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Se pencher sur le profil des jardiniers apporte des informations sur la mixité sociale, en termes d’âge, de genre et de catégories socio-professionnelles, et sur la place respective des hommes et des femmes au sein de ces jardins. Toutefois, cet échantillon ne peut être considéré comme représentatif d’abord et surtout parce qu’il est de taille restreinte, ensuite parce qu’il concerne des jardins implantés uniquement dans deux villes d’Ille-et-Vilaine. Ces deux villes sont assez particulières, notamment parce que la population issue de l’immigration y est restreinte. D’autre part, ces jardins se situent tous dans des quartiers plutôt aisés. Ils ne sont pas au pied d’immeubles dans des quartiers sensibles ou en difficulté.

1-1-1 D’un jardin à l’autre

• Au Jardin familial du Bignon

Le jardin familial du Bignon est divisé en quarante-quatre parcelles. Sur le plan qui est affiché sur les panneaux aux deux entrées du jardin , le prénom des jardiniers est 66

mentionné sur les parcelles. Sur huit parcelles sont mentionnés les deux prénoms du couple qui jardine. Sur les autres, il s’agit juste d’un prénom. Si l’on se fie à ce plan, on compte quinze parcelles attribuées à des hommes, vingt et une parcelles à des femmes, et huit à des couples. Sur ces vingt-et-une parcelles attribuées à des femmes, deux sont entretenues par deux femmes amies et non en couple, leurs deux prénoms y figurent. Vingt-cinq parcelles sur quarante-quatre sont attribuées à des personnes retraitées ce qui signifie un peu plus de la moitié.

Les professions des personnes du jardin sont très variées. Celles des personnes qui sont encore en activité sont les suivantes : un dessinateur, deux assistantes sociales, une bibliothécaire, deux employés des Postes, un infirmier de bloc opératoire, une professeur d’agronomie en lycée technique, une femme de chambre dans un hôtel, un peintre, deux urgentistes, un marin, un personnel naviguant, une gestionnaire d’entreprise, un enseignant, un cuisinier au CROUS, deux responsables de rayon dans une grande surface, une

Annexe 2 : Plan du Jardin du Bignon

kinésithérapeute. On ne peut donc dire que ces parcelles sont attribuées à une seule classe sociale, comme cela a pu être le cas des jardins ouvriers du début du XXème siècle.

Une des jardinières se dit issue de la bourgeoisie. Elle est professeur de lettres retraitée. Ses parents avaient un jardin d’agrément entretenu par du personnel où les filles allaient apprendre, selon elle, à s’occuper des fleurs. Elle exprime l’importance que revêt pour elle de cultiver ce jardin avec les autres en termes de mixité :

« Jardiner ici c’est une façon d’avoir un brassage de milieux. Moi auparavant je n’ai pas eu l’occasion de participer à un tel brassage ».

Pour résumer, quant au profil des jardiniers de ce jardin, on peut souligner le fait que la majorité d’entre eux sont des femmes, et qu’un peu plus de la moitié de ces jardiniers sont encore en activité, ce qui peut aller à l’encontre de l’image reçue du jardinier homme retraité, même si la représentation des personnes retraités est importante. Il n’y a pas de classe socio-professionnelle dominante dans ce jardin.

• Dans le Jardin partagé de Dinan

Deux demi-journées de jardinage sont organisées le vendredi matin et le mercredi après midi au Jardin convivial. Le vendredi, une quinzaine de personnes se retrouvent. Elles sont moins nombreuses, quatre ou cinq, le mercredi. Certaines personnes viennent aux deux séances. Les personnes des associations extérieures qui participent à la vie de ce jardin viennent le vendredi. Il est interdit de venir jardiner seul, mais il est autorisé de venir au jardin sans y travailler, pour profiter du jardin ou pique-niquer. La personne qui est à l’origine de la création du jardin le rappelle :

« Il y a interdiction de venir y travailler en dehors des deux créneaux pour quatre raisons. La première est que les gens ne savent pas ce qui a été semé. Ça peut donner envie de voler. Et cela peut faire soupçonner celui qui vient y jardiner de fauche par les autres, c’est tentant. La quatrième raison est qu’on est dans le collectif, il n’y a pas de sens à y venir seul.»

Ce jardin se veut convivial, pour reprendre les propos de ceux qui l’ont pensé. Il est non seulement ouvert à tous, mais le recrutement de personnes en difficulté sociale s’est fait de manière particulièrement volontariste.

« Le projet c’est pas le jardinage, c’est la mixité sociale » rapporte une des animatrices depuis la première heure de ce jardin.

« Le but du jardin c’est de décloisonner les structures, de créer des passerelles, de créer un carrefour, un lieu d’échange.»

Tous ceux qui le souhaitent peuvent venir jardiner, la seule chose demandée est une cotisation annuelle de 10 euros pour tous les jardiniers, qu’ils soient amenés à participer par les organisateurs de leurs lieux de vie comme les patients pris en charge par le SAVS ou le foyer de vie de personnes en situation handicap, ou qu’ils viennent de façon spontanée. Cette cotisation est la même pour tous les membres de l’association.

« Cette cotisation fait partie des principes fondateurs de l’association. Elle participe à rendre acteur tout le monde sans distinction. Par exemple des gens sous tutelle nous ont dit qu’ils n’avaient pas d’argent. On leur a rétorqué qu’ils étaient comme tout le monde, et qu’à ce titre ils devaient payer leur cotisation comme tout le monde. Ainsi les gens posent des actes d’engagement. D’ailleurs Pierre, qui vit en famille d’accueil, n’avait de cesse de nous donner son billet, c’était important pour lui. »

Les modes de recrutement des jardiniers sont multiples. Le plus souvent, il s’agit du bouche à oreille. La fondatrice du jardin qui a aussi fondé celui de Cocagne de Dinan aimerait que les membres des deux associations participent aux deux jardins. Le Forum des associations de Dinan a permis de mobiliser plusieurs jardiniers qui font partie des fidèles. Des réseaux s’entremêlent : Luc, qui a été un moment le président de ce jardin, faisait partie du Système d’échange local (SEL) à Dinan et a par ce biais recruté beaucoup de nouveaux adhérents. Le principe de ce système est basé sur le constat que tout individu possède des compétences, des moyens ou du temps qu’il peut échanger avec les autres sans utiliser d’euros. Il s’agit de la mise en relation de personnes qui mettent des services, des savoirs et des biens à la disposition les unes des autres.

Mais la démarche de recrutement des jardiniers a été volontairement plus étendue et ciblée pour tendre au but de mixité sociale que s’est donné ce projet. Les animateurs ont fait appel à différents organismes pour toucher un public plus large : le SAVS (Service d’aide à la vie sociale) qui s’occupe de personnes sortant des hôpitaux psychiatriques afin de favoriser leur réinsertion sociale, l’IME situé à côté du jardin, le foyer des Rainettes, qui est un foyer d’adultes épileptiques de Broons, un village des alentours. Des tentatives de travailler avec le CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) ont par contre été vouées à l’échec. Les animateurs du jardin posent comme condition à ces différents organismes que leurs usagers doivent venir accompagnés de leurs éducateurs. Quelques fidèles jardiniers vivent en famille d’accueil. Ils ont eu une fois une petite fille autiste que les parents venaient déposer, mais sa prise en charge s’est avérée trop lourde. Les enfants de l’IME ne viennent qu’une fois par mois, contrairement aux autres associations qui

viennent le vendredi matin. Lors de cette séance, certains jardiniers se consacrent à l’encadrement des enfants en plus des éducateurs de l’IME.

« On rencontre des gens d’horizons différents. Chacun fait ce qu’il peut, chacun contribue à sa manière »

Il ne semble pas y avoir de prédominance féminine ou masculine dans cette collectivité. Mais les deux personnes les plus investies dans l’association et depuis le plus longtemps sont des femmes.

La mixité volontariste se reflète dans la manière dont les tâches sont distribuées lors de ces matinées de travail. Les jardiniers se retrouvent le mercredi de 14h à 17h00 et le vendredi matin de 9h30 à 12h, en été de 9h à 12h. L’arrivée des jardiniers au jardin s’échelonne sur une demi-heure.

On commence par visiter tous ensemble le jardin, ainsi l’organisateur présent ce jour là distribue les tâches. Cette répartition se fait en fonction de ce que chacun aime ou est en capacité de faire d’une part, mais aussi en fonction des affinités entre les jardiniers. En général, on essaie de dédier une mission à deux personnes, et on tient compte de ce binôme pour les faire travailler ensemble. On sait qu’Icham est patient, on va essayer de l’affecter à des tâches qui nécessitent cette qualité, et on le fera travailler avec Ruth qui est très

Jardin partagé de Dinan : vers 9h30 en hiver on se retrouve près de la cabane pour discuter des tâches à affecter et les repartir entre les personnes qui sont présentes.

patiente également, et qui s’entend bien avec lui. Un autre adore le maniement de la brouette, on essayera de l’affecter à cette tâche qui lui plaît. Certains travaux simples comme celui de récolter les courges seront réservées aux enfants de l’IME qui doivent venir ce jour là. Ce qui n’est pas dit cependant c’est que les organisateurs essaient dans la mesure du possible de panacher les petits groupes de travail afin de mélanger les différentes origines sociales des jardiniers. Ils créent des duos qui fonctionnent en partie parce que les deux personnes s’apprécient, et en partie parce qu’elles seront en mesure de s’aider, d’être complémentaires. On sait aussi qu’il ne faut pas mettre untel avec une autre car ils ne vont pas arrêter de bavarder et ne vont pas travailler, si untel ne souhaite pas travailler avec untel, on fait en sorte de le respecter. Ces petits groupes peuvent être plus importants : par exemple quatre personnes vont être chargées de travailler une parcelle à la grelinette car ce travail difficile physiquement nécessite d’être plus nombreux. Il peut 67

arriver qu’un des soucis des organisateurs soit qu’il y ait suffisamment de travail pour tous les présents. Si les jardiniers sont assez nombreux justement on peut envisager d’autres tâches qui relèvent de l’entretien ou de la réorganisation du jardin comme créer une allée ou une bordure, tailler des haies. Ces répartitions se font sur place, sans réflexion préalable puisque l’on fait avec ceux qui sont là. Une tâche est toujours la même, quelque soit la saison : c’est celle qui consiste à cueillir, rassembler et distribuer les légumes à la fin de la demi-journée de travail.

Voir lexique

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Jardin partagé de Dinan : à la fin de la demi-journée de jardinage, les récoltes sont réparties dans des cageots. Des personnes sont alors affectées à les partager de façon équitable entre toutes les personnes qui sont présentes. Ce jour là, il y a des choux, des choux de Bruxelles, de la mâche et des carottes. Les jardiniers ont prévu des sacs pour emmener les légumes chez eux.

Pour ce faire, on met dans l’herbe un nombre de cagettes en plastique qui correspond au nombre de jardiniers présents. Les légumes y sont répartis. La récolte étant variable selon les saisons, l’importance du panier l’est aussi. Ce partage se veut égal pour tous ceux qui ont travaillé, les jardiniers peuvent ensuite échanger des légumes entre eux. Si vraiment le temps est épouvantable, on range des outils, on réorganise les cabanes, on trie du matériel, on fait tout ce qui peut se faire sous abri. La mixité se lit aussi dans la façon dont on demande aux jardiniers de respecter les horaires, quel que soit leur handicap, car il ne s’agit pas d’arriver en fin de matinée pour bénéficier du partage de la récolte sans avoir travaillé. Malgré tout, si une présence plutôt régulière est bienvenue pour favoriser les échanges, on accepte aussi de bonne grâce les personnes qui viennent de façon sporadique.

Il y a peu de contacts avec les gens du quartier. Le lien ne s’est pas fait. Même si les jardiniers avaient des idées de compost en commun pour tisser un lien avec eux, cela reste en projet.

Il y a donc au sein de ce jardin une vraie mixité sociale, mais pas d’insertion dans le quartier. Le jardin convivial est en quelque sorte un îlot géographique de mixité sociale.

• Au Jardin de Rothéneuf

5 parcelles sont attribuées. Quatre sont entretenues par des couples, une par un homme célibataire. Toutes ces personnes se connaissaient avant sans pour autant être véritablement des amis proches. Trois des couples sont actuellement en retraite.

Sur les quatre couples, deux travaillent généralement ensemble au jardin. Pour les deux autres ce sont les femmes qui entretiennent la parcelle. Les hommes participent aux manifestations collectives du jardin et aux travaux d’aménagement.

« Ce sont surtout les femmes, en dehors de Gabriel, qui cultivent. »

Anne-Claude était infirmière, Jacques professeur d’anglais, Catherine est psychologue, Alice dirigeait le centre de planification familial, François était conseiller d’orientation, Jeannine et Michel étaient commerçants, Gabriel est intermittent du spectacle. Michel, qui est à l’initiative de ce jardin, a un engagement associatif fort. Il a fondé plusieurs AMAP et est engagé dans plusieurs autres associations.

Chacun dans ce jardin vient quand il le souhaite. Les jardiniers qui y travaillent revendiquent une certaine autonomie. On se défend par exemple de prévenir les autres quand on vient mais il arrive quand même que certains le fassent pour organiser un pique- nique, un moment convivial, ou pour entreprendre certaines tâches d’aménagement, notamment en ce qui concerne la partie commune du jardin.

« Quand on vient, on passe un coup de fil à Gabriel pour l’emmener car il n’a pas de voiture. Le samedi ou le dimanche, on est sûrs de trouver quelqu’un alors on emmène un peu plus pour le pique-nique. Parfois, on s’envoie des mails pour organiser un pique-nique le week-end. Ça m’arrive de demander à Catherine si elle sera au jardin. Je le fais moins avec Alice car je sais qu'elle est souvent là. Quand on décide de faire un pique-nique, en général, on prévient les autres. Mais on se permet aussi d’amener des autres amis sans prévenir les autres ».

Dans ce jardin encore il y a prédominance féminine, la mixité sociale y est moins marquée.

• Au jardin de la gare

Je n’ai pu m’entretenir qu’avec trois jardiniers sur quinze. Ils ne se connaissent pas tous entre eux. Deux des jardiniers avec lesquels j’ai pu échanger sont des femmes. Une est en retraite. L’autre est éducatrice. Christian est en retraite d’une société de transport aérien. La majorité des personnes de ce jardin sont en retraite, d’après l’un d’eux.

Une des plus anciennes du jardin raconte bien le mode de fonctionnement particulier de ce jardin :

« On se connait par nos prénoms. Mais on ne sait pas où habitent les uns et les autres. On n’est pas forcément du même coin. Des gens sont venus qu’on ne connaissait pas, il a fallu les assimiler. Chacun fait ce qu’il veut dans son coin, personne ne veut fonctionner en association. »

Aucun manifestation collective n’est théoriquement prévue dans ce jardin. En pratique une jardinière a organisé sur sa parcelle un ou deux pique-niques en invitant ceux qu’elle connaissait ou avec qui elle avait des affinités, mais cela s’arrête là.

1-1-2 La mixité dans les jardins

Les jardins familiaux sont assez semblables en ce qui concerne la diversité des catégories socio-professionnelles qui s’y côtoient. Il ne s’agit donc plus d’un jardinage de loisir d’une classe sociale, celle des ouvriers, comme celui qu’a décrit Florence Weber dans

L’honneur des jardiniers . On ne peut pas plus affirmer non plus qu’il s’agit d’un 68

jardinage réservé aux classes aisées. Différentes catégories socio-professionnelles s’y côtoient. Beaucoup de jardiniers sont issus de famille d’agriculteurs et jardinent par plaisir, ce plaisir puisant sa source dans la mémoire familiale :

WEBER Florence, 1998, op. cité, p 9

« Avant, j’ai toujours jardiné en privé. C’est plus pratique de jardiner dans son propre jardin car on a tout sous la main mais ici ça crée du lien social. On rencontre des gens d’autres milieux. Et on ne parle pas de sa profession, on parle jardinage. »

Le jardin partagé de Dinan se distingue cependant radicalement des jardins familiaux par l’intégration volontaire de personnes en situation de handicap psychique ou physique.

Il ne s’agit pas non plus de jardins investis uniquement par des personnes en retraite, même si les retraités y sont un peu plus représentés que les personnes en activité professionnelle. D’ailleurs les personnes investies dans les associations de manière active ne sont pas non plus uniquement des retraités, il y a un mélange des deux.

1-1-3 Femmes et jardins

Les femmes y occupent une place plus importante que les hommes, ce qui semble faire partie aussi de la mutation de ces jardins des trente dernières années, même s’il y a peu d’études sur le genre et les jardins collectifs urbains. Cela s’explique d’abord parce celles qui s’y investissent sont bien souvent en retraite, donc par un allègement relatif de leurs tâches quotidiennes. Il existe évidement un lien entre les structures de la famille et les agricultures familiales . 69

Du point de vue plus général du potager et du jardin privatif, il ne semble pas qu’il y ait de prédominance de genre dans la distribution sexuelle des tâches dans le jardinage. Elle s’avère plus complexe selon les jardins, les activités des personnes et les âges de la vie.

Dans une étude anthropologique sur les fleurs dans les jardins privés du point de vue des rapports sociaux que ces jardins mettent en oeuvre, Martine Bergue distingue trois 70

types de jardins où elle identifie de manière assez claire les distributions sexuelles des tâches au sein des jardins : les jardins paysans, les jardins fleuris et les jardins au naturel. Les premiers, qui mélangent potagers et fleurs sont l’apanage des femmes dans le monde paysan, mais le potager passe dans le domaine des hommes après la retraite. Les femmes gardent alors le domaine des jardins ornementaux, celui des fleurs. Dans ces jardins paysans, on privilégie les fleurs transmises et non achetées, récupérées. L’espace des fleurs y est réduit, il occupe en général le devant de la maison. Les jardins fleuris, jardins dédiés

GEORGES Isabel, BLANC Julien, « L'émergence de l'agriculture biologique au Brésil : une aubaine pour

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l'agriculture familiale ? Le cas de producteurs de la ceinture verte de la ville de São Paulo », in Autrepart, 2013/1 (N° 64), pp. 121-137. DOI : 10.3917/autr.064.0121. URL : https://www.cairn.info/revue- autrepart-2013-1-page-121.htm

BERGUE Martine, 2011, En son jardin. Une ethnologie du fleurissement, Paris, Maison des sciences de

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cette fois exclusivement aux fleurs et où les espèces sont choisies en fonction de leur