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L’EUROPE DES PORTS : DYNAMIQUES HISTORIQUES ET CULTURELLES

2.3. La place « du » politique dans la gestion des places portuaires

2.3.3. L’intérêt porté aux ports de commerce par les gouvernements

Le Cluster maritime français est une organisation créée en 2006 dont l’objectif est de fédérer les professionnels (entreprises, associations, collectivités et autres) de tous les secteurs liés à l’activité maritime en France. En 2017, Frédéric Moncany de Saint-Aignan, son Président, écrivait « oui, la France est une grande nation maritime. Mon expérience des choses de la mer m’incline à penser, avec nombre d’autres dirigeants du secteur, que les décideurs politiques ou économiques n’ont pas pleinement conscience des potentialités maritimes de notre pays à l’aube du XXIème

siècle »66. Ce constat qu’il partage avec bon nombre de dirigeants du secteur, semble trouver une explication géographique. En effet, nous pensons que l’intérêt des gouvernements nationaux envers les ports de commerce est, entre autres, lié à un facteur géographique.

La carte ci-après permet de visualiser la longueur des traits de côte des pays jouxtant la rangée portuaire nord-ouest européenne. La France métropolitaine présente un linéaire côtier de 4668 kilomètres, le plus long. Or la Belgique ne comptabilise que 67 kilomètres de linéaire côtier et les Pays-Bas 451 kilomètres. L’Allemagne a un linéaire côtier de 2389 kilomètres dont seulement un tiers environ est situé sur la partie bordant la rangée portuaire et directement accessible aux lignes maritimes en provenance d’Asie.

Compte tenu de ces éléments, il semblerait que la longueur du linéaire côtier d’un Etat conduise à répartir ou à concentrer les activités portuaires sur son littoral. Plus encore, la superficie des territoires nationaux conduit à adopter des politiques maritimes différentes et à considérer leurs ports d’intérêt national différemment. La concentration des ports belges et néerlandais et les choix de développement à l’échelle nationale, peuvent s’expliquer entre autre par ce facteur géographique puisque la gestion d’un littoral de 67 kilomètres (Belgique) ou de 4668 kilomètres ne peut être le même. Il semblerait que la politique maritime française répartisse les financements liés aux sept GPM tandis que le port d’Anvers soit très nettement favorisé par le gouvernement flamand. Les unités portuaires françaises plus petites peuvent se justifier par la répartition des infrastructures sur l’ensemble du territoire national.

107 Figure 22

L’importance de l’économie maritime et portuaire pour une région détermine, pour nous, l’intérêt que celle-ci y porte. Les financements des infrastructures sont un enjeu important de développement économique des ports de commerce. En fonction des choix opérés dans les différents pays, le financement des infrastructures est plus ou moins le fait des pouvoirs publics ou des autorités portuaires comme le montre les tableaux ci-joints permettant de montrer la répartition entre ces deux catégories.

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Nous complétons cette approche en proposant un tableau montrant l’importance de l’économie maritime pour les pays concernés et l’importance du port pour ces mêmes pays :

Figure 23 – Transport maritime de marchandises en tonnes en 2016

Pays (port étudié) Transport de marchandises du pays Transport de marchandises du port étudié % que représente le port étudié pour le

pays France (Le Havre) 292 160 000 64 000 000 21,9 % Belgique (Anvers) 253 543 000 208 420 432 82,2 % Pays-Bas (Rotterdam) 588 772 000 467 400 000 79,4 % Allemagne (Hambourg) 297 137 000 138 200 000 46,5 % Royaume-Uni (Londres) 484 048 000 40 000 000 8,3 %

Sources : Eurostat et autorités portuaires – Réalisation : Anne-Solène Quiec, 2018

La disparité des résultats de ce tableau est tout à fait significative. Le port de Londres ne représente que 8,3 % du trafic maritime du Royaume-Uni, ce qui est insignifiant par rapport aux autres complexes portuaires. Le port du Havre représente 21,9 % du trafic maritime français. Le port d’Hambourg représente la moitié du trafic maritime de marchandises allemand. Mais les taux les plus élevés sont ceux de Rotterdam et d’Anvers qui représentent environ 80 % des trafics maritimes de leurs pays, ce qui montre l’importance crucial de ces ports dans l’économie maritime nationale. Anvers est en tête de classement.

Il aurait été intéressant de comparer la part du trafic maritime des ports étudiés par rapport aux autres ports nationaux.

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Figure 24 – Financements des pouvoirs publics dans la construction des infrastructures portuaires

Pouvoirs publics France Belgique

(région Flamande) Pays-Bas Allemagne Royaume-Uni

Voie d’accès maritime 80 % 100 % 100 % - -

Écluses - 100 % 100 % - -

Bassins - 100 % - 100 % -

Quais 60 % 60 % - 100 % -

Total - 90 % 50 % 50 % 0 %

Source : Sénat.fr

Figure 25 – Financements des autorités portuaires dans la construction des infrastructures portuaires

Autorités portuaires France Belgique Pays-Bas Allemagne Royaume-Uni

Voie d’accès maritime 20 % - - 100 % 100 % Écluses - - - 100 % 100 % Bassins - - 100 % - 100 % Quais 40 % 40 % 100 % - 100 %

Total - 10 % 50 % 50 % 100 %

Source : Sénat.fr

Il est établi sur la base des données des tableaux précédents que le gouvernement flamand attribue le plus d’aide à ses ports pour la construction des infrastructures portuaires. Il prend en charge 90 % du financement des infrastructures contre 10 % pour les autorités portuaires. Au Pays-Bas et en Allemagne, la répartition est égale entre les pouvoirs publics et les autorités portuaires.

Figure 26 – Financements des pouvoirs publics pour l’entretien et l’exploitation des infrastructures portuaires

Pouvoirs publics France Belgique

(région Flamande) Pays-Bas Allemagne Royaume-Uni

Voie d’accès maritime 100 % 100 % 100 % - -

Écluses - - 100 % - -

Bassins - - - 100 % -

Quais - - - 100 % -

Total - 25 % 50 % 50 % 0 %

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Figure 27 – Financements des autorités portuaires pour l’entretien et l’exploitation des infrastructures portuaires

Autorités portuaires France Belgique Pays-Bas Allemagne Royaume-Uni

Voie d’accès maritime - - - 100 % 100 % Écluses - 100 % - 100 % 100 % Bassins - 100 % 100 % - 100 % Quais 100 % 100 % 100 % - 100 %

Total - 75 % 50 % 50 % 100 %

Source : Sénat.fr

Le cas belge est tout à fait intéressant puisque, contrairement aux cas néerlandais et allemand qui présentent une répartition identique au tableau précédent, l’entretien et l’exploitation des infrastructures portuaires présentent une situation contraire. En effet, les pouvoirs publics financent 25 % de ces dépenses alors que les autorités portuaires se chargent des 75 % restant.

Le cas du Royaume-Uni est également intéressant. Les pouvoirs publics n’interviennent pas dans les dépenses de construction, d’entretien et d’exploitation des infrastructures, ce qui traduit un désengagement total de leur part. Les autorités portuaires privées prennent tout en charge. Ainsi, le port n’est pas un service d’intérêt général comme en France mais il a une vocation strictement économique et doit être rentable. Du fait de la taille relativement peu importante du port de Londres, la question est de savoir si cette absence d’intervention des pouvoirs publics, dont bénéficient les ports dans les autres pays, entrave la construction de certaines infrastructures portuaires.

Figure 28 – Répartition de la prise en charge des infrastructures entre les pouvoirs publics et les autorités portuaires

France Belgique Pays-Bas Allemagne Royaume-Uni

Pouvoirs publics - 57,5 % 50 % 50 % 0 % Autorités portuaires - 42,5 % 50 % 50 % 100 %

Source : Sénat.fr

Ce tableau général montre que, dans le cas belge une grande part de la prise en charge des infrastructures portuaires est le fait du gouvernement flamand ce qui permet de souligner l’intérêt que suscite le port pour ce-dernier.

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Conclusion du chapitre 2 : des différenciations locales héritées et transmises

Dans ce chapitre, la contextualisation du sujet d’étude a conduit à mettre en lumière les héritages historiques et culturels conduisant à la différenciation des modes de gestion des places portuaires de la rangée nord-ouest européenne. En effet, l’histoire des ports de cette rangée parait être un point de départ essentiel pour comparer les modes de gouvernance des places portuaires. Il en résulte l’émergence d’identités portuaires propres à chaque place portuaire.

Les ports hérités de la Hanse allemande se présentent d’abord comme des places commerciales avant d’être des places portuaires. La Hanse allemande était un réseau de villes et de comptoirs commerciaux organisés par les marchands pour leurs besoins individuels dans un esprit toutefois collectif, avec l’objectif de prospérer économiquement. La base de cette organisation était de partager des intérêts économiques communs. Les marchands étaient donc unis par une forte communauté d’intérêts et par un sentiment de solidarité. Mais, l’absence de pouvoir politique pour contrôler cette organisation a, entre autres facteurs, provoqué son déclin. Il en découle une identité propre aux ports hanséatiques empreinte de ces héritages.

L’apparition du port du Havre, que nous avons étudié de manière individuelle car présentant une spécificité par rapport aux autres ports nord-ouest européens, tient dans la volonté d’un homme, le Roi de France, d’établir un port militaire pour défendre son Royaume. Cette fonction s’estompera ensuite au profit du commerce. Il s’agit donc d’une volonté du pouvoir central au service d’un projet politique. Il est intéressant de remarquer que l’étude bibliographique historique du port du Havre met en avant des informations liées à l’aménagement du territoire par des ministres d’Etat. L’intérêt de l’aspect infrastructurel semble donc important. Cela conduit à l’instauration d’une culture locale très liée au pouvoir central. L’Etat français montre ici la volonté de contrôler ses territoires les plus locaux.

L’histoire différenciée de ces ports conduit à la mise en place de rapports sociaux différents, d’une part entre les parties prenantes de la place portuaire et leur autorité de tutelle et d’autre part entre les parties prenantes, dont les entreprises privées, et le territoire portuaire. La comparaison entre la genèse des ports hanséatiques et l’apparition du port du Havre, permet de soulever les points suivants : l’organisation en réseau des ports du nord

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de l’Europe, l’idéologie constitutive des cultures portuaires contemporaines et le rapport des communautés portuaires à l’autorité de tutelle.

Il a ensuite été question des cadres institutionnels permettant de comparer les modes de gestion. Ceux-ci se basent sur une typologie générale évoquée dans le rapport ESPO de 2011 distinguant trois types : le type hanséatique qui est présenté comme un modèle de référence, le type latin qui semble perçu comme dépassé et le type anglo-saxon dont nous nous demandons s’il est viable. La mise en évidence de modes différents est un moyen pour les observateurs des ports d’expliquer les dysfonctionnements ou le bon fonctionnement des différents types pris comme modèles. L’élément central permettant de distinguer les ports est principalement lié au rôle de l’administration publique dans les ports de commerce et à l’échelon institutionnel (collectivité territoriale ou Etat notamment) en charge de la gestion de ces ports. Les formes administratives des autorités portuaires du Havre, d’Anvers et de Rotterdam et des instances portuaires de ces ports pris en exemple, s’avèrent donc différentes.

Enfin, nous avons souligné la place « du » politique dans la gestion des places portuaires en indiquant l’importance du port dans son environnement régional et l’intérêt des gouvernements nationaux pour les grands ports.

Tout cela nous donc conduits à présenter une Europe des ports construite sur la base de différenciations locales. La mise en perspective de plusieurs espaces à des temporalités différentes et selon une approche multiscalaire pose l’idée selon laquelle l’histoire et la culture de chaque port, singulières, influent la capacité d’adaptation ou non aux changements à l’œuvre dans le monde maritime et portuaire. Par la suite, nous focaliserons nos observations sur la prise en compte de ces singularités par les acteurs locaux dans l’élaboration de leurs stratégies de place.

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CHAPITRE 3