• Aucun résultat trouvé

DES CONCEPTS CLEFS AU CŒUR DES CHANGEMENTS CONTEMPORAINS

1.3. La gouvernance : nouvel enjeu sociétal du XXI ème siècle

1.3.1. Un terme constamment réinventé pour un environnement social demandeur

Etymologiquement, le terme de gouvernance est issu du « verbe grec kubernân (piloter un navire ou un char) [qui] fut utilisé pour la première fois de façon métaphorique par Platon pour désigner le fait de gouverner les hommes » (Huynh-Quan-Suu, non daté24). En effet, face au manque de direction qui caractérise la démocratie des prémices et à l’anarchie qu’elle présente, car fondée sur aucune hiérarchie entre les hommes, Platon pense un projet basé sur une organisation plus juste de la société et compare alors la démocratie à un navire, la politique à la navigation et le contrôle au pilote du navire, d’où la naissance des termes gouvernement et gouvernance (Brouillette, 2009). Ces deux termes posent alors les bases du pouvoir : il existe des gouvernants et des gouvernés. L’objectif est de contrer la loi du plus fort. A priori égalitaire, la démocratie et surtout l’art de gouverner est d’abord une affaire technique, une affaire d’expert, selon Platon, qu’il faut distinguer de la pratique du gouvernement (Ibid). Pour Platon chaque protagoniste a un rôle à jouer, celui où il est le meilleur pour l’ensemble du groupe, comme suit : « le pilote d’un navire est pilote parce qu’il possède l’art du pilotage » (Ibid). Dans l’Antiquité, l’idée de gouvernance est donc une vision utopiste, ou idéologique, de ce que doit être l’exercice d’un pouvoir juste, équitable.

Au Moyen-Age, plus précisément au 12ème siècle, le terme désigne dans un sens très technique, la direction des bailliages (Moreau-Defarges, 2003). Les bailliages sont des circonscriptions administratives et judiciaires placées sous la direction d’un bailli, agent du roi25. Il s’agit là d’un caractère concret de la gouvernance, synonyme d’administration laissée entre les mains du bailli, qui représente localement le pouvoir politique. Par la suite, son sens reviendra à la signification première, celle que l’on connaît également aujourd’hui, dans sa définition la plus simple. Au 13ème

siècle, il fut ainsi utilisé comme équivalent du terme gouvernement dans le sens d’art ou de manière de gouverner ; puis au 14ème siècle, la langue anglaise donne au terme governance la signification suivante : l’action ou la manière de gouverner (Joumard, 2009), indiquant ainsi non plus uniquement une technique (art) mais également un sens pratique (action). Au 15ème siècle, il a désigné des territoires dotés d’un statut administratif particulier (Ibid).

24 Cette référence est reprise par plusieurs sources, dont Europa et Robert Joumard par exemple, mais sans que l’origine soit clairement définie.

59

Le 16ème siècle marque une nouvelle étape dans la définition du terme de gouvernance que l’on connaît aujourd’hui. En effet, c’est durant l’Epoque Moderne que naît en France l’Etat moderne. Cette conception nouvelle va bouleverser l’ordre établi au Moyen-Age basé sur « le fondement divin de l’ordre social » sous l’influence de Nicolas Machiavel et de Jean Bodin pour qui l’Etat est le pouvoir public souverain en dehors de considérations religieuses26. Ainsi, « la réflexion conceptuelle sur le pouvoir que ce phénomène a suscité, a progressivement conduit à l’autonomisation de la notion de gouvernement par rapport à celle de gouvernance » (Canet, 2004) qui « jusqu’à récemment […] étaient des synonymes » (Brouillette, 2009). Mais au 19ème

siècle, la conception de l’Etat moderne est également remise en question notamment par Karl Marx et Max Weber qui soulignent la violence de l’appareil d’Etat27

. Pour Max Weber « l’économie et la politique sont deux domaines distincts, la première étant caractérisée par la satisfaction des besoins, la seconde, par la domination de l’homme sur l’homme »28

. A la Renaissance et aux Temps Modernes, la gouvernance apparaît tour à tour comme un nouveau mode d’exercice du pouvoir. Le changement fondamental réside dans une différenciation marquée avec le pouvoir exercé par le gouvernement, pouvoir centralisé dont les commandes seraient réservées à une catégorie restreinte de protagonistes. Au fil des siècles, la notion de gouvernance souligne donc une nouvelle façon de procéder dans l’exercice du pouvoir dont l’objectif est de rendre la société moins inégalitaire, théoriquement tout du moins.

Ce cadre historique dressé, il nous appartient désormais d’évoquer l’adaptation contemporaine de la gouvernance. Le terme de gouvernance réapparaît dans les années 1930, associé au monde de l’entreprise et des organisations. Les économistes s’en emparent alors, élargissant ainsi son champ d’application. Celui-ci n’est plus uniquement l’apanage du domaine politique stricto-sensu mais il s’applique désormais dans le domaine économique puis dans tous les domaines impliquant l’intervention de parties prenantes multiples. Dans le cadre économique, la gouvernance devient un nouveau mode de concertation qui apparaît comme le signe d’une « coordination pour accroître l’efficacité de la firme » (Levy, Lussault, 2013). La notion d’efficacité, c’est-à-dire « dont l’action aboutit à des résultats utiles »29, est un élément essentiel de la définition de la gouvernance.

26

« Qu’est-ce que l’Etat ? », 14/09/2012, www.vie-publique.fr

27 Ibid

28 Ibid

60

Elle est largement mise en avant par les promoteurs du processus. Dans ce sens, l’efficience signifie la « capacité de rendement » et donc le retour sur investissement (Brouillette, 2009). La gouvernance apparaît dans un contexte qui voit la sphère privée se transformer. En effet, « la grande entreprise privée classique […] entité familiale, close, opaque, hiérarchique et cohérente » issue du capitalisme industriel ne peut plus appartenir à une famille ou à une nation pour s’internationaliser (Moreau-Defarges, 2003), car tel est l’enjeu qui permet d’assurer la croissance de celle-ci et l’insertion dans la mondialisation économique. On cède donc la place aux actionnaires : « la gouvernance vient d’abord de l’affirmation d’un pôle de pouvoir, celui des actionnaires » (Ibid). Ainsi, cette tierce-partie initie « la transparence des actions des dirigeants », développant alors une corporate gouvernance (Ibid) correspondant « à la forme dite post-moderne des organisations économiques et politiques » (Lesain-Delabarre, 2012), répondant à des critères de transparence dans les actions menées. On repense alors le fonctionnement interne de l’entreprise, ou de l’administration, sur « les bases d’un management reposant sur les notions de système, de projet, de synergie, d’interaction » (Ibid). Par ailleurs, le concept sera utilisé par « les adeptes de la démocratie participative de proximité issue des mouvements sociaux urbains et des idéologies autogestionnaires des années 1960 et 1970 » sans toutefois faire allusion au terme (Joumard, 2009).

Dans cette continuité, le contexte des années 1970 à 1990 marque un changement « de régulation sociale et politique des sociétés occidentales » (Lacroix, Saint-Arnaud, 2012) qui débouche sur des questionnements liés au rôle de l’Etat et à la place des citoyens dans la gestion des affaires publiques. En effet, l’Etat-providence fait défaut. Il ne peut désormais plus assurer entièrement ses prérogatives. Il n’a plus les capitaux disponibles nécessaires pour satisfaire aisément tous les besoins. On observe alors « un éclatement des champs d’intervention et des responsabilités étatiques » s’accompagnant d’une crise de la démocratie (Hamel et Jouve cités par Lacroix, Saint-Arnaud, 2012). La puissance publique semble perdre la mainmise sur la gestion entière des affaires publiques. Ne pouvant plus les assumer seule, elle se voit contrainte de laisser la place à d’autres parties prenantes, dont le secteur privé, pour assumer cette fonction.

Depuis une trentaine d’années, le terme de gouvernance s’est démocratisé. En effet, d’autres domaines que celui de l’entreprise adoptent ces pratiques. La gouvernance territoriale fait son apparition et est reliée à l’émergence du développement durable (Bakkour, 2013). La gouvernance territoriale offre également « un contexte favorable à

61

l’innovation sociétale » (Ibid). La notion de développement durable est ainsi contemporaine à celle de la gouvernance. Dans les années 1990, « l’environnement est un très bon lieu pour expérimenter de nouvelles formes de gouvernance » (Calame, 1996). Toute une série de préoccupations environnementales amène à se questionner. C’est au sein de l’ONU et de l’Union Européenne que le concept de gouvernance, aujourd’hui largement employé dans divers domaines a été développé dans un contexte propice à la prise en compte de l’environnement dans les préoccupations sociétales, et ce par l’intermédiaire de la gouvernance environnementale. Cela marque également le début de l’intervention d’acteurs issus de la société civile. Il est donc intéressant de souligner que cette façon de procéder, en incorporant au processus de décision des acteurs non étatiques, émerge de ces instances supranationales. L’opinion publique joue un nouveau rôle fondamental dans les processus de concertation. Ses exigences sont de plus en plus nombreuses. Certains y voient un changement de paradigme, d’autres l’évolution du concept d’Etat voir de crise de l’Etat-providence (Lacroix, Saint-Arnaud, 2012). C’est pourquoi, la résurgence du mot et la compréhension contemporaine du terme date véritablement d’une trentaine d’années. Dans les années 1990, les économistes américains du nouvel institutionnalisme et les politistes ainsi que les institutions internationales (ONU, Banque Mondiale, FMI) remettent ce terme au goût du jour (Ibid) et le vulgarisent (Joumard, 2009). Concrètement, à cette échelle de pouvoir, il s’agit de proposer des directives, des orientations, mais pas de contraindre véritablement les Etats souverains ou les entreprises à mettre en œuvre ce type de pratique. Ceci constitue avant tout une vision philosophique des choses, d’après Pierre Calame (1996). Ainsi, dans une perspective de gouvernance, le souci est de « moderniser l’action publique, privilégier la concertation et la médiation, gérer la pluralité d’intérêts parfois contradictoires, favoriser la mobilisation »30

. En bref, « ces nouvelles aspirations sociétales éprouvent les modalités connues de la gouvernance, tant pour les autorités portuaires que pour les représentants des villes et des agglomérations portuaires. Elles exigent de la créativité, de l’innovation, de l’audace et du courage pour dégager de nouvelles légitimités absolues » (Alix, Delsalle, Comtois 2014). Ainsi, la conjonction de ces deux phénomènes conduit à intégrer au sein des institutions, notamment internationales, un mode de fonctionnement issu de la sphère privée dont l’objectif est le rendement et l’efficacité (Lesain-Delabarre, 2012) mais aussi la rentabilité

30 Dossier stratégie nationale de développement durable 2010-2013 « Défi n°3 : Gouvernance », Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

62

et la satisfaction de toutes les parties prenantes. En ce sens, « la gouvernance est d’abord un chantier de recherche tentant de faire le lien entre des transformations de l’Etat, de l’économie, de la société, qui bousculent le modèle classique du gouvernement » (Lévy, Lussault, 2013). La notion de gouvernance contemporaine prend ainsi sa source dans l’organisation du secteur privé du fait d’un pouvoir étatique remis en question. La gouvernance devient au fil du temps un standard pour mieux gouverner et s’avère de plus en plus encadrée, voire dictée par un certain nombre de réglementations, notamment à l’échelle européenne, institution supranationale, pour devenir un idéal à atteindre.

Pour conclure, la gouvernance est la version équitable et efficace de la régulation politique d’une entreprise, d’une administration ou de toute autre entité faisant intervenir des parties prenantes hétérogènes mais concernées par les décisions à prendre pour le bon fonctionnement de l’ensemble. Retenons que le principe de la gouvernance, « se fonde sur un savoir précis, celui de la bonne gestion » (Brouillette, 2009) par tous et pour tous.

1.3.2. La gouvernance au sein des places portuaires : tenter une définition

Gouverner c’est « diriger politiquement ; exercer le pouvoir exécutif » d’après une définition basique du Dictionnaire Larousse. L’Etat, représenté par le gouvernement, organe institutionnalisé, est l’acteur principal. D’après la définition du dictionnaire Larousse, le gouvernement est une « forme politique qui régit un Etat [et un] organe qui détient le pouvoir exécutif dans un Etat ». Dans ce cas, l’exercice du pouvoir est une action d’un groupe politique sur un autre. Le premier établi des règles communautaires sous forme de lois et le second se doit de les accepter en convenant d’un pacte social d’après l’expression de Jean-Jacques Rousseau. Cette relation s’effectue au sein d’un territoire délimité par des limites administratives. De ce point de vue, il s’agit d’exécuter un ordre donné de façon verticale ascendante, c’est-à-dire que le pouvoir exécutif est un pouvoir de commandement. Il n’y a alors pas l’idée de partage des décisions entre différents groupes d’acteurs. Gouverner, gouvernement puis gouvernance. Dans sa définition la plus basique, la gouvernance est l’« action de gouverner ; manière de gérer, d’administrer »31

. Mais cette définition n’est que trop restreinte.

La gouvernance pris dans son ensemble, renvoie à toute une série de domaines (entreprise, environnement, ville par exemple) dans lesquels se pose toujours la question