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L’EUROPE PORTUAIRE : CONTEXTUALISATION ECONOMIQUE

3.1. La mondialisation de l’économie : une tendance de fond

L’accélération de la mondialisation de la fin du XXème siècle est au cœur des dynamiques portuaires contemporaines. Elle a en effet transformé l’économie mondiale en offrant une autre répartition de la localisation de la production et de la consommation de biens et de services à travers le monde (Brooks, Cullinane, 2006) impactant l’organisation des grands ports mondiaux. Les zones de production et de consommation sont aujourd’hui localisées à des endroits distants géographiquement ce qui conduit à la compétition entre les ports.

D’un point de vue économique, la mondialisation est une « tendance des entreprises multinationales à concevoir des stratégies à l’échelle planétaire, conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié »67

mettant ainsi en place une interconnexion des marchés dont le processus conduit à l’interdépendance des économies nationales du monde. Les processus qui résultent de cette interconnexion concernent les domaines de l’économie, de la finance et de la politique.

D’un point de vue géographique, la mondialisation désigne la répartition des espaces de production et de consommation à travers le monde, produisant la spécialisation des territoires et la différenciation des espaces. La mondialisation « n’est pas simplement une internationalisation mais l’extension à l’échelle planétaire d’enjeux auparavant limités à des régions ou à des États, et dont la composante maritime est essentielle » (Philippe, 2014). Au regard des transports, « la mise en concurrence des espaces à l’échelle du monde (mondialisation), c’est-à-dire la présence de réseaux mondiaux, s’est vue renforcée par une nouvelle mise en forme de mise en concurrence (déréglementation) à l’intérieur de ces mêmes réseaux entre les acteurs du transport, en particulier les acteurs privés » (Brocard, 2009).

Dans le secteur maritime, la mondialisation est symbolisée par la diffusion globale d’un mode de transport des marchandises : le conteneur. La conteneurisation est l’innovation technologique majeure récente du secteur. Pour tirer parti d’économies d’échelle, les porte-conteneurs sont devenus de plus en grands : 18 000 EVP contre 1000 à

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2500 EVP dans les années 197068. Elle signe l’uniformisation des modes de transports dans un contexte évoqué dès la fin des années 1970 par André Vigarié, de maritimisation du monde, « à la fois moteur et conséquence de la mondialisation, et étroitement liée aux équilibres économiques mondiaux » (Metzger, 2014). La conteneurisation, porte à porte et juste à temps « participe très directement aux nouvelles organisations de la production et de la consommation issues de la mondialisation. […] Elle constitue aujourd’hui l’épine dorsale de la mondialisation » (Frémont, 2008). La conférence de Montego Bay de 1982 autorise la libre circulation dans les eaux internationales, ce qui encourage ce processus. Cette standardisation a conduit à la transformation des outils maritimes et portuaires qui doivent être indifférenciés quel que soit l’endroit du monde. La massification terrestre, autre pendant du trafic de marchandises conteneurisées, s’avère faire l’objet de questionnements de plus en plus intenses. En effet, la « compétitivité des ports dépend en grande partie des chaînes de transport terrestre et des économies d’échelle qu’elles permettent de réaliser » soulevant ainsi l’idée selon laquelle la continuité de la chaîne logistique garantie la fiabilité du passage portuaire (Frémont, Franc, Slack, 2008). L’intermodalité au sein du port devient une condition essentielle à l’intégration dans ce réseau maritime mondial.

La mondialisation s’est propagée grâce à l’importance des flux océaniques permettant de transporter aisément des marchandises en standardisant leurs modes de transport. L’objectif est d’amoindrir la « contrainte portuaire » (Debrie, Guerrero, 2008) et donc créer une baisse des coûts en opérant des économies d’échelle. De cette manière, la mondialisation a transformé le paysage portuaire contemporain en concentrant les trafics vers de grands « hubs » maritimes ou main port caractérisés par la diversité de leurs trafics. Elle a eu pour conséquence de créer une hiérarchie entre les ports, comme l’évoque largement César Ducruet. De fait, « une des conséquences de la nouvelle organisation des services portuaires est la constitution d’un nouveau maillage portuaire. Le transport maritime est canalisé progressivement vers un nombre réduit de ports » (Gonzales Laxe, 2008). Les terminaux portuaires ont désormais un rôle nouveau dans le transport maritime puisqu’« on passe d’une vision "port à port" à une nouvelle vision "porte à porte" » (Ibid). Cela débouche aujourd’hui sur des processus de terminalisation. Le terme

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« terminalisation » a été proposé par Brian Slack69 dès la moitié des années 2000. Ce processus découle de l’avènement de la conteneurisation (Debrie, Guerrero, 2008) et s’inscrit dans un contexte lié à l’accroissement de la taille des navires et à leur spécialisation conduisant « à l’éloignement progressif des fonctions portuaires du cadre géographique où étaient nées les villes-ports » (Boquet, 2011) ainsi qu’à la spécialisation des terminaux qui « s’accompagne d’un moindre contrôle par les autorités portuaires » (Ibid).

La mondialisation à l’origine de la formalisation de notre objet d’étude, produit également un autre phénomène : la régionalisation. La géographie universitaire française a pendant longtemps étudié le fait géographique à travers le champ des études régionales et cette notion a d’ailleurs « occupé une place originale dans la conception des savoirs géographiques [durant] la première moitié du XXème siècle »70. L’étude de celle-ci reprend les éléments clefs des études géographiques : caractéristiques du milieu physique, dimension temporelle, activités humaines71. Cependant, la région a rarement été le centre des études portuaires, indique César Ducruet (2008) qui propose alors une approche géographique de la question portuaire. Revisitée au XXIème siècle, dans un contexte de mondialisation, la notion de région géographique a pour but de montrer l’individualité et la spécificité d’un espace portuaire. L’approche régionale consiste d’abord à repenser le cadre géographique de l’étude.

La région ainsi pensée permet de faire abstraction des limites imposées par la construction administrative des territoires. La région portuaire correspond bien à la définition de la région en géographie qui « est une portion de l’espace terrestre qu’un critère particulier permet d’individualiser, en la détachant de son environnement (régions de montagne, région de plaine, région polaire, région urbaine, région méditerranéenne, etc.) »72. À l’échelle internationale, plusieurs grands espaces portuaires se dessinent. Ils se présentent comme des régions portuaires.

Quatre rangées portuaires sont identifiables : la rangée nord-ouest européenne, la façade orientale de l’Amérique du Nord, du Saint-Laurent au golfe du Mexique, la façade occidentale de l’Amérique du Nord, du Puget Sound à la Californie, la façade d’Asie de

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« Ports, cities, and global supply chain », datant de 2007

70 Définition de la région, SAINT-JULIEN Thérèse, www.hypergeo.eu/

71 Ibid

117 l’Est et du Sud-Est73

et l’Afrique Atlantique. Ce qui nous interpelle ici est l’idée de polarisation des activités portuaires, concentrées à certains endroits du globe. André Vigarié de son temps, parlait déjà d’une dynamique de maritimisation du monde, que souligne l’apparition de ces pôles de développement. En effet, les activités portuaires se structurent autour de pôles régionaux qui modifient la géographie portuaire internationale. Les pôles majeurs du commerce mondial où se trouvent les fonctions commerciale, financière et de distribution (Rodrigue, 2004) se situent principalement en Amérique du nord, en Europe du nord-ouest et en Asie. Depuis quelques décennies, les centres importants se déplacent vers ce dernier pôle. La hiérarchie établie au XXème siècle, plaçant les ports européens au centre du commerce international, est aujourd’hui bouleversée par la montée en puissance des ports asiatiques (Gras, 2010) modifiant à nouveau la géographie du paysage portuaire international. La nouvelle polarisation du monde maritime et les répercussions locales de celle-ci « relève du glissement continental de certaines fonctions portuaires (dont les ports secs) comme la logistique et la distribution » (Notteboom et Rodrigue, 2005 cité par Ducruet, 2008).

118 Figure 29

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Par ailleurs, cette dynamique récente amène à une hiérarchisation nouvelle des ports au sein de ces espaces. On observe clairement une polarisation de quelques grands ports dits mondiaux, dont le nombre tend à diminuer et leur taille à croître et une multitude de petits ports diversifiés dans des modes de transport et des types de marchandises différents. Le conteneur, dont l’empreinte territoriale est le terminal, prend une place de premier plan dans la gestion des ports. L’utilisation de nouvelles techniques de navigation a largement modifié la configuration des ports ainsi que leurs fonctions au sein de la chaîne logistique globale : « le conteneur a permis ainsi de passer de manière plus fluide et rapide d’un mode de transport à un autre en réduisant la contrainte portuaire sans toutefois annuler les effets de discontinuités propres aux franchissements terrestres » (Debrie, Guerrero, 2008). La régionalisation portuaire peut être vue comme une clef de compréhension de la mondialisation.

Nous proposons un tableau montrant le changement de perceptive accompagne le processus de mondialisation.

Figure 30 – Le basculement de l’ère industrielle à mondialisation : le nouveau rôle des territoires productifs

Ere industrielle Mondialisation Entité économique

centrale Firme

Ville, Métropole, District, Valley, Pôle, Cluster

Modèle d’entreprise Firme nationale + grand

patron Firme multinationale + actionnaires

Territoire productif Marché national Marché international / marché contextualisé

Distribution des

productions Population nationale A l’internationale

Etendue géographie Restreinte et fixe Large et mouvante et concurrentielle

Espace productif Substituable Non substituable

Rôle de l’espace

urbain Support des activités

Entité économique à part entière Vecteur d’innovation

Rôle des échelons administratifs

Planification centralisée et

hiérarchique Stratégie politique de ville

Rôle des parties

prenantes Inégal

Toutes les parties prenantes peuvent être acteur et se mobiliser

Importance des citoyens donc de l’opinion publique donc de la

gouvernance

Rôle de la ville portuaire

Lieu de passage, lieu traversé

outil central de la compétitivité des entreprises de taille moyenne

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grâce à la communauté portuaire : mettre en commun certaines stratégies

Construction ensemble économique

Planification centralisée et hiérarchique (ex Barcelone)

Stratégie politique de ville négociée avec l’Etat (ex Barcelone)

Type de régulation Régalienne Economique

Conséquences Référence à une autorité centrale

Importance de la démocratie Spécialisation des territoires, multitude de

compétences

Source : Baudouin et Collin, 2006 augmenté de notre réflexion personnelle – Réalisation : Anne-Solène Quiec, 2017