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L'entrée par un domaine de savoir : la mesure

L'application mesure qui permet de réaliser des classes d'équivalences entre objets en leur attribuant un nombre fournit une genèse des structures numériques (entiers, rationnels et décimaux, réels) et permet de donner du sens à la notion de grandeur mesurable. Cette opération a donc un fort potentiel épistémologique qui joue en arrière-plan de la définition des contenus à enseigner. Nous faisons l'hypothèse que non seulement il ne peut y avoir d'impasse sur le domaine des savoirs qui s'organise autour de cette fonction au cours d'une année scolaire, mais encore que ce domaine peut jouer un rôle crucial dans l'ensemble de la progression de mathématique de l'année.

À ce titre, des problèmes incorporant des comparaisons directes ou indirectes d'objets, des actions de mesurage, des systèmes d'équivalence entre unités ou des opérations sur des mesures doivent surgir à un moment ou un autre dans le projet d'enseignement. L'objet sur lequel porte notre enquête est donc voulu comme large au départ, afin de se donner des chances de pouvoir rapporter une organisation didactique effective à une organisation mathématique qui peut être définie théoriquement. C'est bien sûr une hypothèse forte, car nous verrons avec l'étude des programmes et des manuels (cf.- chapitre 4) que les problèmes liés à la mesure sont en général regroupés dans un chapitre, module ou groupe de compétences, aux côtés de "résolution de problèmes" "structure multiplicative", "nombres rationnels et décimaux", "espace et géométrie", etc. Un tel formatage n'aide sans doute pas

Ligozat, F. (2008). Thèse de doctorat en Sciences de l'éducation. Université de Genève & Aix-Marseille Université [version en ligne]

l'enseignant à reconnaître le potentiel épistémique de l'entrée par les problèmes de mesures pour organiser la progression mathématique. Néanmoins, nous laissons cette possibilité ouverte.

L'ambition serait beaucoup plus restreinte si nous nous étions focalisés d'emblée sur des entrées plus spécifiques telles que la mesure de l'aire et du périmètre, la construction d'un système d'unités ou encore l'introduction des fractions. Certes, le recueil de données aurait été moins lourd mais nous aurions pris le risque de focaliser le projet d'enseignement sur un objet qui pourrait tout à coup prendre une envergure inhabituelle dans un temps expansé pour la cause de la recherche. Bien sûr, le fait d'enquêter sur un domaine n'exclut pas ce type de phénomène, mais l'empan de l'objet à observer, la mesure donc, est suffisamment large pour que l'enseignant ne puisse pas tenir très longtemps un surinvestissement. Nous faisons donc l'hypothèse qu'à un moment donné, il devrait s'en remettre à son répertoire de pratiques habituelles, pour des raisons évidentes d'économie et de respect du programme complet qu'il a à mettre en œuvre.

Les contextes institutionnels : France et Suisse romande

Le choix des contextes institutionnels, respectivement français, genevois et vaudois, dans lesquels sont sélectionnées les classes à observer, est pensé pour être porteur de contrastes potentiels du point de vue du découpage des objets d'enseignement, mais aussi des pratiques enseignantes.

Nous ne souhaitons pas développer, ici, un exposé extensif de la structure des différents systèmes éducatifs auxquels appartiennent nos classes, car nous ne visons pas une comparaison anthropologique du fonctionnement des institutions pour elles-mêmes66. Nous indiquons simplement quelques éléments saillants dans la structure de l'enseignement primaire de chacun des systèmes qui nous ont paru jouer un rôle important dans la comparaison, au moment de l'élaboration du plan de recherche. Par la suite, dans les analyses empiriques, nous aurons l'occasion de revisiter les caractéristiques de ces contextes, à travers le discours des enseignants, et donc ce qu'ils perçoivent des contraintes institutionnelles propres à leur système éducatif.

Le cas de la France

En France, pour ce qui est de l'enseignement public, gratuit et obligatoire, il existe un système scolaire unique dont la structure est commune sur l'ensemble du territoire.

L'enseignement primaire comprend trois ou quatre années en classes maternelles (non obligatoires, mais fréquentées par la grande majorité des enfants ayant atteint 3 ans) et cinq années en classe élémentaire (obligatoire à partir de 6 ans). Les enseignants y sont polyvalents et peuvent dispenser toutes les disciplines. Au-delà, c'est l'enseignement secondaire (obligatoire jusqu'à 16 ans) qui prend le relais avec l'entrée au collège unique (filières indifférenciées), où exercent des enseignants spécialistes pour chaque discipline.

66 Ce serait une thèse en soi, qui prendrait en charge les dimensions historiques, politiques et culturelles de l'Éducation dans les pays européens.

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Les directives sur le temps d'enseignement de chaque discipline, les contenus, les objectifs à atteindre pour chaque cycle d'enseignement et des recommandations pédagogiques générales sont définis au plan national par des programmes (MEN67, 2002a), des documents d'application (MEN, 2002b) et des documents d'accompagnement (MEN, 2003). Ce type de documents, qui s'applique à tous les établissements scolaires du territoire (de la maternelle au lycée), émane du ministère de l'Éducation nationale, en accord avec une loi d'orientation pour l'éducation, votée par le Parlement. Pour l'enseignement primaire, les programmes sont déclinés en termes de contenus à enseigner et de compétences à acquérir à l'issue de chacun des trois cycles d'apprentissage suivants68 :

- Cycle 1 (apprentissages premiers ; de 2 à 4 ans, non obligatoire) : Petite et Moyenne Sections de Maternelle ;

- Cycle 2 (apprentissages fondamentaux de 5 à 8 ans) : Grande Section, Cours Préparatoire (grade1) et Cours Élémentaire 1 (grade 2) ;

- Cycle 3 (approfondissements ; de 8 à 11 ans –) : Cours Élémentaire 2, Cours Moyen 1 et Cours Moyen 2 (grade 3-4-5).

Ensuite, d'autres programmes définissent les contenus pour le collège, qui comprend aussi trois cycles :

-Cycle d'adaptation : Classe de 6e (11-12 ans – grade 6) -Cycle central : Classes de 5e & 4e (12 à 14 ans – grade 7-8) -Cycle d'orientation : Classe de 3e (14-15 ans – grade 9)

Tout au long de ces cycles, l'évaluation est continue sur la base d'un dossier scolaire que les enseignants peuvent décider d'adapter. En début de CE2 et début de 6e de Collège, il existe des évaluations nationales à visée informative pour l'institution scolaire. Ce n'est qu'en fin de 3e de Collège qu'apparaît pour la première fois une évaluation de type certificative, le

"Brevet des Collèges". Les enjeux d'orientation vers des formations générales, technologiques ou professionnelles ne se poseront vraiment qu'à l'issue de la classe de 2de au lycée (grade10).

Les écoles primaires (maternelles et élémentaires) françaises sont organisées en circonscriptions, c'est-à-dire un regroupement géographique d'écoles placées sous la houlette d'un Inspecteur de l'Éducation Nationale (IEN). Au-delà de ses nombreuses tâches administratives, sur le plan pédagogique, l'inspecteur est chargé de veiller au respect des instructions officielles (grille horaire, contenus de programme) et d'assurer la formation continue des enseignants sous sa tutelle, avec l'aide de conseillers pédagogiques (CPAIEN).

Il peut impulser des directives pédagogiques (par exemple, sur les modes d'évaluation, les exigences du cahier journal que doit tenir l'enseignant, ou encore le travail personnel de l'élève à la maison), mais cela ne concerne que des manières de faire de portée assez locale.

L'essentiel du travail des structures éducatives départementales et régionales

67 Ministère français de l'Éducation Nationale, noté MEN ci-après.

68 Nous reviendrons plus en détail sur le contenu et la formulation des programmes dans les premiers chapitres de la partie empirique.

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(circonscriptions, académie, rectorat) concerne la gestion administrative des personnels et des élèves. Il n'y a donc pas, en principe, de différences fondamentales dans les pratiques d'enseignement, d'une académie à l'autre ou d'une circonscription à l'autre.

Dans ce contexte, nous soulignons une variable qui est significative pour notre étude : les enseignants ont leurs prérogatives dans le choix des supports, manuels ou méthodologies pour atteindre les objectifs définis par les programmes. À cet effet, les auteurs de manuels (souvent des enseignants, formateurs, conseillers pédagogiques ou inspecteurs) qui sont distribués commercialement se font forts de justifier la compatibilité de leur approche avec les programmes en vigueur. Le libre choix des manuels scolaires constitue une grande part de la "liberté pédagogique" que les enseignants français ont eu à cœur de préserver au fil des réformes.

Le cas de la Suisse romande, spécifié par les cantons de Genève et de Vaud

Côté Suisse romande, l'organisation des enseignements publics, gratuits et obligatoires recouvre des réalités différentes d'un canton à l'autre. Il n'existe pas de système éducatif commun qui soit défini à l'échelle fédérale. En matière d'instruction publique, les cantons demeurent autonomes, moyennant des efforts de coordination entre les cantons concernant l'âge d'entrée à l'école obligatoire, la durée de la scolarité obligatoire, les objectifs des niveaux d'enseignement et les transitions ainsi que la reconnaissance des diplômes69. Chaque canton est donc à regarder comme un contexte institutionnel spécifique, doté de sa propre loi d'orientation scolaire. Il existe néanmoins des instances intercantonales de coordination chargées d'émettre des recommandations et/ou de faire des propositions communes à plusieurs cantons, au niveau des plans d'études, des méthodes et des moyens d'enseignements notamment. Pour les cantons de Suisse romande et du Tessin, ce travail est pris en charge par la Conférence des Directeurs cantonaux de l'Instruction Publique (CDIP / SR+TI) qui définit les Plans d'Études et par la Commission Romande pour les Moyens d'Enseignement (COROME) qui adapte, crée et diffuse du matériel didactique pour les activités en classe dans toutes les disciplines. Cependant, en dernier ressort, les cantons sont libres de spécifier les Plans d'Études à leur structure scolaire, en définissant entre autres les horaires à consacrer à chaque discipline, les cycles d'enseignement et les sous-objectifs qui vont avec, ainsi que les niveaux où se pratiquent des évaluations communes. Ci-dessous, nous détaillons les structures genevoises et vaudoises :

1) Le Département de l'Instruction Publique du canton de Genève se réfère aux Plans d'Études Romands pour l'ensemble de la scolarité obligatoire soit pour les grades 1 à 6 de l'école primaire et pour les grades 7, 8 et 9 du secondaire I. Des objectifs spécifiques sont définis pour chaque discipline selon trois cycles :

- Cycle Élémentaire (de 4 à 8 ans) : Classes enfantines 1RE & 2E [non obligatoire] + Classes Primaires 1P & 2P (grades 1 & 2)

69 En vertu de la Constitution Fédérale de la Confédération de la Suisse du 18 avril 1999 (art. 62). Ces dispositions ont abouti à l'adoption d'un concordat intercantonal sur la coordination scolaire (29 octobre 1970) et d'une structure exécutive chargée des travaux d'harmonisation (Conférence suisse des Directeurs cantonaux de l'Instruction Publique)

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- Cycle Moyen (de 8 à 12 ans) : Classes primaires 3P, 4P, 5P, 6P (grades 3-4-5-6)

- Cycle d'Orientation (de 13 à 15ans) : Classes de 7e, 8e, 9e, spécifiées par des niveaux A, B, C (grades 7-8-9)

Pour les cycles Élémentaire et Moyen, les enseignants sont polyvalents, ce n'est qu'à partir du Cycle d'Orientation (CO) que des enseignants spécialistes d'une discipline interviennent.

Des évaluations certificatives existent au niveau de la 2P, de la 6P et ensuite pour chaque année du Cycle d'Orientation. Ces évaluations se fondent en partie sur des épreuves cantonales communes, et sur le livret scolaire qui suit l'élève.

2) Le Département de la Formation et de la Jeunesse du canton de Vaud se réfère aussi aux Plans d'Études Romand pour l'ensemble de la scolarité obligatoire soit pour les degrés 1 à 4 de l'école primaire, pour les degrés 5 et 6 dits "de transition" et pour les degrés 7, 8 et 9 du secondaire I. De plus, un Plan d'Étude Vaudois (PEV) définit des compétences associées aux objectifs fondamentaux présents dans les Plans d'Étude Romands, selon cinq cycles : - Cycle Initial (de 4 à 6 ans, non obligatoire) : Classes enfantines

- Cycle Primaire 1 (de 6 à 8 ans) : Classes 1 & 2 (grades 1 & 2) - Cycle Primaire 2 (de 8 à 10 ans) : Classes 3 & 4 (grades 3 & 4)

- Cycle (secondaire ; de 10 à 12 ans) de Transition : Classes 5 & 6 (grades 5 & 6)

- Voies Secondaires 7, 8 et 9, qui sont organisés en filières préprofessionnalisantes (VSO), générales (VSG) ou études longues (VSB).

Pour les cycles Initial et Primaire, les enseignants sont polyvalents alors que des enseignants semi-spécialistes (enseignement de 2 ou 3 disciplines) interviennent dès le Cycle de Transition. Des évaluations cantonales de références sont pratiquées à l'issue des classes 2 et 4 des cycles primaires ; elles n'ont qu'un impact informatif. En revanche, des épreuves cantonales de référence, donc certificatives, sont utilisées pour l'orientation des élèves en fin de Cycle de Transition.

De ce portrait rapidement brossé, nous retiendrons que les élèves genevois et vaudois sont tous soumis aux mêmes Plans d'Études Romands, et aux mêmes Moyens d'Enseignements (manuels). Les enseignants genevois et vaudois sont censés utiliser ces Moyens pour une grande part de leur enseignement. En revanche, des objectifs spécifiques, différents d'un canton à l'autre, leur sont assignés et pour un même degré de scolarité obligatoire, les enjeux peuvent ne pas être identiques. Ainsi, au grade 6, un élève genevois est toujours en primaire avec un enseignant généraliste, et se prépare à une évaluation certificative dont l'issue aura un impact sur le type de classe dans laquelle il va être accueilli au CO (niveau A, B ou C).

Alors qu'au même degré, l'élève vaudois est déjà dans un établissement de type secondaire, avec plusieurs enseignants semi-spécialistes pour certaines disciplines. Son orientation quasi définitive vers des études longues ou courtes aura lieu l'année suivante.

Cette diversité des contextes institutionnels dans la zone frontalière franco-suisse crée des macro-conditions expérimentales "naturelles" pour notre étude, où les faits sont examinés

"toutes choses n'étant pas égales par ailleurs".

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En choisissant d'observer :

- deux classes françaises pouvant utiliser des manuels différents, mais se référant à un même programme,

- une classe genevoise et une classe vaudoise, utilisant les mêmes Moyens d'enseignement imposés, mais selon découpage en objectifs différents,

nous pensons créer les conditions d'une comparaison de pratiques d'enseignement et d'apprentissage que nous pouvons rapporter à des contraintes institutionnelles tantôt similaires, tantôt différentes. Nous parlons donc de "contexte institutionnel" pour chaque classe observée, car nous voulons étudier l'action didactique en tenant compte de ses arrière-plans institutionnels.

Nous faisons l'hypothèse que ces contrastes peuvent nous servir à distinguer les dimensions génériques de l'action professorale liées à des modes de transposition communs aux contextes français et suisse, et des formes d'action professorale plus spécifiques liées à des contraintes institutionnelles locales. Notons toutefois qu'en choisissant des classes françaises et des classes suisses romandes, nous restons dans un milieu francophone et dans des modèles culturels semblables du point de vue socioéconomique. Cela évite une trop grande dispersion des conditions d'observation, qu'une approche qualitative seule, basée sur l'étude de cas des systèmes didactiques, ne pourrait contenir.

Du point de vue de la formation des enseignants, entre les trois contextes, l'hétérogénéité de la formation requise et des modes de recrutement est de mise. Au moment de notre étude, les conditions en vigueur sont les suivantes :

- en France, les enseignants du primaire portent le titre de Professeur des Écoles. Ils sont recrutés au niveau des Inspections Académiques départementales, avec des exigences définies au plan national par le ministère de l'Éducation nationale. Ils sont titularisés à la suite de 5 années d'études, dont trois années de formation universitaire dans une discipline académique de leur choix (Licence ou titre équivalent), auxquelles s'ajoutent deux années de formation professionnelle en Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM). Le recrutement se fait entre la première et la deuxième année d'IUFM sur la base d'un concours sélectif, où le nombre d'admis est fonction du nombre de postes offerts dans l'académie où a lieu la passation. Dans ce cadre, les enseignants sont fonctionnaires d'État avec un statut particulier70.

- dans le canton de Genève, les enseignants portent le titre de Maître(sse) Enfantine ou du Primaire. Ils sont recrutés par la Direction générale de l'Enseignement Primaire sur entretien, à condition qu'ils soient porteurs de la Licence en Sciences de l'Éducation, mention "Enseignement"71, délivrée au terme de quatre années d'études, par la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation à l'Université de Genève. Ils sont titularisés à la

70 Ils ont la garantie de l'emploi à vie, sauf en cas de manquement grave à leurs obligations. En revanche, leur formation professionnelle en IUFM ne vaut que dans le cadre du recrutement par concours. S'ils viennent à démissionner de l'Éducation Nationale, il leur faut repasser le concours pour pouvoir reprendre une fonction d'enseignant.

71 À l'heure où nous écrivons, ces dispositions sont en passe d'être modifiées.

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suite d'une période probatoire de trois années. D'autres diplômes équivalents à la Licence peuvent être acceptés, moyennant une formation en emploi pendant les premières années.

- dans le canton de Vaud, les enseignants portent le titre de Maître(sse) Enfantine ou Instituteur(trice). Ils sont recrutés au niveau des établissements scolaires par le conseil de direction et nommés par les communes. En principe, ils doivent être diplômés d'une Haute École Pédagogique (HEP Vaud) au terme d'une formation professionnelle, se déroulant sur trois années. D'autres diplômes peuvent être acceptés de cas en cas.

Nous n'attacherons pas trop d'importance à ces distinctions actuelles, car en fonction de l'ancienneté des personnes, les parcours sont différents, les exigences de formation ayant beaucoup évolué sur le temps d'une génération. Dans la présentation des données, nous déclinerons succinctement les types de formation de chaque enseignant enquêté, et nous pointerons des différences si cela apporte des éléments au niveau des analyses.

Les degrés scolaires ciblés : grades 4 / 5

Le choix des degrés observés est dicté par des considérations de l'ordre du découpage des contenus à enseigner, mais aussi des contraintes institutionnelles qui existent dans chaque contexte étudié.

(a) Les recherches longitudinales de Fluckiger & Brun (2005), qui ont travaillé sur une population d'élèves de primaire genevois, nous montrent que c'est à l'articulation des degrés 3P-4P-5P que semblent s'opérer des changements conceptuels importants dans la pratique du mesurage et le recours aux unités de mesure pour effectuer une comparaison, dans le cas du problème "les deux distances" (cf. Chapitre 4).

"Plusieurs aspects constitutifs de la notion de mesure ont pu être identifiés : la quantification comme première étape de ce qu'est la mesure, la comparaison entre deux longueurs, le fractionnement de la longueur (ou distance) à mesurer, la stabilité de l'unité reportée. En parallèle de cette constitution de la notion d'unité, la dimension

"unités légales" est progressivement investie : cet aspect totalement envahissant lors de l'apprentissage scolaire de ces unités (essentiellement au niveau 3P) peut être ensuite désinvesti pour utiliser des unités éventuellement plus pertinentes dans l'action. C'est essentiellement à partir de la classe de 5P que les élèves peuvent utiliser de façon adéquate une unité arbitraire lorsque celle-ci permet un raisonnement plus économique." (Flückiger & Brun, 2005, p398)

En accord avec le cadre des recherches de Flückiger & Brun, nous interprétons ces constats non comme les seuls faits d'une évolution psychologique de l'enfant, mais aussi comme le signe que des "choses importantes" se passent du côté des enseignements auxquels ces enfants/élèves sont confrontés. De l'avis même de ces auteurs, l'observation chez les élèves de 3P, de l'expression des mesures de distances (réalisées à l'aide d'une baguette non graduée) par un nombre auquel est associée plus ou moins arbitrairement une unité conventionnelle (mètre, centimètre) va de pair avec une systématisation du travail des unités légales à l'aide du double décimètre, toise, mètre ruban, etc. Le degré 3P serait donc le niveau scolaire de l'enseignement de la notion d'unité, mais en réalité, le couple nombre &

unité ne semble opérationnel, pour résoudre un problème de comparaison indirecte, qu'un peu plus tard, en 4P, et plus massivement en 5P.

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Au-delà de l'idée que "mesurer, c'est produire un nombre", qui serait présente dès les premiers degrés scolaires, les auteurs font référence aux travaux piagétiens (Piaget, Inhelder, Szeminska, 1948), pour conforter l'idée que le concept d'unité se construit dans un double aspect de fractionnement de la longueur totale (mise en correspondance des extrémités de l'objet à mesurer avec coïncidence des extrémités définies par les reports de l'objet à mesurer) et de régularité de ce fractionnement, qui confère sa permanence à l'unité pendant l'opération de mesure. Nous ne chercherons pas à discuter cette vision développementale de la construction de l'unité qui trouve ses justifications dans le cadre des études psychologiques de l'apprentissage. Cependant, du point de vue didactique qui est le nôtre, force est de constater que c'est précisément dans les degrés 4P et surtout 5P que sont abordés des problèmes de fractionnement et de recherche de rapports entre des grandeurs de type longueur ou aire, en vue de travailler les fractions et les nombres décimaux à leur suite, mais aussi la division. Ainsi, nous envisageons l'hypothèse que le "saut" conceptuel que

Au-delà de l'idée que "mesurer, c'est produire un nombre", qui serait présente dès les premiers degrés scolaires, les auteurs font référence aux travaux piagétiens (Piaget, Inhelder, Szeminska, 1948), pour conforter l'idée que le concept d'unité se construit dans un double aspect de fractionnement de la longueur totale (mise en correspondance des extrémités de l'objet à mesurer avec coïncidence des extrémités définies par les reports de l'objet à mesurer) et de régularité de ce fractionnement, qui confère sa permanence à l'unité pendant l'opération de mesure. Nous ne chercherons pas à discuter cette vision développementale de la construction de l'unité qui trouve ses justifications dans le cadre des études psychologiques de l'apprentissage. Cependant, du point de vue didactique qui est le nôtre, force est de constater que c'est précisément dans les degrés 4P et surtout 5P que sont abordés des problèmes de fractionnement et de recherche de rapports entre des grandeurs de type longueur ou aire, en vue de travailler les fractions et les nombres décimaux à leur suite, mais aussi la division. Ainsi, nous envisageons l'hypothèse que le "saut" conceptuel que