• Aucun résultat trouvé

Un réseau établi de places de commerce : histoire de la Hanse allemande

L’EUROPE DES PORTS : DYNAMIQUES HISTORIQUES ET CULTURELLES

2.1. Une longue histoire portuaire nord-ouest européenne : des marchands et un Roi

2.1.1. Un réseau établi de places de commerce : histoire de la Hanse allemande

Une hanse ou gilde, désigne, au Moyen-Age, une association de marchands ou d’artisans exerçant leur activité dans le même domaine. En Allemagne, la Hanse teutonique, Hansa Theutonicorum, dudesche Hense, ou ligue hanséatique était l’association de marchands puis de villes marchandes, cités libres, travaillant dans le secteur maritime autour de la Mer du Nord et de la Mer Baltique. Les marchands allemands ambitionnèrent de concurrencer la hanse scandinave, dominant alors les trafics maritimes de la région, en se constituant en association dès 1161. Elle deviendra rapidement la hanse la plus importante d’Europe du nord et sera du 13ème

au 15ème siècle en situation de « quasi-monopole sur les échanges entre l’ouest et l’est de l’Europe septentrionale »36 parvenant ainsi à ses objectifs.

La Hanse allemande a pour origine la ville de Lübeck et la volonté du Duc de Saxe de permettre aux marchands d’étendre leurs activités dans cette immense zone

76

géographique du nord de l’Europe37. Elle sera progressivement suivie par d’autres villes dont Hambourg. Ces deux villes s’uniront par la signature d’un traité en 1241, afin de protéger la sécurité des marchands contre les pirates, de défendre les intérêts de leurs marchands et de lutter contre la concurrence scandinave38. S’en suivront d’autres alliances avec d’autres villes. La poursuite de buts communs dépasse ainsi les frontières des villes et même des pays. Ce qui compte ce n’est pas d’être hambourgeois ou lübeckois, c’est d’être hanséate. Les sources citent quelques villes importantes au cours de son histoire. Lübeck, Hambourg, Danzig et Cologne restent les bastions importants. Les représentants des différentes villes se réunissaient régulièrement, « environ tous les trois ans, au cours d’une diète »39 ou hansetag, « assemblée générale des villes hanséatiques », « organe dirigeant de la communauté » (Dollinger, 1988), dont la première date de 1356, « sous la présidence de Lübeck […] pour déterminer une politique commune » (Gras, 2010) et « pour unir leurs efforts face aux menaces extérieures »40. Le hansetag est l’assemblée des représentants de la Hanse formant le gouvernement de celle-ci (Bordeaux-Groult, 2007). Par ailleurs, cette association s’est ancrée temporellement, perdurant ainsi cinq siècles, du milieu du 12ème siècle jusqu’au milieu du 17ème

siècle. Elle a également marquée son temps et l’histoire du commerce de l’Europe du nord par une expansion géographique sans conteste. En effet, elle a compté de 150 à 200 villes maritimes et continentales41 à son apogéeaux 14ème et 15ème siècles. Ce qui était un « groupement de marchands » est devenu une « association de villes […] durant le troisième quart du 14ème

siècle » et l’expansion de la Hanse s’est accompagnée de la « fondation de villes neuves, vouées au commerce » (Dollinger, 1988) constituant la ligue hanséatique. Certaines comme Riga, sont devenues des capitales. La stratégie des hanséates, originaires des villes libres, visait à établir des comptoirs commerciaux tissant, de cette manière, un réseau de places de commerce de Londres à Novgorod en Russie soit sur plus de 2000 kilomètres d’est en ouest. Hambourg est un bon exemple de ville hanséate. Hambourg ou Freie und Hansestadt Hamburg, ville libre et Hanséatique de Hambourg (HH), a été fondée au 9ème siècle et devient ville commerciale au 13ème siècle tandis qu’« en 1515, elle obtient le statut de "ville libre d’Empire" [et] est alors l’une des cités les plus riches d’Europe » (Weinachter, 2007). Elle conserva « son individualité propre » et sa structure économique était « axé[e] entièrement sur le

37 ESCACH, 2013, Mobilités, flux et transports, La Hanse et ses héritages, geoconfluences.ens-lyon.fr

38

La Hanse, l’Union Européenne du Moyen Age, www.lesechos.fr, 2013

39 Le dictionnaire de l’Histoire - hanse, hanséatique, www.herodote.net

40 Ibid

77

commerce lointain » (Dollinger, 1988), spécialisation qu’elle a encore aujourd’hui. La figure suivante montre une vue partielle du bâtiment de l’autorité portuaire.

Figure 10 – Bâtiment de l’autorité portuaire d’Hambourg

Photographie prise depuis le canal – 26 avril 2015 – Arnaud Serry

La Hanse se positionnait indépendamment du pouvoir politique de l’Empire germanique (Dollinger, 1988). En effet, elle était constituée de marchands associés dont l’activité principale était le commerce. Elle avait donc surtout une fonction économique contribuant à accompagner « l’expansion de la population germanique vers l’est, à travers les terres slaves » (Bordeaux-Groult, 2007). Elle fut toutefois reconnue comme « puissance singulière » (Ibid) ayant même une « fonction guerrière » (Gras, 2010). Une hanse signifie littéralement une troupe armée. Celle-ci était composée de marchands munis de marchandises nobles, s’établissant dans des comptoirs42. Les marchandises étaient contrôlées « par un ensemble de règles juridiques touchant le commerce, la douane, les règlements bancaires et le crédit, instituant de la sorte un espace économique dominant, dont la richesse devint rapidement imposante » (Bordeaux-Groult, 2007). Construite sur la base d’intérêts économiques communs, dépourvue de personnalité juridique, n’étant pas souveraine car ne disposant « ni de finance, ni d’armée, ni de marine permanentes », l’objectif de cette organisation était « d’assumer les échanges commerciaux de l’Europe septentrionale » (Dollinger, 1988) se confrontant, tour à tour au cours de leur histoire, aux

78

scandinaves, aux flamands puis aux gouvernements nationaux. Elle parviendra à dominer largement le commerce de cette région en devenantune « figure de puissance économique et politique dans toute l’Europe du Nord » (Gras, 2010) notamment lorsqu’elle gagne une guerre contre le Danemark. En position hégémonique, elle a également permis à ses marchands d’accéder à un statut particulier et donc d’encourager leur adhésion aux groupes – il fallait payer une taxe – et de renforcer le positionnement dans les territoires. Ce statut leur donnait des privilèges d’extraterritorialité dans les comptoirs où ils souhaitaient commercer mais à l’inverse les marchands étrangers se rendant dans les villes libres ne pouvaient pas exercer librement leur métier montrant ainsi un certain protectionnisme43. La caractéristique de la Hanse était donc d’être « dépourvue d’institutions mais unie par une forte communauté d’intérêts – le contrôle du commerce de l’Europe du Nord »44

. Au-delà de la place portuaire, la stratégie des marchands du nord était de développer les liaisons avec l’arrière-pays pour étendre leur pouvoir hors de celle-ci et concurrencer les marchands flamands et néerlandais. La structuration de la Hanse conduit donc à « une organisation systémique d’arrière-pays » (Vigarié, 1979). Ils cherchent à « créer le long des voies d’eau des centres industriels [pour] faire de la plaine d’Allemagne du Nord, entre l’Elbe et le Rhin, un immense arrière-pays » (Dollinger, 1988).

Le « marchand associé » joue un rôle clef : il est celui qui construit la communauté et pour qui elle existe. En retour, « la hanse des villes n’eut pas d’autre but que d’assurer la prospérité du marchand » dont les « activités commerciales se caractérisaient par la multiplicité des entreprises auxquelles ils participaient [opérations commerciales, revenus de créances, parts de sociétés ou de navires, rentes foncières et mobilières] » (Dollinger, 1988). La société hanséate, si on peut l’appeler ainsi, était de type hiérarchique. En haut figurait le grand marchand, puis se trouvait le petit marchand et enfin le marchand spécialisé dans le commerce avec un pays ou un port étranger. Le métier se transforme au fil du temps. Alors qu’il était initialement un itinérant dans la mesure où il accompagnait la marchandise puis revenait dans sa ville après avoir troqué les denrées qu’il allait à nouveau revendre, cela se faisant en groupe pour plus de sécurité, le marchand hanséate se déleste au cours du 13ème siècle de cette fonction pour devenir un chef d’entreprise. Il assumera alors uniquement des fonctions de direction. L’activité commerciale, quant à elle, était de

43 Le dictionnaire de l’Histoire - hanse, hanséatique, www.herodote.net

79

deux formes : l’entreprise individuelle, où il s’agissait des capitaux et des agents d’un seul marchand, et la société de commerce dans laquelle plusieurs marchands étaient associés (Ibid). Par ailleurs, être marchand hanséate c’était jouir « à l’étranger des privilèges hanséatiques » (Ibid). En Angleterre par exemple, une fois les droits de douane payés, ils ne devaient pas verser de taxes aux autorités du pays45. De ce fait, un fort sentiment de solidarité était à la base de la constitution de cette communauté dispersée à travers l’Europe du nord, comme en témoigne les événements survenus dans les années 1360 aux Pays-Bas. De mauvaises récoltes de céréales contraignirent les Flamands à commercer avec les hanséates. « Cette nouvelle guerre économique » marqua le développement de l’idéologie consistant à penser que « l’adhésion à l’union des villes pouvait seule assurer désormais la prospérité de chacun » (Ibid). La conception du rôle du marchand, contribuant à l’apparition et au développement de nombreuses places commerciales et portuaires de la rangée nord-ouest européenne doit être soulignée.

La Hanse contribue à l’enrichissement des marchands. Elle leur donne une place importante dans la société locale ce qui conduit, d’après-nous, à alimenter la construction identitaire des communautés portuaires actuelles. Les marchands organisent la ville et la place commerciale. Ils sont au sommet de la hiérarchie et en plus au cœur du poumon économique de l’Europe du nord. Ils donnent également à la ville son identité. Le lien avec le dogme protestant est proche. Hambourg devient une ville protestante en 1529. L’enrichissement personnel n’est plus aux antipodes du dogme religieux, comme il a pu l’être chez les catholiques. Max Weber écrira à ce propos L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme composé de deux volumes datant de 1904 et 1905. Plus tard, le mercantilisme, né « de la croissance des pouvoirs territoriaux » (Bordeaux-Groult, 2007), concevra l’enrichissement de l’individu à travers l’action collective. Ce pouvoir économique du Moyen-Age est « comparable à celui de la Hanse, mais établi sur le socle d’un vigoureux gouvernement central »(Ibid).

Malgré une histoire intense, la Hanse allemande connaîtra au 15ème siècle la concurrence « des marchands anglais, organisés désormais en compagnies commerciales »46 et à partir du 16ème siècle une période de déclin liée notamment à l’arrivée des marchands flamands et néerlandais (Dollinger, 1988), à la montée en puissance des Etats nationaux souhaitant défendre aussi les intérêts de leurs sujets, aux

45 Anecdote relatée par Dollinger, 1998

80

rivalités internes à la ligue (Gras, 2010), à l’ouverture de nouvelles routes commerciales vers l’océan Indien d’où la Hanse sera excentrée et à la guerre de Trente Ans qui ruinera la plupart des villes du nord47.

La dissolution de la Hanse est entérinée à Lübeck en 1669 lors de la dernière diète ; « cette ville resta néanmoins encore longtemps unie avec Hambourg et Brême »48. Pour Pierre Bordeaux-Groult (2007), le déclin de la Hanse est clairement lié à l’affirmation politique des puissances territoriales naissantes notamment dans le domaine maritime. La Hanse « inspira à de nombreux princes ou seigneurs territoriaux européens des sentiments qui, d’admiratifs au début, devinrent successivement jaloux puis hostiles au point de provoquer sa disparition au 17ème siècle » (Bordeaux-Groult, 2007). Ce fut particulièrement le cas de l’Angleterre d’où nait un « conflit entre le pouvoir, de plus en plus conscient de la force de l’être national, et le monde privilégié d’une institution [la ligue hanséatique] dont l’attrait paraissait peu à peu perdre son lustre » (Ibid). Le déclin de la Hanse serait donc attribuer à l’« absence d’un pouvoir politique allemand comparable à ceux de France et d’Angleterre, capable d’étouffer les particularismes qui se manifestaient sur leur sol et […] un pouvoir devenu impuissant du fait de sa nature exclusivement marchande » (Ibid). Il reste de cette histoire très ancienne un ancrage fort des villes portuaires au cœur de l’économie nord-européenne et l’idée que la concurrence associée à de la complémentarité stimule le développement (Gras, 2010). Cette structuration a également « inspiré aujourd’hui le travail de mise en réseau des places portuaires allemandes et de l’Europe du nord »(Ibid). Mais ce qui reste surtout dans l’identité de ces villes c’est une organisation de l’espace par des acteurs économiques. Dans l’imaginaire collectif allemand le mot Hanse « reste associé à un ensemble de valeurs positives : la confiance, la fiabilité, la modestie, l’ouverture »49

. Ces ports commerciaux se sont développés pour les besoins de marchands et se sont structurés autour de ceux-ci : mise en place de privilèges, expansion géographique ; et de leurs possibilités : capacité à maintenir leur positionnement face à d’autres organisations. Finalement la Hanse : « n’est-ce pas un premier modèle d’Union Européenne ? D’union économique tout court ? »50. Pour certains, cette organisation territoriale et économique préfigurerait l’Union économique Européenne contemporaine51

.

47 Ibid

48

Le dictionnaire de l’Histoire - hanse, hanséatique, www.herodote.net

49 Escach, 2013, Mobilités, flux et transports, La Hanse et ses héritages, geoconfluences.ens-lyon.fr

50 HÖRNER Unda, L’histoire : la Hanse, Karambolage 234, 10 avril, 2011, sites.arte.tv

81

Afin de montrer l’organisation en réseau nous proposons une cartographie de l’extension maximale de la Hanse. Elle permet de prendre conscience de l’étendue géographique de celle-ci.

82