autres études également. Pour Pascale Scheromm qui a étudié les jardins collectifs de Montpellier, elle 82

fait également partie des premières. Le potager est considéré comme un endroit de nature et s’ajoute au fait qu’il existe un lien de l’homme à la nature par l’alimentation, le lien physique à la nature passant en partie par l’alimentation. L’intérêt que les jardiniers ont pour faire pousser leurs propres légumes est considéré comme un bonheur ou une passion, qui s’associe avec le besoin d’être dehors, de rapport physique avec la terre et le végétal, puis ensuite viennent ensuite les notions de ressourcement, de sérénité, la recherche de lien

SCHEROMM Pascale, 2015, op. cit.

social et le tout parfois s’inscrit dans un domaine plus large, celui d’une conscience environnementale ou de la construction d’une société plus solidaire et plus durable.

Les motivations alimentaires ne sont jamais mises au premier plan, cela est probablement dû au fait que ces jardins ne se situent pas dans des quartiers défavorisés. Ce qui se retrouve également dans les observations de Pascale Scheromm à Montpellier dans d’autres contextes sociaux. Il semble qu’aux États-Unis cette préoccupation soit plus facilement mise en avant avec les notions de sécurité et de justice alimentaire . 83

Ensuite, les jardiniers considèrent que cultiver un potager permet de passer des moment agréables voire bénéfiques, au point parfois de considérer cette activité comme « thérapeutique ». Ces moments de loisirs se retrouvent également dans toutes les études abordant les motivations des jardiniers . Certains viennent y chercher une sociabilité, 84

« voir du monde ». Ils considèrent ce jardin comme permettant de sortir d’un certain isolement social. Le fait de pouvoir échanger et créer des liens avec les autres jardiniers est une motivation aussi importante que celle de cultiver des légumes.

Jeanne Pourias a ainsi recensé 8 sphères de motivations et d’objectifs auprès de 85

jardiniers de jardins collectifs urbains : investir un nouvel espace, acquérir ou transmettre un savoir, rencontrer partager, porter un projet ou une utopie, pratiquer un loisir, expérimenter, produire et goûter, se souvenir, s’isoler de la ville, être en contact avec la nature, pour la santé mentale et physique. Pour chacun des jardiniers quelques fonctions prennent le dessus et tous n’invoquent pas l’ensemble, et ceci varie au sein des mêmes jardins. Les caractéristiques fonctionnelles des jardins (taille, fonctionnement en mode partagé ou individuel etc) vont influencer les pratiques des jardiniers et les fonctions qu’ils lui attribuent.

Mais une réflexion sur les motivations des acteurs en anthropologie a forcément des limites. Il existe un hiatus entre ce qu’ils expriment et ce qui est effectivement observé,

PADDEU Flaminia, 2012, « L'agriculture urbaine dans les quartiers défavorisés de la métropole New-

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Yorkaise : la justice alimentaire à l'épreuve de la justice sociale », in VertigO - la revue électronique en

sciences de l'environnement [En ligne], Volume 12 Numéro 2 | septembre 2012, mis en ligne le 01 octobre

2012, consulté le 16 novembre 2017. URL : http ://vertigo.revues.org/12686 ; DOI : 10.4000/vertigo.12686 DUCHEMIN Éric, WEGMULLER Fabien, LEGAULT Anne-Marie, 2010, « Agriculture urbaine : un outil

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multidimensionnel pour le développement des quartiers », in VertigO - la revue électronique en sciences de

l'environnement [Online], Volume 10 numéro 2 | septembre 2010, posté en ligne le 24 Septembre 2010,

consulté le 08 Janvier 2018. URL : http ://journals.openedition.org/vertigo/10436; DOI : 10.4000/vertigo. 10436; SCHEROMM Pascale, 2015, op. cité; POURIAS Jeanne, 2014, Production alimentaire et pratiques

culturales en agriculture urbaine Analyse agronomique de la fonction alimentaire des jardins associatifs urbains à Paris et Montréal, 271p, Thèses de Sciences agronomiques, Paris, AgroParisTech

POURIAS Jeanne, DANIEL Anne-Cécile, AUBRY Christine, 2012, « Terroirs urbains? La fonction

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alimentaire des jardins associatifs urbains en question », in Pour : enquête et témoignage, groupe de recherche pour l’éducation et la prospective , 2012/3 (N° 215-216), p. 333-347. DOI : 10.3917/pour. 215.0333; URL : https://www.cairn.info/revue-pour-2012-3-page-333.htm

entre ce qui motive les jardiniers et leurs conduites réelles. Si par exemple le rôle alimentaire des jardins n’est pas mis en avant comme motivation première, il est indéniable que ces productions ont une fonction dans l’alimentation des jardiniers, comme en atteste la thèse de Jeanne Pourias ou les travaux de Duchemin et al. qui déplorent justement le 86

manque de prise en considération de la fonction alimentaire bien réelle de ces jardins, notamment par les pouvoirs publics. Il en est de même pour l’aspect éducatif de cette activité : si on ne dit pas venir y apprendre, cela n’empêche pas qu’en pratique les acquisitions de savoirs y jouent un rôle déterminant. C’est l’intérêt d’une enquête de terrain de ce type qui ne procède pas par questionnaire, mais par observation de longue durée.

S’intéresser aux motivations doit rester limité à certaines images que ces jardins mobilisent. Mais la confrontation aux pratiques mettent à l’épreuve les motivations et en développent des sphères différentes alors que d’autres sont plus estompées. Ici, l’intérêt de l’étude de ces motivations est de souligner l’importance pour les jardiniers de ce qu’ils conçoivent comme une activité qui les met en contact avec la nature.

Les jardiniers forment des collectivités contrastées. Mais dans les jardins familiaux, chaque parcelle est bien celle d’une seule personne. Après avoir décrit qui jardine et pourquoi on dit que l’on jardine, il est temps d’aborder maintenant la description de cette horticulture de jardin rythmée par les saisons.

DUCHEMIN Éric, WEGMULLER Fabien, LEGAULT Anne-Marie, 2010, op.cit.

Chapitre 2 : Jardiner, au fil des saisons

Toute la vie dans les jardins est soumise au rythme des saisons, qu’il s’agisse des activités des jardiniers ou de la vie collective qui s’y déroule. Toute horticulture est saisonnière, même si d’un endroit à un autre du globe, cela ne revêt pas la même signification. Toutes les saisons ne se succèdent pas selon le même rythme, la même périodicité, et n’impliquent pas forcément les mêmes changements d’activités et les mêmes intensités de variations d’activités de l’une à l’autre. Le caractère saisonnier de certaines activités marque la vie en société comme s’est attaché à le décrire Mauss dans son Essai

sur les variations saisonnières des activités eskimos . Après avoir décrit de manière 87

détaillée les tâches qui sont effectuées dans ces jardins tout le long de l’année et ce que cela implique en terme de prévisions et d’anticipation, il sera question des variations saisonnières de la vie sociale de ces jardins collectifs.

2-1 Cultiver ses légumes tout le long de l’année