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Les concepts de chronogenèse et topogenèse initialement proposés par Chevallard (1985/1991) dans la présentation de la théorie de la transposition sont une première tentative de description de l'espace-temps de la relation didactique, par rapport à la progression du savoir dans la classe. Parler du temps est une chose difficile, car dans la classe, le temps vécu par chaque catégorie de participant – enseignant et enseignés- n'est pas le même, au-delà de l'évidence, que chaque personne vit un temps subjectif, spécifique du déroulement de ses actions dans le monde. Parler de ces régimes de temporalité est pourtant indispensable, car ils posent des contraintes sur les possibles de l'enseignement et de l'apprentissage dans le cadre des institutions didactiques que nous qualifions de

"modernes"30, selon Chevallard & Mercier (1987), repris dans Mercier (2002). Nous revenons donc sur la conception chevallardienne de chronogenèse et topogenèse du savoir et nous montrons comment ces concepts peuvent être des descripteurs du contrat didactique broussaldien, à la lumière de différentes perspectives de recherches qui ont convoqué spécifiquement des emprunts à la psychologie sociale (Schubauer-Leoni, 1986, 1991, 1996), aux sciences de la communication (Schubauer-Leoni, 1997, 2003, 2004) et à la sociologie (Sensevy, 1998). Puis, nous revisitons ces concepts, à la lumière de la mésogenèse, pour décrire l'évolution des systèmes de tâches et d'objets dans la relation didactique. Selon nous, l'émergence de la mésogenèse comme troisième descripteur du contrat didactique (au sens de Schubauer-Leoni & Leutenegger 2002) est la résultante d'une inscription du fonctionnement des sujets didactiques dans une perspective actionnelle. Nous tenterons de montrer pourquoi, à l'appui des tout premiers travaux sur le modèle de l'action conjointe (Sensevy, Mercier, Schubauer-Leoni, 2000 ; Ligozat, 2002).

Chronogenèse et topogenèse

Sens princeps en didactique

Dans la présentation de la théorie de la transposition, Chevallard (1985/1991) reconnaît chez l'enseignant une avance chronologique dans le maniement de la contradiction ancien/nouveau sur laquelle repose la présentation successive des savoirs dans la classe.

"Dans la relation didactique (…), l'enseignant est le servant de la machine didactique dont le moteur est la contradiction de l'ancien et du nouveau : il en nourrit le fonctionnement en y introduisant ces objets transactionnels que sont les objets de savoir convenablement apprêtés en objets d'enseignement. (…) L'enseignant est donc celui qui sait avant les autres, qui sait déjà, qui sait plus. Et cela lui permet de conduire la chronogenèse des savoirs". (Chevallard, op.cit., p.71 –c'est nous qui soulignons.)

Ainsi, la contradiction ancien/nouveau structure le temps de l'enseignement selon un mode progressif, cumulatif et irréversible. Ce déploiement temporel du savoir est à l'origine de

30 C'est-à-dire visant à un enseignement collectif de type bureaucratique, qui doit rendre des comptes de son avancement à la société, par opposition à un enseignement de type aristocratique, centré sur le développement de la connaissance d'un sujet en particulier (d'après Mercier, 2002).

Ligozat, F. (2008). Thèse de doctorat en Sciences de l'éducation. Université de Genève & Aix-Marseille Université [version en ligne]

deux registres d'actes épistémologiques qui distinguent les sujets didactiques, entre la position d'enseignant et celle d'enseigné :

(a) l'enseignant est toujours en avance sur ce que sait l'élève, car non seulement il sait l'issue de la question ou du problème que l'élève tente de résoudre- en termes broussaldiens, il connaît l'enjeu du jeu de l'élève-, mais encore, il sait ce qui viendra ensuite dans la planification des enseignements, puisqu'il en est l'instigateur. Il est donc capable d'actes d'anticipation dans une temporalité qui lui est propre (temps de l'enseignement).

(b) l'enseigné ne peut "savoir" que lorsqu'il réussit à combler le retard que produit l'introduction d'un objet nouveau dans son environnement, en regard de ses apprentissages déjà réalisés. Le temps de l'enseignement s'impose à lui et il ne peut intégrer l'actualité des objets enseignés dans ses connaissances, qu'au moyen d'actes de rétroaction, ou reconstruction après-coup à partir des objets plus anciens.

Dans les institutions didactiques, la transposition interne se caractérise alors par un double régime temporel du savoir :

- il y a du savoir enseigné, c'est-à-dire présenté, recontextualisé et négocié dans les interactions en classe, selon un temps d'enseignement qui s'impose à tous,

- il y a du savoir appris, selon un temps d'apprentissage particulier à chacun des sujets enseignés. Ce savoir appris a une composante privée (rapport personnel au savoir = connaissance) et une composante publique qui adopte des formes institutionnelles convenues (rapport institutionnel au savoir) pour s'exprimer et être reconnaissable par les autres sujets de l'institution. Le clivage privé / public permet de concevoir l'apprentissage comme un acte de repersonnalisation des objets culturels au travers des multiples assujettissements institutionnels que connaît la personne.

Ainsi, les positions d'enseignant et d'élève se distinguent par des rapports différents à la durée dans le système didactique.

Chevallard distingue encore

- chronogenèse du savoir, le fonctionnement diachronique du savoir selon le double régime temporel du savoir enseigné et du savoir appris ;

- topogenèse du savoir31, les places respectives de chacun des partenaires de la relation didactique par rapport au savoir en construction, dans la synchronie du système didactique (par rapport au temps objectif)

(a) Ce double régime temporel des savoirs contraint la définition des rôles / tâches / responsabilités respectives dans la construction d'un rapport institutionnel au savoir.

L'enseignant donne une consigne, organise un milieu, pose un exercice ; à l'élève de s'y confronter, de trouver une stratégie, d'appliquer ce qu'il sait. Le rapport au savoir de

31 Ces termes sont empruntés à une anthropologie de langue, par R. Lafont (1978). Pour autant, Chevallard reste peu explicite sur les modalités de cet emprunt. Cela explique en partie la difficile assimilation de ces concepts par ceux qui abordent la théorie, mais aussi l'instabilité /mouvance permanente de leur interprétation chez les différents auteurs qui tentent de s'en servir. De plus, au-delà de la présentation de la théorie de la transposition, Chevallard lui-même n'a pas vraiment continué à faire travailler ces concepts.

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l'enseignant, censé être plus avancé et plus robuste que celui de l'élève, lui confère la légitimité sociale de distribuer les rôles.

(b) Entre la temporalité de l'enseignant et celle de l'élève, il y a non seulement un décalage chronologique (ce que l'un introduit doit être rattrapé cognitivement par l'autre et cela peut prendre un laps de temps plus ou moins important), mais il y a aussi une différence de structure : si le temps de l'enseignement est linéaire (un système d'objets après l'autre), cumulatif et irréversible (globalement on ne revient pas sur ce qui a déjà été enseigné et qui est considéré comme appris), le temps des apprentissages, lui, est réversible. L'intégration d'objets nouveaux oblige à revisiter ce que l'on savait avant, progressant ainsi en spirale.

(c) De par ses possibilités d'anticipation, l'enseignant est le moteur de la chronogenèse. Pour que l'enseignement avance, il est contraint d'imposer le modèle dominant du temps de l'enseignement dans le système didactique, qui, comme on vient de le voir, ne correspond pas au temps des apprentissages, tels que réalisés par les élèves. Le raisonnement est le suivant : l'objet O1 qui a été enseigné à un temps T1 donné, est considéré comme appris à un temps T2, qui correspond à l'introduction d'un objet O2, etc. L'écart entre T1 et T2 est nommé le temps didactique officiel consacré à l'enseignement et à l'apprentissage de O1. C'est un segment du temps d'enseignement qui se pose en fiction d'un temps d'apprentissage, car il ne correspond au mieux qu'à l'apprentissage de quelques sujets, chez lesquels le professeur identifie une certaine évolution dans leur connaissance. L'enseignant est donc le "maître" du temps didactique, car sa position institutionnelle lui confère le pouvoir d'augmenter ou de réduire le débit des objets de savoir présentés aux élèves, et donc d'étirer ou de restreindre les segments de temps d'enseignement. Par la suite, au niveau des modes de régulation du professeur, nous dirons que créer du temps didactique, c'est générer du temps d'apprentissage pour un maximum d'élèves. Mais, globalement, seule la fiction d'un temps de l'enseignement qui contient le temps de l'apprentissage permet de rendre la relation didactique tenable, car il n'est pas envisageable dans un mode d'enseignement collectif de pouvoir étendre le temps didactique au point d'avoir des signes que tous les élèves ont effectivement appris.

O1 O2 O3 O4 O5 O6 etc.

On dispose alors d'une manière de comprendre pourquoi le terme de chronogenèse contient intrinsèquement deux fois la notion de temps (chronos = le temps ; genesis = une évolution, donc forcément par rapport à du temps aussi). La chronogenèse du savoir peut donc être vue comme l'évolution dans le temps officiel du système (le temps d'enseignement), des segments de temps didactique (ou temps d'apprentissage fictif), définis par l'introduction des objets de savoir (la succession de O1, O2, O3, etc. forme le "texte du savoir", selon

Création de temps didactique

Ralentissement du débit des objets de savoir

Restriction du temps didactique Accélération du débit des objets de savoir

Temps de l'enseignement (géré par le professeur)

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Chevallard). D'autre part, la topogenèse (topos = le lieu ; genesis = évolution dans le temps) peut être vue comme l'évolution de la partition des rôles entre enseignant et enseigné, par rapport au temps de l'enseignement, qui fonctionne comme le temps officiel du système.

Cette perspective nous est précieuse pour comprendre les gestes fondamentaux de l'enseignant dans la relation didactique ternaire, gestes que Chevallard (1981) désigne par contraste avec le cas du conférencier, qui parle devant un auditoire pouvant être vu comme l'occasion de déployer un texte du savoir, mais dont la participation n'est pas nécessaire :

"L'orateur y a bien pour tâche de temporaliser du savoir (…), mais le temps du savoir qu'il doit produire n'est pas soumis aux mêmes contraintes que lui vaudrait son intégration à ce titre à une relation didactique authentique. (…) L'auditoire est l'alibi, ou du moins l'occasion de la conférence, plus que le partenaire du conférencier : à la limite, la conférence peut se faire pour un auditoire imaginaire, imaginé, jamais rencontré." (Chevallard, 1981, p61)

Tandis que dans la relation didactique ternaire, il y a nécessité d'intégrer la place de l'enseigné dans le développement temporel des savoirs :

"dans le cahier des charges de l'enseignant (qui n'est pas un simple conférencier), il est inscrit ce "service minimum" : l'enseignant doit désigner, au moins négativement, en creux, en ne l'occupant pas lui-même, un espace que l'élève pourra venir occuper : il doit lui désigner un territoire légitimé d'action au sein de la relation didactique"

(Chevallard, 1981, p62)

Au fondement d'une théorie du fonctionnement de la relation didactique, se trouvent donc les contraintes chronogenétiques et topogenétiques :

"À côté de la contrainte consistant à créer le temps du savoir, que l'on peut appeler la contrainte chronogenétique, l'enseignant est soumis à une contrainte en quelque sorte perpendiculaire à la première, la contrainte topogenétique (du grec topos, lieu) : à chaque instant, ou du moins en chacun des segments de temps qu'il produit, il doit ouvrir le lieu où l'enseigné se "positionnera" par rapport à la progression dans le savoir, engendrée par l'enseignant". (Chevallard, 1981, p62)

Dans cette description, on reconnaît aisément la posture structuro-fonctionnaliste qui caractérise la théorie chevallardienne des institutions didactiques. Elle nous permet d'ores et déjà de noter que la double contrainte chronogenétique et topogenétique scelle conjointement l'action du maître et celle de l'élève, en ce que l'action de l'élève est enchâssée dans l'action chronogenétique et topogenétique de l'enseignant. Nous allons voir dans ce qui suit que l'essentiel des travaux pour construire un modèle de l'action didactique, menés par Schubauer-Leoni, Sensevy et Mercier, va consister à montrer comment le maître et l'élève habitent et perpétuent cette structure.

Chronogenèse, topogenèse et contrat didactique

La dialectique ancien/nouveau et le double rapport au temps du savoir caractérisent la dissymétrie fondamentale de la relation didactique entre le professeur et ses élèves, dans l'espace social et le temps de la classe. Nous allons rappeler comment cette description est compatible avec le fonctionnement dynamique du contrat didactique décrit par Brousseau (1986), ce qui permet de réaffirmer, d’une certaine manière, le fonctionnement stratégique des sujets dans la transposition des savoirs, interne à la classe.

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Au niveau du contrat didactique, le système d’attentes mutuelles qui s’instaure entre l’enseignant et ses élèves face à un enjeu d’apprentissage se joue à deux niveaux :

(a) D’un côté, des règles stables, qualifiées de « pérennes » par Mercier (1988), sont censées installer un climat de confiance dans la relation didactique, de telle sorte que si les élèves savent qu’ils y entrent pour apprendre quelque chose, l’enseignant se doit de proposer des problèmes solvables, où il y a bien quelque chose à apprendre32. Cela fait partie du travail d'institution, tel que Sensevy (1998) l'a décrit, que de définir globalement ce que chaque participant est en droit d'attendre de l'autre. Cette acceptation mutuelle des règles du jeu didactique nous fait voir l'assujettissement à l'institution didactique comme un processus volontaire de la part des participants.

(b) Mais, d’un autre côté, si le contrat était complètement stable, défini en tout point et à tout moment, il ne pourrait y avoir de nouveaux apprentissages possibles. Brousseau souligne le paradoxe essentiel sur lequel repose le contrat didactique dans le cadre de l'adaptation : l'enseignant a l'obligation sociale d'enseigner, mais pour y réussir, il ne peut pas dire à l'élève ce qu'il veut obtenir de lui, sous peine de ne pas obtenir l'effet d'apprentissage escompté. La dynamique d’enseignement/apprentissage suppose l’introduction régulière d’objets nouveaux qui occasionnent des modifications de contrat pour lesquelles professeur et élève vont devoir chercher un nouvel équilibre. Sitôt l'équilibre approché, c’est-à-dire quand l'élève trouve une stratégie qui lui permet de gagner à son jeu sur le milieu (ce que veut l'enseignant), et que l'enseignant perçoit des signes de ce gain de la part de l'élève, un nouvel objet de savoir doit être introduit, afin de maintenir l'intérêt de la relation didactique33. Cette dynamique temporelle de l'enseignement/apprentissage fait dire à Brousseau qu’il s’agit d’une recherche de contrat hypothétique, plus que d'un contrat au sens commun du terme. On a bien, en TDSM, une progression de l'enseignement qui s'articule sur une dialectique ancien/nouveau, productrice de temps didactique dont le professeur est le gestionnaire. Ce qui est enseigné à un moment donné modifie le rapport au savoir que l'élève entretenait avec ses connaissances précédentes. Le jeu du professeur sur le jeu de l'élève avec un certain milieu témoigne aussi de la répartition des rôles dans le contrat. Cependant, cette description correspond à celle d'un enseignant face à un élève épistémique (un modèle de fonctionnement de la connaissance), et c'est pourquoi le temps didactique comme une fiction du temps d'apprentissage ne s'impose pas de la même manière dans la théorie broussaldienne.

32 Un enseignant qui proposerait de façon répétée des problèmes impossibles et/ou absurdes (comme cela a pu être fait expérimentalement et ponctuellement, afin d'observer le fonctionnement du contrat, dans le cadre de la recherche- voir Schubauer-Leoni & Ntamakiliro, 1994)- prendrait le risque de discréditer la relation didactique par une rupture trop forte des règles implicites du contrat didactique.

33 Des études (Chevallard, 1981 ; Mercier, 1992) ont montré que lorsqu'on interroge des élèves sur ce qui fait selon eux "un bon professeur", les élèves répondent en faveur des enseignants qui leur donnent du travail de façon régulière et en quantité raisonnable, et par conséquent, qui sont attentifs à la progression des enseignés.

La relation didactique ne peut être maintenue sans la double intention d'enseigner et d'apprendre comme une forme d'assujettissement volontaire.

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Temps et situation didactique

En construisant des situations qui font rencontrer à l'élève le savoir dans des conditions maximales de didactification (selon une genèse artificielle proche de ses conditions épistémologiques de production de ces savoirs), l'apprentissage, vu comme une adaptation à la situation, a un caractère immanent au temps didactique. Le fait même que l'on puisse attester de phases d'action, formulation et validation qui fonctionnent pour au moins quelques élèves, signe du même coup la réalité de certains apprentissages dans le temps didactique créé par les gestes d'enseignements. Bien sûr, cela n'exclut pas les réarrangements et reconstructions après-coup, dans les interstices des situations didactiques que vit l'élève ; c'est la part de rapport personnel au savoir qu'aucune condition didactique ne peut prétendre contrôler. Mais, sur ce point, la force de la TDSM est de montrer que, à des conditions didactiques qui instaurent un rapport quasi épistémologique à la connaissance, correspond un apprentissage in situ, que l'on peut observer hic et nunc, à l'aide d'un dispositif expérimental, pour quelques élèves tout au moins. Toutefois, ce principe ne s'oppose pas à la théorie du temps didactique comme fiction du temps des apprentissages chez Chevallard : il y a au contraire toute sa place. En effet, repartons du

"texte du savoir" qui, selon Chevallard, retrace la succession des objets de savoir au fil du temps d'enseignement. L'existence du double régime naît du travail de repersonnalisation que les élèves doivent faire à partir du travail de recontextualisation produit par le professeur. Plus cette recontextualisation est faible, c’est-à-dire plus la présentation du savoir est linéaire, et proche des caractéristiques d'un "texte", plus le travail autonome de repersonnalisation par l'élève doit être important, et est potentiellement sujet à des variations d'un sujet à l'autre. Inversement, plus le travail de recontextualisation est fort (pouvant aller jusqu'à la construction de situations didactiques à composantes a-didactiques gérées par le professeur, dans le cadre d'ingénieries didactiques), plus le rapport au savoir de l'élève se rapproche d'un rapport épistémologique et plus l'effort de repersonnalisation par l'élève est facilité. Et, partant, le temps didactique (c'est-à-dire le segment de temps d'enseignement consacré à un objet dans une situation) tend vers une compatibilité avec celui des apprentissages effectifs. Les exemples de situations didactiques sur lesquelles Brousseau appuie sa théorie constituent des cas limites du temps de l'enseignement comme fiction.

La recontextualisation proposée par le professeur (ou la situation didactique, pour le dire à la manière de Brousseau) est un lieu de coconstruction du savoir enseigné entre le professeur et les élèves. D'ailleurs, à propos de la différence entre-temps d'enseignement et temps d'apprentissage, Mercier (2002) rappelle que

" […] un programme d’enseignement ne programme pas les apprentissages que l’épaisseur pratique du texte du savoir (…) rend possible, selon un temps propre à chaque élève observé" (Mercier, op. cit., p.143).

En donnant une "épaisseur pratique" au texte du savoir, Mercier autorise non seulement une variation au niveau du travail de repersonnalisation des élèves, qui n'est pas le même pour tous, en même temps, mais aussi, selon nous, au niveau de l'actualisation du projet du professeur, qui doit composer avec les différentes formes de rapport au savoir que les élèves manifestent, afin de les rendre conformes au rapport institutionnel attendu. Cette épaisseur pratique que désigne Mercier doit être reliée au développement du concept de mésogenèse,

Ligozat, F. (2008). Thèse de doctorat en Sciences de l'éducation. Université de Genève & Aix-Marseille Université [version en ligne]

comme troisième terme descriptif du contrat didactique (voir §2 infra), et sa gestion relève de formes d'ingéniosité didactique (au sens de Sensevy, 2002). Nous y reviendrons dans le cadre de la partie consacrée plus spécifiquement à la mésogenèse et bien sûr, dans le cadre du modèle de l'action conjointe P-Els. Notons simplement, à ce stade, que le régime des savoirs enseignés a une épaisseur qui tend vers :

- un maximum qui nous est révélé de manière expérimentale par les situations didactiques (action, formulation, validation) conçues par les recherches de Brousseau, qui visent à une adaptation épistémologiquement contrôlée de la connaissance des sujets ;

- un minimum qui pourrait être vu comme la situation de confrontation de l'enseigné au texte du savoir dans sa forme brute (c'est-à-dire la lecture des œuvres ou la conférence telle qu'elle se pratique au niveau universitaire, par exemple) ou apprêtée (c’est-à-dire la page du manuel, sans plus d'explications). La repersonnalisation du savoir par l'apprenant est alors laissée en grande partie à sa charge.

Entre ces deux extrêmes, figure le large éventail des pratiques didactiques que mettent en

Entre ces deux extrêmes, figure le large éventail des pratiques didactiques que mettent en