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Les connaissances notamment en ce qui concerne l'horticulture dépassent la notion purement utilitaire de subsistance. Ce qui rejoint les thèses de Marshall Sahlins207 qui critiquent la tendance utilitariste ou fonctionnaliste des réflexions anthropologiques. Les connaissances de pratiques culturales ou sur la nature en général ne servent pas qu'à la subsistance. La recherche de nourriture par l'agriculture, la cueillette, la chasse ou la pêche n'occupent d'ailleurs qu'une partie de l'activité journalière de nombreux groupes.

Donc, concernant ces études de botanique, les classements, taxinomies, classifications vernaculaires prennent avec l'anthropologie une dimension autre. Elles peuvent également être soumises à des réinterrogations selon que les usagers considèrent ou non la séparation nature culture.

Les études concernant les savoirs locaux tiennent une place essentielle en ethnobotanique. L’étude des procédés cognitifs y tient une place importante.

Inversement l’ethnobotanique ne doit pas mépriser le matériel au détriment de l’idéel208. La tendance à l’hyperstructuralisme en effet peut avoir pour inconvénient justement de ne pas prendre en compte la réalité des usages, négligeant alors les liens entre l’idéel et le matériel, entre infrastructure et superstructure; et par extension de ne pas prendre en compte une forme d’idéologie qui joue son rôle également et qui est à différencier des cosmologies comme nous le verrons plus loin.

Les savoirs sont issus de processus de mimétisme, d’apprentissage, de lectures, mais aussi d’expériences. Et dans ces expériences doivent être comprises celles des gestes, gestes réitérés une année après l’autre, rendant le travail plus aisé209. Il existe donc des

SAHLINS Marshall, 1976, op. cit.

207

BARRAU Jacques, 1985, « À propos du concept d’ethnoscience », in Les savoirs naturalistes populaires

208

[en ligne]. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1985 (généré le 31 mai 2017). Disponible sur Internet : <http ://books.openedition.org/editionsmsh/3689>. ISBN : 9782735119509. DOI : 10.4000/ books.editionsmsh.3689

LUXEREAU Anne, 1986, « À quelle mode vais-je planter mes choux? », in Terrain [En ligne], 6 | mars

209

1986, mis en ligne le 14 mars 2005, consulté le 13 janvier 2015. URL : http ://terrain.revues.org/2905; DOI : 10.4000/terrain.2905

apprentissages de techniques du corps, mais aussi des apprentissages de techniques, de savoirs concernant les techniques, nous y reviendrons plus loin.

Les savoirs des jardiniers sont donc bien de l’orde du matériel, de la recherche du rendement. Ils ont une valeur scientifique de par leur étendue, mais aussi parce qu’ils sont soumis aux expérimentations réitérées, année après année, au fil des saisons. Ils se nourrissent de celui des autres et cherchent toujours à améliorer l’étendue de leurs connaissances.

Mais ces savoirs sont par ailleurs soumis à une part idéelle qui est en relation avec la collectivité et aussi avec une certaine idée de la nature. Ainsi ne sont-ils pas purement matériels. Ils sont d’autre part à l’origine d’un phénomène de classe au sein des jardiniers, ce qui montre que leur fonction ne peut être décidément réduite à des fins de rendement.

Les savoirs et le structuralisme

Ces notions de savoirs et de classifications comme reflets des structures de le pensée sont à rapprocher de l’anthropologie structurale de Claude Levi-Strauss dans La pensée

sauvage210. Après avoir exposé l'immense étendue des savoirs locaux, démontant l'idée de

savoirs simplistes ou limités qui pourraient être opposés aux savoirs scientifiques, il montre que la connaissance des espèces animales et végétales ne répond pas uniquement à un but utile, mais à un but scientifique, en relation à des exigences d'ordre intellectuel. Les Pygmées par exemple qui ont identifié un nombre phénoménal de plantes et d’oiseaux, ont développé une connaissance des habitudes et des mœurs de nombreuses espèces, y compris celles des chauves-souris, qui ne sont pas pour eux des animaux utiles. De là deux réflexions. La première est que les savoirs ne sont pas isolés mais signifiants. « Il ne suffit pas d'identifier avec précision chaque animal, chaque plante, chaque pierre, corps céleste ou phénomène naturel évoqué dans les mythes ou le rituel, tâches multiples auxquelles l'ethnologue est rarement préparé, il faut savoir aussi quel rôle chaque culture leur attribue au sein d'un système de signification211 ». La seconde est que le groupement des choses et des êtres (faire aller ensemble) introduit un ordre dans l’univers. L'existence de cet ordre est à la base de toute pensée et dépasse la notion d'utilitarisme. De nombreux savoirs et notamment les taxinomies ont pour objet la connaissance en soi. Ce n'est pas l'usage qui amène à la connaissance mais l'inverse. La pensée sauvage par classification, organisation, est donc, pour reprendre les mots de Claude Levi-Strauss une "science du concret".

Dans ces classifications, les équivalences qui satisfont le besoin esthétique correspondent à une réalité objective. Ainsi les espèces avec leurs caractéristiques (couleur,

LEVI-STRAUSS Claude, 2009 (1962), La pensée sauvage, Paris, Pocket, 349p

210

LEVI-STRAUSS Claude, ibid, p 71

odeur, forme) donnent un droit de suite à l'observateur. les caractères visibles deviennent des signes de propriétés cachées.

La pensée sauvage est décrite par Claude Levi-Strauss comme étant un "bricolage intellectuel". Elle se sert d’un répertoire hétéroclite dont l'assemblage n'est pas inféodé au projet, au but final ce qui d'ailleurs peut expliquer sa forme poétique. Le bricoleur utilise des moyens non définissables par un projet mais par le recueil d’éléments ou d’instruments « parce que ça peut toujours servir ». Ce terme a pu masquer combien ces savoirs ont un caractère scientifique, ceci ajouté au fait que les recueils de données et de connaissances ethnographiques n'ont pas toujours été faits auprès des personnes détenant la connaissance dans les populations observées. Tout le monde dans une société ne détient pas le même savoir; il y a des spécialistes de telle ou telle pratique selon leurs fonction, mais il y a aussi des personnes spécialistes des cosmogonies, considérées comme les détenteurs de la connaissances de la société dont il est question.

2-1-1 L’apprentissage familial

La plupart des jardiniers ont appris en jardinant avec leurs parents et d’ailleurs n’en gardent pas toujours un bon souvenir. Il y a là un paradoxe : comment en sont-ils venus à choisir de cultiver leur propre potager, à avoir ce goût du jardin alors que c’est une tâche qui demande tant de travail et de temps, et que de surcroît ils ont pour la plupart détesté cela lorsqu’ils étaient enfants?

« Mon père avait un potager. C’était son potager, il décidait de tout et ma mère participait uniquement aux récoltes. Avec mon frère, on avait un carré sur lequel on faisait des expériences de semis. On tentait toutes sortes de semis comme les lentilles dans des boites à maquereaux, on piquait aussi du blé pour le semer dans nos boites. Mon père faisait du légume au kilomètre, on a été dégoûtés. »

Les apprentissages avec les parents, ou les grands-parents se font aussi par imitation de gestes et par les échanges oraux. Ce sont souvent des échanges qui se poursuivent au fil de temps entre les jardiniers et leurs parents. Même si le rapport avec les jardins des parents n’était pas idyllique, les échanges se poursuivent entre les jardiniers et eux. Les échanges de savoirs continuent et parfois s’inversent, les enfants jardiniers proposent par exemple des nouvelles variétés ou espèces à leurs parents.