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Politique de concurrence et libéralisation portuaire en Union Européenne

L’EUROPE PORTUAIRE : CONTEXTUALISATION ECONOMIQUE

3.2. Le tournant économique des années 1980-1990 : une donne incontournable

3.3.2. Politique de concurrence et libéralisation portuaire en Union Européenne

3.3.2. Politique de concurrence et libéralisation portuaire en Union Européenne

L’idéologie libérale, pensée dominante à l’heure actuelle au sein de la Commission européenne en charge de la mise en place des politiques communautaires, a conduit à conclure que « les Etats de tradition dirigiste, comme la France ont des cabotages nationaux de faible ampleur […] alors que les chantres du libéralisme ont un cabotage qui pèse beaucoup plus »(Guillaume, 2011). Or, l’Union Européenne, à travers son Livre vert relatif aux ports et aux infrastructures maritimes datant de 1997, souligne le rôle important des ports maritimes dans les réseaux transeuropéens de transport (RTE-T) et encourage le transport maritime à courte distance et son intégration dans un système de transport multimodal. C’est pourquoi, le questionnement sur le rôle des Etats et plus largement du secteur public dans les activités commerciales du port, à savoir notamment les activités de manutention, a fait l’objet de profonds recentrages.

La liberté d’entreprendre hors du cadre publique serait en effet perçue comme un facteur de succès. L’idéologie libérale « vise à repenser et à réduire le rôle de l’Etat dans l’économie et, à accorder une confiance accrue aux forces du marché pour en promouvoir l’efficacité et la flexibilité » (Gueguen-Hallouët, 2014). Ces deux notions sont au cœur de la politique maritime de l’Union Européenne. La mise en œuvre de ces objectifs, vecteurs de performance, est inscrite dans le Livre vert. Celui-ci prône l’efficacité des ports maritimes et des infrastructures portuaires grâce à leur intégration dans les RTE-T et

81 europa.eu

82 Harbour light, port and transport related EU policy and regulations, the professionals’ guide, document produit pas l’ESPO, 2012

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l’application des règles de concurrence. Se basant sur cela, la Commission européenne a entrepris d’engager la libéralisation des services portuaires sur un principe de liberté d’établissement et de prestation pour les ports dont le trafic est supérieur à 3 millions de tonnes, conduisant à un projet de directive au début de l’année 2001 (Guillaume, 2011). La libéralisation des services portuaires s’inscrit dans un contexte de libéralisation de l’ensemble des modes de transport au sein de l’Union Européenne : lestransports routiers en 1992, les transports fluviaux en 1996 et les transports ferroviaires et aériens en 2004, permettant ainsi « de faciliter l’intermodalité » et garantissant « le respect de ses lignes directrices et pour le bon fonctionnement de son marché commun » (Gallais-Bouchet, 2010).

La libéralisation portuaire impulsée et imposée par l’Union Européenne dès la fin des années 1980-début des années 1990 est un fait marquant dans l’évolution de la gestion des ports de commerce nord-européens et des stratégies des opérateurs privés dans les ports. La libéralisation, débutée dans le secteur aérien, vise à éliminer « les obstacles à l’accès au marché, les disparités inutiles qui existent dans les normes techniques et administratives, et les distorsions de concurrence entre les Etats membres de l’Union Européenne en ce qui concerne les prix, les taxes et les autres frais »83. L’Union Européenne a procédé à plusieurs phases de libéralisation des services portuaires. En 1991, l’arrêt Merci de la Cour de justice de la Communauté européenne a affirmé que la manutention portuaire n’étant pas un service d’intérêt général économique devait être soumis aux règles de concurrence (Guillaume, 2011). Les mesures prises ont concerné la libéralisation des transports. La première datant de 1986, a concerné la libéralisation des services de transports maritimes internationaux au sein de l’Union Européenne. La seconde a concerné la libéralisation du cabotage national et a été actée en 1992 (Ibid). C’est pourquoi « le travail est quasi achevé, reste au marché à utiliser l’ensemble des outils mis à sa disposition et à composer avec les contraintes bien réelles malgré leurs justifications » (Gallais Bouchet, 2010).

Mais le projet de directive de 2001 a connu un premier échec. Il fut rejeté par le Parlement européen en 2003 du fait de l’opposition massive des syndicats et des réticences des autorités portuaires, représentées dans l’ESPO représentant les autorités portuaires, les associations portuaires et les administrations portuaires des pays membres de l’Union

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Européenne et de Norvège, s’opposant ainsi aux chargeurs, aux transporteurs maritimes, représentés par l’European Community Shipowners’Associations (ECSA) et les ports privés représenté par la Feport (Guillaume, 2011). La Feport représente les intérêts de 1200 entreprises de manutention localisées sur 425 terminaux principalement dans l’Union Européenne.

Par la suite des paquets portuaires I (en 2001) et II (en 2004) dont l’objectif était d’introduire un droit privé dans le secteur portuaire « visant à réduire la distorsion de la concurrence entre les ports maritimes de l’Union Européenne, ainsi qu’à garantir la transparence au niveau des investissements »84, ont également été rejetés. Mais le 14 décembre 2016, un troisième paquet portuaire sur l’accès au marché des services et la transparence financière des ports, proposé en 2013, a finalement été adopté par le Parlement Européen. L’objectif de ce paquet portuaire est notamment d’améliorer la transparence concernant les financements publics reçus par les ports et les redevances liées aux infrastructures85.

De ce fait, il est aujourd’hui compliqué d’accéder aux montants des aides d’Etats octroyées aux ports maritimes, ce qui aurait été intéressant dans une perspective comparatiste. Mais une première indication globale peut être prise en compte. Les aides d’Etat aux ports maritimes peuvent allées jusqu’à 150 millions d’euros. L’Union Européenne répertorie 1200 ports maritimes ce qui pourrait aller jusqu’à 180 milliards d’euros notamment pour couvrir les coûts de dragage des ports et des voies navigables d’accès86

alors que la Feport qui représentent l’essentiel des opérateurs de terminaux européens considèrent qu’ils ont investi 40 milliards d’euros de 2006 à 2016 dans des équipements portuaires ou encore dans des solutions intermodales.

La prise en compte de la concurrence est un élément central qui nourrit les intentions de la Commission en matière de libéralisation portuaire, déjà inscrite dans le traité de Rome de 1957. L’Union Européenne considère que les aides d’Etat qu’elle distingue des investissements effectués par des acteurs publics répartis en trois catégories : infrastructures portuaires basiques, infrastructures liées aux terminaux et superstructures portuaires, « peuvent (menacer de) fausser la concurrence entre les ports européens » sauf

84 europa.eu, « Affaires maritimes et pêche – préserver l’avenir de nos mers et de nos océans et générer de la croissance » - 13 décembre 2016

85 www.actu-transport-logistique.fr, 20 décembre 2016

86 DEMANGEON Érick, mercredi 24 Mai 2017, « Aides d’État : nouvelles règles pour les ports maritimes et intérieurs », www.lantenne.com

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si ces aides favorisent certaines entreprises notamment87. L’Union Européenne, par l’intermédiaire de la Commission Européenne, joue donc un rôle très important de lutte contre les comportements anticoncurrentiels, tout en encourageant la libéralisation88. Elle est donc un acteur clef dans la régulation de l’activité portuaire et productrice d’uniformisation. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) indique que les accords entre entreprises ne doivent pas « affecter le commerce entre Etats membres » (article 101). En ce sens, les entreprises qui « au sens du droit européen, […] désigne toute entité exerçant une activité économique »89, ne doivent pas entraver « le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur » (article 101). La libre concurrence sur les marchés mais également la mise en concurrence des entreprises sont au cœur d’un des fondements essentiels du fonctionnement de l’économie européenne et de fait internationale. De cette manière, « ce premier volet du droit européen de la concurrence vise à réguler le comportement des entreprises »90. La direction générale de la concurrence « assume principalement ces pouvoirs d’exécution directe »91. Dans le but de faire fonctionner le marché européen, « la politique de concurrence consiste à appliquer des règles destinées à garantir une concurrence loyale entre les entreprises »92.

Soulignons que l’Union Européenne distingue l’organisme gestionnaire du port de l’autorité compétente pour l’affectation des autorisations. En fait les dépenses et recettes d’exploitation des services, c’est-à-dire les prestations commerciales, reviennent au secteur privé et se distinguent des aides publiques et « les services de manutention susceptibles d’être pris en charge par le transporteur lui-même, aux dépens des manutentionnaires traditionnels et de leur main-d’œuvre dockers » (Guillaume, 2011).

Dans un Livre Blanc intitulé propositions pour une politique européenne de logistique maritime durable rédigé en 2016 par la Feport, celle-ci indique que « les entreprises privées et les investisseurs jouent un rôle important dans la valorisation de l’infrastructure de base fournie par le secteur public ». Ces entreprises, organisées sous forment de lobby à Bruxelles, estiment donc avoir désormais un rôle dans la gouvernance des places portuaires. Ainsi, l’Union européenne cherche à réguler les services portuaires.

87 « Aides d’état à destination des ports maritimes de l’UE », 2011, Direction générale des politiques internes de l’union département thématique à destination des commissions parlementaires des transports

88 Ibid

89

www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes

90 Ibid

91 ec.europa.eu

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Cela conduit à l’uniformisation des pratiques au sein des ports. L’échec de la directive de 2001 à montrer la résistance des administrations portuaires à la libéralisation des activités dans le secteur portuaire. Elle souligne également qu’à l’échelle européenne, ces administrations s’opposent aux acteurs privés.