• Aucun résultat trouvé

2-1 Cultiver ses légumes tout le long de l’année 2-1-1 Au printemps

Afin de préparer un sol à être cultivé, il faut non seulement enlever les éventuelles mauvaises herbes, mais aussi le travailler afin de rendre la terre moins compacte et de l’aérer. En général, cette tâche a lieu juste avant de semer, aux mois de mars et avril. Selon les habitudes classiques de l’horticulture, il faut bêcher le jardin, la bêche étant d’ailleurs un des outils emblématiques du jardinier. Mais certains partisans d’une agriculture biologique luttent contre cette pratique qui tue les vers de terre et détruit les écosystèmes en bouleversant l'organisation des couches de la terre. Ils militent pour une autre façon d’aérer les sols à l’aide d’une grelinette. Au Bignon, la majeure partie des jardiniers bêchent de façon traditionnelle mais l’usage de la grelinette se répand. Un jardinier l’a prêtée à un autre qui s’est déclaré conquis et en a ensuite parlé à son voisin. Comme le premier est un jardinier influent en raison de ses connaissances et de son ancienneté dans le jardin, l’usage de cet outil se répand d’autant plus facilement.

MAUSS Marcel, 2001 (1950), « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. Etude de

87

• Semis

Dès le mois de février, certains jardiniers préparent la saison chez eux en faisant des semis. On peut se procurer des semences de plusieurs manières. Les graines produites et distribuées le plus largement le sont aussi bien en grandes surfaces qu’en jardineries. Mais elles peuvent aussi être vendues sur des sites spécialisés. Les semenciers les plus présents sur le marché produisent des semences de première fécondation, «F1», qui ont la particularité de ne pouvoir être récupérées l'année suivante par les jardiniers. Ces variétés F1 sont issues du croisement de parents soigneusement choisis par les sélectionneurs. Chaque parent appartient à une lignée bien précise, remarquable par certaines de ses qualités. En général, on cherche à marier des caractères complémentaires et particulièrement intéressants. Par exemple, rendement et précocité (c'est-à-dire l'aptitude à pousser rapidement) pour un parent, qualité gustative et résistance aux maladies pour le second. Ces variétés hybrides ont des qualités supérieures à celles de chacun de leurs parents (vigueur, qualités gustatives). Les cultures qui en sont issues se caractérisent par leur aspect uniforme. Les graines issues de ces plantes F1 donneront des plants différents, moins vigoureux et laissant des caractères des parents de départ s’exprimer sans qu’ils soient forcément les bienvenus, leur qualité sera donc moins bonne. Les jardiniers le savent par expérience plus qu’en théorie, beaucoup se sont aperçus que récupérer les graines de tels plants ne donne pas d’aussi bonnes récoltes que lorsqu’ils ont semé des graines achetées. Ce pourquoi la plupart d’entre eux ne pratiquent pas la récupération des graines de leurs propres légumes. S’ils ne savent pas que c’est parce qu’il s’agit de semences F1, ils savent qu’il n’est pas rentable en terme de production de le faire.

Il existe des semences biologiques qui peuvent être distribuées en grandes surfaces ou en jardinerie, mais les catalogues les plus fournis se trouvent sur des sites internet spécialisés. Le biologique n’exclut pas les semences de type F1 car les hybridations sont possibles avec ce type d’agriculture, mais les semences biologiques ne proposent généralement pas ces hybridations. Les semis faits à la maison sont gardés à l’intérieur jusqu’à ce que les plants soient assez grands et résistants pour être repiqués. Cela prend environ deux mois. Ils sont faits dans des godets spécialisés, dans des petits pots en terre ou dans des caisses de polystyrène récupérées, voire dans des boîtes à oeufs. Quelques jardiniers font tout leurs semis, peut-être un quart d’entre eux. Pour certains c’est très important, comme pour cette fille d’agriculteurs :

« Je suis née dans les semis. Je fais tous mes semis. À la campagne quand tu vois lever tes semis, tu es content. D’ailleurs, j’achète très peu de graines, uniquement si elles ne sont pas hybrides, pas F1. Sinon j’en récupère auprès de personnes que je connais. »

Si elle n’est pas sûre de l’origine des semences qu’on lui donne, elle ne les prend pas. Il faut qu’elles proviennent de personnes dont elle connait les aptitudes et les habitudes de jardinage, notamment en ce qui concerne l’utilisation de produits phytosanitaires. Une majeure partie des jardiniers achète des plants, dans des proportions variables par rapport à ce qu’ils sèment.

Faire des semis requiert du temps et de la place, un certain savoir et beaucoup d’attention. On entrepose ses godets dans la salle de bain, dans le bureau ou dans toute pièce assez chaude bénéficiant d’un bon ensoleillement dans la journée. Il faut les arroser mais pas trop, sinon on peut craindre la fonte des semis (qui est une maladie dont un des principaux symptômes est un pourrissement des jeunes pousses en cours de germination). Ensuite il faut les repiquer au bon moment de leur croissance, mais aussi faire attention à leur exposition au soleil : trop de soleil les fait mourir mais pas assez les épuise.

« J’ai failli perdre tous mes plants de tomates cette année. Ils étaient dans le bureau et pour les habituer au changement de température, je les ai descendus à la cave et ils ont tous failli mourir. Je les ai récupérés de justesse. »

C’est une pratique qui demande savoir et attention et qui est soumise à de nombreux aléas. Il est beaucoup plus facile et moins chronophage de s’acheter des plants.

Certains jardiniers récupèrent donc les graines issues de leurs propres cultures ou reçues d’autres jardiniers. Ce n’est pas le cas de figure le plus fréquent. Ceux qui le font ont bien souvent des origines paysannes où il était normal de le faire, dans une logique économique : on recueillait ses graines, ses semences comme les pommes de terre, les oignons, les échalotes, mais aussi les stolons de fraises pour faire de nouveaux fraisiers. Bien évidement la majeure partie de ces jardiniers n’ont pas cette sensibilité. Et ceux qui essaient de récupérer des graines de leurs propres cultures sont parfois déçus de leur qualité, et donc découragés. Une jardinière récupère ses graines de tomates qui sont issues de la même variété depuis plus de vingt ans, elle offre des graines à de nombreux autres jardiniers. Un autre récupère les échalotes de son oncle d’une année sur l’autre depuis 20 ans également, il leur attribue même une «valeur affective».

Au jardin partagé de Dinan, la question des semis est beaucoup plus simple : tous les plants sont fournis par Les jardins de Cocagne, l’autre association gérée par leur présidente. En échange, l’équipe des jardiniers du jardin partagé va parfois donner un coup de main une demi-journée au jardin de Cocagne, pour l’arrachage des pommes de terre par exemple. Ainsi dans ce jardin, les seuls semis qui sont réalisés le sont en pleine terre comme les semis de carottes ou de haricots. Les plants de salades, de courges et de courgettes d’épinards, de poireaux sont ramenés de Cocagne. De cette façon, la partie des

aléas des cultures liée aux semis est évitée. Le soucis de productivité de ce potager est bien plus important pour les organisateurs de ce jardin que pour les jardiniers qui cultivent leur parcelle de façon individuelle.

Pour les semis en pleine terre, certains utilisent un cordeau, d’autres non. On trace les sillons à la main ou avec le manche d’un outil, ou encore avec des outils plus spécifiques comme la serfouette . On répartit des graines dans le sillon, puis on recouvre de terre. 88

Pour se souvenir de l’endroit, on peut mettre des pancartes, des bouts de bois ou on surélever la terre du sillon. Ensuite il fait arroser.

• Plantations

En avril, en mai et en juin, quand les températures deviennent plus clémentes, on installe au jardin des plants qu’on achète sur le marché, en jardinerie ou au supermarché ou ceux qu’on a faits soi-même, comme par exemple les courgettes, les aubergines, les tomates, les courges, les choux ou alors les plants de salade. Après avoir repéré la distribution des plantations sur la surface où on veut les mettre, le trou est fait à l’aide d’une binette ou d’un plantoir, on pose le légume au fond puis on ramène la terre et on la tasse autour de sa tige à la main, parfois au pied.

Après avoir semé ou planté, vient la période du soin aux plantes cultivées qui comprend l’arrosage, le binage pour aérer la terre autour du plants et permettre une meilleure pénétration de l’eau, le désherbage, le tutorage éventuellement, la protection contre les prédateurs, l’enrichissement du sol éventuellement.

Il est alors important de veiller à ce que ces semis soient bien arrosés, ainsi que les légumes qui viennent d’être transplantés. Cela oblige, en cas de période sèche, à une fréquentation très assidue du jardin, qui peut même devenir quotidienne quand il fait très sec. On arrose à l’aide d’un arrosoir, l'eau étant prélevée dans une cuve sur sa parcelle ou dans des cuves communes, ou encore auprès de points d’eau s’il y en a dans le jardin. Certains comme le Jardin du Bignon ou celui de la gare ont en effet une source d’eau en leur sein, parfois équipée d’une pompe.

De plus en plus de jardiniers utilisent la technique du paillage afin de limiter les arrosages et la pousse des mauvaises herbes. Il s’agit de répandre sur le sol autour des plants cultivés de la paille, de la paillette de lin, du bois raméal fragmenté ou encore des 89

herbes de tonte préalablement séchées. Une feuille sous plastique a été affichée au jardin du Bignon pour donner des informations sur l’utilisation des cuves communes et les

Voir lexique

88

Voir lexique

moyens de limiter les arrosages. Sont ainsi décrits les avantages du paillage et la façon de le mettre en oeuvre. Une commande groupée de paillette de lin a été organisée une année.

Les semis en pleine terre se poursuivront jusqu’à la fin de l’été : salades, persil, navets, poireaux, etc.

• Enrichir la terre

L’utilisation des engrais phytosanitaires est interdite dans tous les jardins que j’ai étudiés, sauf dans celui de la gare. La plupart des jardiniers se passent de toute forme d’engraissement.

Dans le jardin du Bignon, le règlement intérieur a été modifié en avril 2019 par l’ajout de l’article suivant stipulant l’interdiction de produits chimiques en vertu de la mise en conformité de la loi Labbé du 5 février 2014 le 1er janvier 2019 : 90

Article 4 : Les semis et les récoltes appartiennent au jardinier mais ne peuvent être vendus. Les échanges de plants, graines et expériences sont fortement encouragés.


Loi n°2014-110

90

Jardin du Bignon : Presque tous les jardiniers ont une cuve de ce type sur leur parcelle. Elle sert à récupérer les eaux de pluies et évite ainsi de devoir aller chercher de l’eau à la pompe en bas du jardin. Ils les masquent à l’aide de canisse ou de brande de bruyère afin que leurs couleurs vives ne déparent pas dans le jardin.

En vue de la mise en conformité, intervenue le 1 janvier 2019, de la loi n° 2014-110 du 6 février 2014, dite « Loi Labbé », l'usage des produits chimiques (engrais, pesticides, insecticides, désherbant, bouillie bordelaise, etc. ...) est formellement interdit. L’utilisation de tels produits pourra entraîner l’exclusion du jardinier contrevenant sur simple décision du conseil d’Administration.

Le compostage est encouragé, les fleurs sont vivement conseillées pour améliorer l’aspect général. La plantation d’arbres fruitiers est autorisée après accord du conseil d’Administration.

Il existe d’autres moyens de nourrir les plantations. Les jardiniers qui fabriquent des purins s’en servent autant comme engrais que comme pesticide. Il est possible d’en acheter en jardinerie, si sur leur emballage on trouve la mention «utilisable en agriculture biologique». Il semble cependant que peu en utilisent. On ne m’en a fait mention qu’une fois au cours des entretiens, il s’agissait de corne broyée. L’interdiction d’utiliser des engrais rend méfiant les jardiniers à leur égard. Par ailleurs, beaucoup considèrent qu’ils jardinent « au naturel », et donc qu’il n’y a pas besoin d’apporter d’autres substances hormis celles qui sont issues de matières végétales comme le compost, les purins ou le fumier. La décomposition végétale est considérée comme susceptible de pouvoir enrichir la terre.

Ce jardinier n’utilise pas d’engrais vert ni de paillage. Il n’a pas arrosé au moment où il a semé ses fèves et pour justifier cela il explique :

« Moi je laisse faire la nature. Si ça marche, ça marche. Et si ça ne marche, pas tant pis. »

Certains jardiniers peu nombreux utilisent du purin de consoude comme engrais, et du purin d’ortie comme pesticide. Il s’agit de macérations de plantes dans de l’eau. L’eau est ensuite filtrée, récupérée puis diluée à nouveau pour son utilisation. Ces plantes sont considérées comme de la mauvaise herbe. Il faut aller les glaner autour du jardin, dans les friches alentour, avoir un récipient pour les faire macérer dix jours dans de l’eau. Ensuite cela se conserve après filtration dans des bidons prévus pour, si possibles fermés en raison de l’odeur pestilentielle qui s’en dégage, enfin il faut rediluer la solution obtenue avec de l’eau pour pouvoir l’utiliser sur les légumes. On met du purin d’ortie au pied des plants le soir, quand tout le monde a quitté le jardin, pour épargner l’odeur aux autres jardiniers.

Un autre engrais utilisé est le compost, issu de la décomposition de ses propres déchets verts, parfois filtré pour en éliminer les grosses mottes ou les morceaux non décomposés, qu’on étend autour des plants ou qu’on enfouit dans la terre avant de planter. Beaucoup de jardiniers construisent un compost sur leur parcelle. Ils le font à l’aide de

matériaux de récupération comme du grillage à poules, ou plus fréquemment du bois de palettes. D’autres mettent leurs déchets verts à composter dans un simple trou. Quelques- uns ramènent leurs épluchures ou autres déchets compostables de chez eux mais ce n’est pas le plus fréquent. Le compost est ensuite récupéré et amené au jardin. Avoir un jardin a incité certains à installer un compost à leur domicile. Ils ramènent ensuite le substrat pour l’étaler au pied des légumes ou le mélanger à la terre. Certains jardiniers jettent leurs déchets verts directement au pied des plants. Ce n’est pas fréquent car cela donne un aspect qui ne correspond pas forcément aux valeurs esthétiques habituelles du jardinier.

• Désherbage

C’est l'activité quotidienne et perpétuelle du jardinier. On enlève ce que l’on dénomme les mauvaises herbes à la main, à l’aide d’une binette ou d’une fourche bêche, ou encore d’une serfouette ou d’une grelinette, ce qui permet de soulever la terre autour de cette mauvaise herbe et de pouvoir s’en saisir sans laisser les racines dans la terre. On les jette ensuite sur un tas à côté des cultures, ou sur son compost ou encore dans les allées. Certains jardiniers vont les emmener par la suite à la déchetterie, ou encore les jeter dans les espaces en friche environnants.

• Protéger

Une des activités principales des jardiniers après les semis est de protéger leurs plants contre les nuisibles quels qu’ils soient, qu’il s’agisse de maladies cryptogamiques, de champignons, de rongeurs, d’insectes ou de mollusques comme les escargots ou les limaces. Il faut également aussi protéger ses cultures des aléas de la météorologie.

Patrick veut mettre des charmilles en haut de sa parcelle située tout en haut du jardin car depuis l’arrachage des haies au dessus par la commune, son jardin souffre du vent qui assèche les cultures.

Contre les chenilles la lutte est manuelle. Elles attaquent particulièrement les choux. Il faut alors enlever chacune des chenilles à la main et surveiller. Un jardinier m’a raconté être venu tous les jours pendant une semaine pour surveiller ses choux et enlever les chenilles unes à unes. Ensuite deux solutions s’offrent au jardinier : soit les écraser d’un coup de talon, soit les emmener plus loin dans la friche. Cette solution est rarement choisie car plus contraignante.

Les escargots sont peut-être les premiers ennemis du jardinier. Ce sont de véritables fléaux pour les cultures. Tous leur font la chasse. On tente de leur barrer le passage à l’aide de coquilles d’oeufs écrasées, de cendres ou de sable. On plante les jeunes plants de salade

sous des bouteilles en plastique dont l’extrémité inférieure est tranchée pour les protéger, on étend à leur pied un mélange non composté de bois raméal fragmenté.

Les lapins ne peuvent entrer dans le potager grâce à la clôture extérieure. Les mulots mangent les plantes racines comme les panais ou les endives. Certains jardiniers creusent la terre pour tenter de détruire les galeries et ainsi les éloigner.

La rouille attaque les feuilles vertes des poireaux en les tachant de couleur orangée. Il suffit d’enlever les feuilles atteintes pour en limiter les dégâts.

Le ver de la carotte touche celles qui n’ont pas été protégées par un voile depuis leur semis jusqu’à leur maturité. Les carottes sont alors infestées de galeries brunes qui les rendent immangeables.

Le mildiou est une maladie cryptogamique due à un parasite qui affecte beaucoup de cultures, mais surtout celles des tomates, des pommes de terre, des courges et de la vigne. Son nom vient de l’anglais mildew qui veut dire moisissure, mais qui est en fait une substance collante sécrétée par les pucerons. En ce qui concerne les tomates, un jour ou deux de pluie suffisent parfois à l’anéantissement de tous les plants : le feuillage devient marron et se dessèche, les fruits se tachent et deviennent impropres à la consommation. Seuls résistent les plants sous abris ou traités à l’aide de produits phytosanitaires tels que la bouillie bordelaise, tolérée en agriculture biologique mais cependant déconseillée pour ce type d’agriculture car le sulfate de cuivre qu’elle contient contamine les sols sans être dégradé et détruit des microorganismes nécessaires au développement des plants. jusqu’en janvier 2019, la loi autorisait son utilisation en agriculture biologique. Quelques jardiniers l’utilisaient encore mais ils étaient très peu nombreux. La couleur bleue de ces traitements est repérable par les autres et certains n’apprécient guère que les voisins utilisent ces produits et vont même refuser des plants traités de cette manière. Une autre mesure pour lutter contre le mildiou est de détruire les plants attaqués et de ne pas les déposer dans le compost où le mildiou pourrait rester jusqu’à la saison suivante.

Les attaques de pucerons peuvent aller jusqu’à détruire certains plants comme les fèves. Un moyen de lutter contre est de semer des capucines qui les attirent et les détournent de leur cible en quelque sorte. Certains jardiniers essaient de pulvériser des solutions à base de savon noir, d’autres de les éliminer en arrosant le plant à grande eau.