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i) Des temporalités du projet qui se confrontent

Le projet possède plusieurs temporalités, de nature différente voire contradictoire. Xavier Schramm (2003) ne peut évoquer la temporalité du projet sans évoquer son versant spatial, cependant : le projet procède, en effet, d’une double temporalité spatiale, celle de l’ici conjugué au maintenant et celle de l’ailleurs et du plus tard (SCHRAMM, 2003, p.133). Ce sont deux étapes aux significations différentes qu’il s’agit de lier. La première fait appel à une réalisation présente, une projection, tandis que la deuxième évoque la modification d’une situation présente, une transformation, une réalisation future. Le lien constitue ce passage d’un constat statique d’une situation présente vers le désir de transformation et de modification de cette situation (SCHRAMM, 2003). Jean-Pierre Boutinet (2004) affirme aussi que le temps ne peut être séparé de l’espace, et ce caractère indissociable du lien unissant ces deux notions passe par l’explication du mouvement dans l’espace. Le temps ne peut, selon lui, être pensé sans cette mesure dans l’espace d’une transformation :

« (…) il [le temps] ne peut être pensé sans lui [l’espace] puisqu’il se mesure toujours à travers un mouvement, c’est-à-dire un déplacement dans l’espace ou une certaine

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transformation de ce dernier ; la durée renvoie au sentiment que je prends à la suite d’une modification de mon espace qui se laisse plier à mes exigences ou qui me résiste » (BOUTINET, 2004, p. 68).

En ce sens, Jean-Pierre Boutinet traduit une conception spatialisée de la durée, conception remise en cause par Henri Bergson, l’opposant à une pure durée, hétérogène et qualitative101. En dépit de cette nuance à apporter sur la conception du lien entre temps et espace, il s’agit surtout de mettre en avant l’idée d’un projet (compris dans ses différentes acceptations) comme figure de l’anticipation. Xavier Schramm, dans cette distinction qu’il met en exergue évoque finalement l’exercice d’une anticipation appliquée à un espace.

Le projet concrétise aussi un temps vécu ambivalent, partagé entre la simultanéité et la succession (BOUTINET, 2004). La simultanéité s’offre dans le moment présent qu’elle met en perspective par rapport à un passé à réactualiser et un futur à anticiper. La succession va plutôt désigner un itinéraire plus ou moins cohérent, traduisant un temps fugitif mobilisant un passé révolu, un présent immédiat et un futur surgissant comme fuite en avant. Cette bipartition du temps entre simultanéité et succession fait ainsi elle-même intervenir une structure tridimensionnelle déjà évoquée, c’est-à-dire celle des liens entre passé, présent et futur102. Si nous nous plaçons dans le registre de l’action103, la succession vécue s’exprime de façon opposée par la mémoire et par l’anticipation, c’est-à-dire par un temps rétrospectif et un temps prospectif. Cependant, l’acteur ne peut se limiter à ces deux horizons temporels qui risquent de l’enfermer dans l’inactuel, et finalement de ne pas agir. C’est en fait l’expérience de la simultanéité, celle du moment présent, qui permet le temps de l’action :

« Il n’y a donc de projet que dans la simultanéité du moment présent et dans la capacité de ce dernier sans se laisser anéantir de s’ouvrir vers l’inactuel, cet inactuel qui permet d’évoquer ce qui déjà a été fait, qui permet aussi d’ébaucher des possibles » (BOUTINET, 2004, p. 62).

La simultanéité permet l’appréhension d’un passé et d’un futur autour du moment présent. L’unificateur de la mémoire et de l’anticipation va passer à la fois par l’action et par l’expérience (BOUTINET, 2004). L’action évite le morcellement des entreprises de l’acteur en plusieurs instants tandis que l’expérience, même si elle échappe en partie à l’acteur, récapitule la somme des réalisations passées et des souvenirs. D’un côté, projet et action sont indissociables : le projet présuppose l’action, au sens où il engage l’idée d’une réalisation à venir ; l’action induit aussi le projet, au sens où ce dernier constitue son moment fondateur (BOUTINET, 2004). De l’autre, l’action s’appuie aussi sur l’expérience dont la métaphore du

grenier sert à illustrer ce temps vécu entassé et désordonné nécessitant une explicitation :

« Il y a dans l’appropriation que le projet va faire du temps une sorte de travail d’antiquaire qui cherche à débusquer pour le dépoussiérer l’objet anciennement idéalisé. Les idéaux projetés sont toujours en effet l’occasion d’une lecture renouvelée de l’expérience passée » (BOUTINET, 2004, p. 66).

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Cf. III. A. a. i) pp. 111 – 112. 102 Cf. III. A. a. v) pp. 119 – 121.

103 Jean-Pierre Boutinet (2004) met en avant pour l’action une double appréhension : une préparation de l’action par l’intermédiaire du projet et une concrétisation de l’action à l’aide des stratégies développées au sein du projet.

En ce sens, le projet n’est pas loin d’une forme d’activité, le bricolage, décrit par Lévi-Strauss (1962) par l’intermédiaire d’une distinction entre deux figures, celles du bricoleur et de l’ingénieur. Le bricoleur s’ingénie avec les moyens qu’il trouve, qu’il inventorie, qu’il réutilise, et résultant d’une pratique antérieure différente (son expérience), à construire et élaborer son objet :

« (…) son univers instrumental [celui du bricoleur] est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les moyens du bord, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » (LÉVI-STRAUSS, 1962, p. 27).

L’ingénieur se trouve dans une logique de distanciation par rapport à une nature dont il envisage la transformation afin de lui donner sens, selon un ensemble d’instruments préalablement conçus ou procurés spécialement dédiés à la réussite de cette transformation. Cependant, cette distinction opérée par Lévi-Strauss (1962) n’apparaît pas non plus aussi tranchée. L’auteur reconnaît que l’ingénieur « (…) lui aussi devra commencer par inventorier un ensemble prédéterminé de connaissances théoriques et pratiques, de moyens techniques, qui restreignent les solutions possibles » (Ibid., p. 29). L’ingénieur adopte donc la démarche rétrospective du bricoleur. Cependant, cette distinction entre bricoleur et ingénieur, si elle n’est pas aussi tranchée, traduit toujours une certaine différence, même si cette dernière est toute relative. Cette distinction n’est pas non plus étrangère aux deux façons de considérer le projet104, soit dans sa version de processus, lorsqu’il s’agit de faire avec les moyens du bord, selon les opportunités offertes du moment, et d’assurer tant bien que mal la maîtrise continuelle de ce processus, soit dans son ancienne version strictement opératoire, avec l’intervention d’un ensemble d’outils prédéfinis, de procédures à appliquer, c’est-à-dire un ensemble de moyens déterminés, répondant de façon adéquate et sur mesure à une logique d’exécution des objectifs plutôt que celle d’une composition opportune avec des éléments disparates et plus ou moins adéquats pour élaborer un projet vu comme souple et adaptable.

Dans le cadre de l’appréhension des dimensions temporelles des projets choisis comme cas d’étude, nous mettrons plutôt en avant l’idée de succession, mais dans une optique différente : il s’agit de porter notre regard sur le passé des projets, en retraçant leurs parcours temporels. Nous ne serons donc pas dans la simultanéité impliquée par le temps de l’action.

Le temps vécu du projet n’a de sens que par rapport à l’acteur. A l’échelle individuelle, l’acteur se retrouve personnellement en prise à cette structure temporelle tridimensionnelle que nous avons déjà décrite, entre sa perception du passé, du présent et du futur. Par ailleurs, concernant cet acteur engagé dans le projet105, ce dernier peut se référer à une échelle temporelle qui n’est pas la même que celles des autres acteurs. Ces temporalités

d’acteurs présentes dans le projet se révèlent difficiles à concilier (entre l’urbaniste, l’élu,

l’aménageur ou le promoteur, par exemple). Le projet urbain illustre bien la confrontation de ces temporalités du fait de sa complexité et du nombre d’acteurs qu’il mobilise (BOTTA et

104 Cf. chapitre I sur la définition du projet.

105 Ici, le projet sera entendu comme un projet de nature collective, c’est-à-dire impliquant une multiplicité d’acteurs, à la différence du projet personnel (le projet professionnel, par exemple).

SIMON, 1998). Par exemple, un des points d’orgue de la perception du temps de l’élu sera celle du terme plus ou moins proche de son mandat et de la modulation des thèmes de sa communication en fonction de cette échéance (BOTTA et SIMON, 1998). L’urbaniste, quant à lui, s’inscrit dans une vision esthétique ou fonctionnelle à long terme de la ville : il imagine un état futur idéalisé de la ville dont l’achèvement reste, cependant, purement théorique (BOTTA et SIMON, 1998). L’aménageur, maître d’ouvrage dédié à la transformation de l’espace urbain, pour le compte de la collectivité, s’inscrit dans un rôle d’opérateur, selon un cadre contractuel fixant une durée et définissant un espace (BOTTA et SIMON, 1998). Enfin, le promoteur possède un raisonnement à deux temps : d’abord, à l’échelle du temps de réalisation de chaque programme bâti, ensuite, au niveau de l’expérience gagnée suite à la réussite d’une première opération pouvant ensuite servir à enrichir la suivante (BOTTA et SIMON, 1998). Chaque acteur du projet urbain a ainsi une notion du temps qui lui est propre et évolue en fonction d’elle. Ces différentes temporalités sont contradictoires et l’enjeu du projet urbain sera de trouver l’articulation entre ces temporalités :

« Le cadre structurel du temps, sensiblement différent pour chacun des membres du groupe de projet, conduira à une confrontation puis à un consensus ou un arbitrage sur un projet d’ensemble » (BOTTA et SIMON, 1998, p. 139).

Un acteur peut d’ailleurs jouer le rôle d’arbitrage dans la recherche de ce compromis : dans le cadre d’une initiative publique, ce sera l’élu qui devra servir d’arbitre s’il n’y a pas de consensus à l’œuvre dans le projet urbain (BOTTA et SIMON, 1998). Le rapport au temps vécu par les acteurs impliqués dans le projet diffère aussi de celui des habitants. Un des autres enjeux du projet urbain consistera à savoir intégrer ce temps vécu de l’habitant dans la constitution du projet, afin de permettre son appropriation par le futur usager. Un projet trop éloigné de ce temps de l’usager a une forte probabilité d’être par la suite rejeté :

« Un projet trop ambitieux, calé sur un état urbain hors de l’échelle du temps de l’usager, présente une plus forte probabilité de rejet qu’une intervention développée par étapes successives prenant en considération la vie quotidienne du quartier avant, pendant et après les phases de chantier » (BOTTA et SIMON, 1998, p. 139).

A terme, c’est la question de l’appropriation du projet par les habitants qui est posée. Cependant, cette approche du temps de l’usager ne doit pas faire oublier que la relation entre projet et habitant n’est pas orientée dans un seul sens. Si les temporalités de la ville, sont un enjeu de pouvoir et sont donc manipulables106, elles peuvent contribuer à influencer, voire à modifier ce temps de l’usager. Par exemple, les horaires d’un nouveau musée installé dans un ancien bâtiment industriel réhabilité en succédant aux anciens horaires de travail, changent la pratique du bâtiment, pratique à laquelle les habitants, les usagers de la ville, avant le projet, n’étaient pas encore confrontés107.

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Cf. III. B. c. pp. 135 – 137.

107 Cf. III. C. a. iii) et iv) pp. 144 - 149, concernant la temporalité de l’objet architectural comme déformation du temps vécu de l’habitant et l’exemple du projet des Halles. Les cas d’étude constituent un autre exemple de modification de ces temporalités d’origine, sous l’influence des nouveaux usages des bâtiments en friche à réhabiliter : par exemple, cf. VIII. A. a. iii) pp. 441 – 444.

ii) Des temporalités contrastées aux temporalités réconciliées : le cas de l’ingénierie concourante

Les temporalités du projet héritent aussi de la distinction déjà évoquée entre l’ancienne conception statique de la dimension temporelle de l’opération d’aménagement, et celle d’une dimension temporelle dynamique du projet108. Ces temporalités s’inscrivent ainsi dans ce passage de l’urbanisme réglementaire au projet urbain, c’est-à-dire d’une planification linéaire à un processus qui se veut souple et adaptable (EVETTE, 2005). Cette transformation se vérifie aussi dans les modes de conduites à projets, par exemple dans le cadre du projet urbain. Dans le constat du dessin d’une nouvelle culture du projet urbain, Jean-Jacques Terrin (2005) met en avant un projet progressif, faisant intervenir la société civile : l’élaboration du programme se fait au fur et à mesure de l’avancement de la conception du projet ; l’affinement des stratégies et la validation ou non des objectifs s’inscrivent dans une formalisation graduelle du projet alimentée par les débats entre élus, techniciens et habitants. Cette élaboration progressive, marquée par les nouvelles techniques de représentation, de modalisation et de simulation, n’est pas la simple description d’un objet à réaliser mais avant tout un objet de débats et de négociation, le moyen d’appréhension de situations urbaines par l’emploi de données mesurables et d’un recueil iconographique fait d’images, d’analogies et de métaphores qui concourent à créer une ambiance109 : le projet suscite un imaginaire et raconte une histoire110 (TERRIN, 2005). Dans cette formalisation progressive du projet, la coupure traditionnelle entre conception et réalisation est aussi dépassée : la conception, par rapport à une commande d’un maître d’ouvrage prescriptif, se doit de prendre en compte le plus en amont possible la durée de vie et l’usage de l’ouvrage concerné :

« (…) c’est au niveau des phases de définition du projet que l’on découvre sans doute le plus d’éléments d’une nature nouvelle, décrivant un ensemble de performances et de qualités environnementales, se déclinant le plus souvent en termes d’ambiances et de confort, de maîtrise énergétique, de durabilité, voire de gestion patrimoniale » (TERRIN, 2005, p. 103).

Le concepteur doit ainsi composer en amont avec des éléments traditionnellement placés en aval, c’est-à-dire les exigences issues de l’usage (confort, sécurité et santé, entretien, maintenance et éventuel recyclage du bâtiment, par exemple). Cela est particulièrement visible pour la prise en compte des phénomènes d’ambiance : des expertises liées à l’application de nouvelles techniques d’évaluation par la modélisation de ces phénomènes, ont plusieurs rôles, celui d’aide à la décision (dans le choix d’un scénario par rapport à un autre)

108 Cf. chapitres I et II. 109

L’ambiance est définie par Jean-Jacques Terrin comme « (…) l’image mentale d’un lieu qu’un individu construit avec sa propre sensibilité, son comportement, son attitude vis-à-vis des autres » (TERRIN, 2005, p. 106). La perception des phénomènes d’ambiance recoupe à la fois l’ordre du sensible, de l’interprétation et de la représentation ainsi que l’ordre du social et du culturel. Jean-François Augoyard la rapproche plutôt d’un « dispositif artificiellement produit (créer une ambiance, musique d’ambiance) » (AUGOYARD, 1979, p. 107). Cependant, elle s’inscrit dans un ensemble plus vaste, celui « (…) des impressions qui entoure l’instant vécu » (Ibid., p. 107), ou encore parmi ces « sensations de nature diverses [qui] convergent et donnent au monde habité une atmosphère bien particulière, qui transforme l’apparente immobilité architecturale » (Ibid., p. 110). Ce mélange sensoriel s’accompagne aussi d’une tonalité affective liée à l’intervention de l’imaginaire de l’habitant ou de l’usager (Ibid.).

110 A ce titre, cet imaginaire amène à l’idée d’une narration, évoquée dans le parallèle effectué entre architecture et narrativité par Ricoeur ou encore, dans les réflexions antérieures faites sur les temporalités de la ville : cf. III. B. a. pp. 130 – 131.

et celui de simulation dès la phase amont du projet de ces phénomènes physiques d’ambiance (TERRIN, 2005).

Ce dépassement de la coupure entre conception et réalisation n’est pas sans rappeler l’ingénierie concourante, nouveau modèle de structuration du projet (dans ce cas, du projet d’entreprise) ayant eu lieu dans les secteurs industriels, succédant à l’uniformisation et à la standardisation des produits (ARAB, 2001). Celle-ci, en réaction à un marché instable et incertain, peu propice à l’organisation traditionnelle de l’activité productive selon une division du travail par des tâches spécialisées orientée vers les réductions des coûts et des temps de production, se propose de transformer cette activité de production et de considérer l’activité de conception comme étant tout aussi stratégique :

« Rapidement, la question de l’efficacité des processus de conception devient aussi importante que l’a été celle de l’efficacité des processus de production (réalisation) » (ARAB, 2001, p. 67).

Le modèle de l’ingénierie concourante est une méthode visant à optimiser la phase de conception du projet d’entreprise : il s’agit d’associer le plus en amont possible l’ensemble des points de vue liés au produit, les fonctions de production, de marketing, de vente et de maintenance aux choix opérés (ARAB, 2001). Ce modèle s’apparente donc à un travail collectif de négociation et de coopération, prenant en compte l’ensemble des points de vue internes et externes à l’entreprise, en vue de définir le produit (ARAB, 2001). Les usages et les contraintes liées au produit sont donc envisagés dès sa conception. L’ingénierie concourante vise ainsi une innovation organisationnelle, se basant sur un acteur projet (le chef de projet, par exemple) censé porter le développement du produit à construire, et mobilisant un croisement de points de vue pouvant être conflictuels (ARAB, 2001). En aménagement urbain, l’influence de ce modèle se vérifie. Dans un contexte de mutation des enjeux urbains (développement local, renouvellement urbain, solidarité, par exemple), due aux crises économiques et sociales, de concurrence entre territoires et de désengagement de l’Etat, une remise en cause du modèle classique de production urbaine a eu lieu : le modèle classique apparaît alors comme « (…) un système cloisonné, sectoriel, linéaire, hiérarchique et standardisé » (ARAB, 2001, p. 76). A ce modèle classique, répond une pensée urbaine contemporaine qui met en avant une action collective construite et fondée sur la coopération le plus en amont possible, c’est-à-dire dès la formulation des problèmes et sur la négociation des finalités de l’action (ARAB, 2001). Cette pensée urbaine part d’une appréhension transversale de la ville, dans la réflexion sur les interactions entre problèmes et situations urbaines, d’une définition collective des solutions passant par la coopération et d’une conduite des opérations prenant en compte l’incertain (Ibid.). Finalement, l’évolution du processus de conception s’apparente à un travail d’ordre collectif, qui pose la question du cercle d’acteurs à mobiliser pour ce processus. François Lautier évoque aussi, dans son analyse sur l’évolution de la maîtrise d’ouvrage, le cas d’objets de la maîtrise d’ouvrage de plus en plus définis par l’aval :

« Ainsi, fréquemment, des architectes mais aussi des techniciens et experts de différentes disciplines participent-ils, par exemple à travers la formule au demeurant ambiguë d’assistance à maîtrise d’ouvrage, à ces élaborations préalables [c’est-à-dire les études de faisabilité, d’analyse des risques, des esquisses et de tout autre moyen concernant l’élaboration de l’ouvrage] (LAUTIER, 2005, p. 60).

La maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre peuvent être aussi du ressort des mêmes personnes, adoptant des statuts différents suivant le déroulement du projet. Une certaine malléabilité des modes d’intervention, la mobilité des positions de chacun se constate. François Lautier en vient à reconnaître plutôt l’existence d’une maîtrise d’ouvrage, comme activité, plutôt qu’un maître d’ouvrage personnifié : l’activité de maîtrise d’ouvrage s’inscrit dans le processus d’élaboration du projet et constitue en elle-même un processus continu (sans début ni fin) plutôt que la réalisation d’objets successifs (LAUTIER, 2005).

Ainsi, le processus de projet, dans le cadre du projet urbain, dépasse cette coupure traditionnelle existant entre la conception et la réalisation. Cela se vérifie pour des projets en apparence plus déterminés (comme les projets portant sur un bâtiment). Le cas d’étude que nous analysons plus loin, celui de la Sucrière, par exemple met en avant une utilisation du bâtiment désaffecté (par la mise en place d’événementiels) alors que le projet n’est pas encore terminé111.

iii) La distinction temporelle entre l’œuvre architecturale et le projet urbain

La distinction est souvent faite entre l’œuvre architecturale et le projet urbain au niveau temporel. Cette distinction, cependant, s’érigeant sur la traditionnelle confrontation entre les approches disciplinaires architecturales et urbanistiques, possède un certain nombre d’ambigüités. Cette distinction ne doit pas faire oublier les liens étroits existants entre ces deux types de projet : le découpage procédé par Patrizia Ingallina (2003) concernant le projet