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Des cadres institutionnels socles de base des modes de gestion portuaire

L’EUROPE DES PORTS : DYNAMIQUES HISTORIQUES ET CULTURELLES

2.2. Des territoires géographiquement proches mais culturellement éloignés

2.2.1. Des cadres institutionnels socles de base des modes de gestion portuaire

Dans une perspective comparatiste, il convient d’aborder la question de la gestion des places portuaires sous l’angle institutionnel. Cette approche permet de contextualiser l’étude des modes de gouvernance portuaire. L’identification théorique des modes de gestion, s’appuyant sur des études locales, permet d’aboutir à des généralisations. Des zones géographiques présentant des similarités dans leur mode de gestion ont été identifiées en Europe.

Ferdinand Suykens59 avait identifié dès la fin des années 1980 trois grandes typologies de géo-gouvernance portuaire qui depuis lors ont été largement reprises, notamment pour comparer les succès ou les échecs des ports de la rangée nord-ouest européenne en les comparant les unes aux autres. A ces trois grandes typologies, latine, hanséatique, anglo-saxonne, s’ajoutent aujourd’hui deux déclinaisons qui sont les typologies néo-latine et néo-hanséatique. Patrick Verhoeven les reprend dans le rapport de 2011 comme base théorique indispensable de l’analyse effectuée pour comparer les modes de gouvernance. Nous proposons une carte reprenant cette classification et permettant de les localiser géographiquement.

59 Ferdinand Suykens était directeur-général du port d’Anvers, professeur d’économie portuaire et président fondateur de l’European SeaPort Organisation (ESPO)

90 Figure 13

La cartographie de ces typologies souligne leur répartition en zones géographiques distinctes. Cette carte reprend donc la classification théorique effectuée pour distinguer les modes de gouvernance en Europe, basée sur un sondage auprès de 116 autorités portuaires. Elle est un cadre de départ pour l’étude de la gouvernance dans les ports de la rangée nord-ouest européenne.

Elle permet en effet de généraliser les modes de gestion et fait ressortir une dimension géographique indéniable dans l’exercice de celle-ci. Nous supposons dès lors qu’il existe un lien très clair entre la répartition géographique observée et l’implication du

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facteur culturel dans cette répartition. En effet, l’échelle privilégiée par les auteurs de la classification est celle des Etats. Ainsi, nous supposons déjà que la comparaison des modes de gouvernance par l’ESPO, donnant lieu à une classification sous forme de modèles, présente un caractère institutionnel.

Concernant les pays formant la rangée nord-ouest européenne, nous observons clairement la juxtaposition de trois typologies : latine, hanséatique et anglo-saxonne, débouchant sur l’identification de modèles de gouvernance. Ainsi, sur un espace très réduit et très concurrentiel, si l’on s’en tient à la concentration importante de ports d’envergure nationale et mondiale sur cette rangée portuaire, cohabitent donc le modèle latin, le modèle hanséatique et le modèle anglo-saxon. Globalement, ce qui différencie ces typologies est lié à l’intensité de la part d’intervention du secteur public et du secteur privé dans la gestion du port « basé sur des facteurs historiques qui ont façonné le gouvernement des ports à travers les siècles » (Lévêque, 2012). Pour plus de précisions, la distinction majeure entre le modèle latin et le modèle hanséatique tient respectivement dans l’influence du gouvernement central et de l’échelon municipal (Verhoeven, 2011).

Le type anglo-saxon présente une très forte implication du secteur privé, tandis que le type latin présente une très forte implication du secteur public. Le type hanséatique est en quelque sorte un intermédiaire. Or, la rangée nord-ouest européenne est un espace présentant de forts enjeux de développement portuaire et économique. Les ports sont donc directement mis en concurrence puisqu’ils sont localisés à proximité immédiate les uns des autres et qu’ils traitent les mêmes types de flux. Bien que la rangée nord-ouest européenne soit un espace très étudié, tant par les géographes que par les économistes, cette confrontation des trois typologies au sein d’un espace si restreint, justifie l’étude de cette rangée en particulier. En effet, ces trois typologies coexistant présentent des fondements culturels différents voire opposés. Surtout, ces modèles sont aujourd’hui repris dans les discours des observateurs de cet espace et largement mobilisés.

Plus concrètement, le type hanséatique fait référence à la tradition des ports d’Europe du nord, dont l’apparition a été décrite auparavant grâce à l’étude de la Hanse allemande. Il est emblématique des ports d’Europe du nord et concerne notamment les ports du Delta Rhin-Escaut. Il se rapporte à la tradition commerciale de cet espace géographique. Nous considérons qu’Anvers, bien que n’étant pas historiquement intégré à la Hanse allemande, a tout de même dans son fonctionnement, adopté des pratiques de

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gestion proches des ports hanséatiques. L’élément important du type hanséatique montre qu’il s’appuie sur une gestion locale des affaires publiques. En effet, les municipalités ont des représentants au sein des autorités portuaires. Cela est aussi le cas dans le modèle latin. Néanmoins, dans le type hanséatique leur rôle a une dimension plus stratégique, ce qui en fait des acteurs à part entière de la gestion portuaire. Dans le cas du port d’Anvers, le directeur du port est aussi élu municipal. Il existe sur ce territoire une véritable interpénétration entre la municipalité et l’autorité portuaire. Les autorités portuaires et les autorités publiques locales, c’est-à-dire les collectivités territoriales, exercent un fort pouvoir de décision et d’administration du domaine portuaire. Hambourg, par exemple, appartient au Land du même nom et la ville se confond d’ailleurs avec celui-ci. Ainsi, une proximité entre les pouvoirs peut s’exercer puisque le pouvoir politique référent et l’autorité portuaire cohabitent au sein du territoire de la place portuaire. Dans le cadre de notre étude, le modèle hanséatique s’observe donc en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne, c’est-à-dire dans les ports d’Anvers, de Rotterdam et d’Hambourg.

Dans le modèle latin, l’Etat est très présent dans la gestion du port. Il est basé sur une intervention et une présence très forte de celui-ci, et donc du secteur public et de l’échelon national, dans la gestion et l’administration du port. La gestion des ports de commerce français est issue du modèle latin. L’Etat administre les ports d’intérêt national, les Grands Ports Maritimes (GPM), par l’intermédiaire des autorités portuaires. En ce sens, les autorités publiques prennent une place importante dans les stratégies de décision. L’Etat est financeur et ses agents, les hauts-fonctionnaires dirigent les autorités portuaires des ports d’intérêt national. Les collectivités locales et les municipalités interviennent dans une moindre mesure dans la gestion du port, comparativement au modèle hanséatique. Toutefois, ce type de gouvernance ville-port se développe positivement et les liens créés entre les collectivités territoriales et les autorités portuaires semblent aujourd’hui porter leurs fruits. Mais l’autorité portuaire reste l’un des acteurs principaux de la gestion portuaire. Le rôle de l’Etat en France dans la gestion des ports est largement lié à la culture administrative du pays. D’un point de vue de la gouvernance, les décisions stratégiques sont prises dans une logique bottom up par des fonctionnaires d’Etat. Dès lors, nous pensons qu’il existe une déconnection spatiale entre les échelons de gestion du port, c’est-à-dire entre le pouvoir central excentré et l’administration portuaire locale. Il s’agit d’une limite de ce modèle, aujourd’hui très pointé du doigt.

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Concernant le type anglo-saxon, Patrick Verhoeven parle de « gouvernance indépendante » ce qui signifie que l’administration est exclue des processus de gestion. Le modèle anglo-saxon s’observe au Royaume-Uni. En Angleterre, les ports d’intérêt national sont privés tandis que les petits ports peuvent être publics, précise le site du Sénat français ayant réalisé un comparatif entre les pays européens sur cette question. Nous nous sommes moins appesanti sur ce modèle d’une part pour une question de temps et d’autre part parce que les exemples de ports sont difficilement comparables aux autres complexes portuaires de la rangée nord-ouest européenne situés sur le continent, du fait de leur privatisation et donc de la quasi-absence du secteur public.

Les questions qui sous-tendent l’analyse opérée par l’ESPO s’articulent autour de la redéfinition des prérogatives du secteur public, de l’intervention du secteur privé et du rôle de l’autorité portuaire. Il s’agit donc en résumé, du rapport public-privé. La distinction principale entre ces trois typologies réside dans le choix des Etats, fédéraux ou centralisés, de faire intervenir plus ou moins la puissance publique et de le faire en décentralisant, comme dans le type hanséatique, ou non, comme dans le type latin, la gestion des ports. Tout l’enjeu des perspectives de la gestion portuaire réside dans ce choix.

Compte tenu de notre définition de la gouvernance, nous considérons que ces typologies dites « de gouvernance », sont avant tout des modes de gestion car ils expriment avant tout le choix politique de l’échelle d’intervention publique dans l’administration des ports de commerce. En ce sens, il s’agit d’une stratégie de l’Etat pour l’administration de ses territoires les plus locaux révélant ainsi l’idéologie de son rôle. C’est pourquoi nous affirmons que le cadre institutionnel dans lequel évoluent les ports découle dans une certaine mesure de la culture administrative du pays dans lequel il se trouve. Il n’est probablement pas un hasard que les Etats belges et allemands soient des Etats fédéraux et que les échelons institutionnels locaux aient un poids plus important et que l’Etat français soit un Etat centralisé où le rôle des collectivités territoriales est moins important. Cependant, ce paramètre ne suffit pas à lui seul pour expliquer les modes de gestion observés dans les ports de la rangée nord-ouest européenne ainsi que le confirme l’exception néerlandaise. Pays de tradition centralisée comme la France, les Pays-Bas présentent pourtant une typologie de gestion hanséatique des ports ce qui est contraire à la typologie latine de coutume en France, notamment dans les GPM.

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Le tableau ci-dessous permet de mettre en perspective le type d’Etat et la typologie de gestion de quelques ports de la rangée nord-ouest européenne.

Figure 14 – Types d’Etat et typologies de gestion

Pays Type d’Etat Port Typologie de gestion

France Etat unitaire ou centralisé Le Havre Latin Belgique Etat fédéral Anvers Hanséatique Pays-Bas Etat unitaire ou centralisé Rotterdam Hanséatique Allemagne Etat fédéral Hambourg Hanséatique Royaume-Uni Etat unitaire ou centralisé Londres Privé

Réalisation : Anne-Solène Quiec, 2017

La forme juridique d’un Etat est déterminée par le degré de rapprochement des relations qui s’exercent entre le pouvoir central et les collectivités territoriales et le degré d’autonomie de ces régions60. L’Etat fédéral donne la possibilité d’administrer de grands territoires en étant représenté et administrateur au plus proche des citoyens. Mais les Etat unitaires diversifient leurs formes et semblent plus souples sur l’autonomie accordée aux collectivités. Dans un Etat unitaire, il n’y a qu’une seule constitution « qui régit l’ensemble des règles applicables sur un territoire donné » ; « en pratique, un tel système serait difficile à faire fonctionner, et notamment sur de vastes territoires », l’enjeu semble être de trouver le bon équilibre entre une trop forte centralisation et une totale décentralisation. Les collectivités territoriales sont ainsi un organe décentralisé d’exercice du pouvoir de l’Etat, avec plus ou moins de compétences et d’autonomie en fonction du type d’Etat. Malgré les nombreuses compétences, elles « restent soumises au contrôle du pouvoir central et à l’unique constitution, ce qui garantit l’unité de l’Etat »61

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Ces typologies de gestion sont considérées comme des modèles de gouvernance. Dans les représentations collectives, sur lesquelles nous reviendrons en deuxième partie, le type hanséatique est présenté comme un modèle de référence, le type latin est décrié et présenté comme un modèle dépassé, tandis que nous nous demandons si la typologie anglo-saxonne propose véritablement un modèle viable. Ces modèles, hérités de plusieurs siècles d’histoire, constituent le bagage institutionnel avec lequel doivent composer les acteurs portuaires. La différence fondamentale entre la partie nord et sud de l’Europe

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réside donc l’implication de l’Etat dans la gestion de l’administration portuaire, mais pas nécessairement de son implication dans le soutien financier des projets portuaires.