• Aucun résultat trouvé

IV. La retranscription de la dimension temporelle

du projet

Dans ce chapitre, nous détaillons les retranscriptions des dimensions temporelles des projets existantes, à travers l’exploitation d’études réalisées sur des projets d’urbanisme, mais aussi à travers le décryptage critique des découpages généraux servant de guides à la constitution d’un futur projet proposés par certains auteurs. Au final, il s’agit de révéler en quoi ces retranscriptions sont problématiques dans le décalage qu’elles opèrent au niveau temporel par rapport à un projet considéré comme processus et saisie d’une réalité donnée.

Dans un premier temps, nous nous attachons à placer ces retranscriptions de la dimension temporelle du projet, parfois partielles, parfois absentes, mobilisant des représentations ayant du mal à échapper à une conception de la dimension temporelle du projet lissée, linéaire, homogène, par rapport à une logique de rationalisation dominante après-coup qui est à l’œuvre en planification ou dans ces tentatives de retranscription des dimensions temporelles des projets. Cette perspective générale nous permet d’annoncer ensuite notre distanciation critique.

Cette distanciation critique met en avant le positionnement de l’acteur par rapport à la dimension temporelle du projet, acteur qui peut éprouver la nécessité de se repérer dans ce processus que constitue le projet par l’intermédiaire de différentes sortes de retranscriptions orales et écrites de la dimension temporelle du projet. Cet acteur est confronté à plusieurs obstacles rendant difficiles ce repérage : retranscriptions très succinctes ou parfois absentes des dimensions temporelles des projets dans les documents de planification dans un contexte de crise des grands récits de l’aménagement territorial et urbain, intervention d’un temps vécu dans les retranscriptions des dimensions temporelles du projet entraînant une déformation subjective. La distanciation critique que nous mobilisons à ce point de notre travail a ainsi une visée pratique, répondant au besoin de clarification du processus de projet, à un besoin de repérage de l’évolution du projet.

Cette distanciation critique révèle aussi un manque d’une analyse fine du projet au niveau de sa dimension temporelle. Ce manque est à placer par rapport à ce que Michel Lussault évoque, c’est-à-dire l’idée que le temps « (…) est souvent un relatif impensé des recherches sur l’action locale » (LUSSAULT, 2001, p. 145). Lorsque celui-ci est pris en compte, ce temps est alors souvent ramené à la durée, « (…) purgé de sa complexité sociale et présenté tel un simple cours scandé, qui détermine un agenda qu’il faut respecter » (Ibid., pp. 145 - 146). La conception dominante du temps dans ces études urbaines est, selon Michel Lussault, toujours celle d’un déroulement chronologique linéaire simple, inscrite dans une forme de finalisme historique : il est extérieur aux sociétés et aux hommes et remplit la fonction de marquage chronologique de l’évènement.

A.Cadre général de la retranscription de la dimension temporelle

du projet : post-rationalisation et mise en cohérence après - coup

Il s’agit, ici, de voir que la pratique urbanistique, et par conséquent, celle du projet, qui se veut rationnelle est, en fait, influencée et conduite selon une démarche de post-rationalisation et de mise en cohérence après-coup. Notre optique n’est pas de discuter le rationnel ou l’irrationnel de la démarche mais d’introduire la question de la retranscription de la dimension temporelle du projet en fonction de ce cadre.

Le projet d’une façon générale renvoie à la fois à l’ordre du discours et à l’ordre de l’action. Cette dualité se retrouve aussi dans les deux formes de rationalité, qu’elles soient celle liée au logos, c’est-à-dire le concept grec signifiant la parole, le discours, celui de la raison discursive, et celle liée à une pratique comportementale. Il paraît, d’ailleurs, difficile de séparer tout à fait ces deux formes de rationalité, l’action ne pouvant se passer au préalable d’une structuration argumentée de la connaissance, ni non plus d’une évaluation de celle-ci à posteriori en fonction des règles fixées au préalable. Il apparaît finalement presque naturel de lier projet et rationalité, à l’image de ce qu’évoque, par exemple, Jean-Pierre Boutinet, à propos du projet architectural :

« Le projet architectural en tant qu’anticipation opératoire peut être identifié à un paradigme spécifié par quatre traits constitutifs132, traits susceptibles d’ailleurs d’être applicables à d’autres types de projets et qui définissent en quelque sorte la théorie de la

projettation entendue comme recherche rationnelle du processus de construction »

(BOUTINET, 2005, p. 172).

Le projet n’est ni totalement théorique ni totalement pratique. Ce balancement indéfini entre théorie et pratique est ce qui confère au projet une certaine spécificité :

« (…) le projet appartient à ces rares figures qui se situent quelque part entre théorie et pratique, ni exclusivement théorique, ni tributaire de la seule pratique » (BOUTINET, 2005, p. 278).

L’ordre du discours se charge d’expliciter et de décrire, de prescrire et de planifier tandis que l’ordre de l’action repère et sélectionne les possibles transformés en intentions ensuite mises en pratique (BOUTINET, 2005). Si ce lien entre projet et rationalité peut être discuté, il ne constituera pas ici l’objet de notre propos. Par contre, il s’agira surtout de cerner plus précisément le lien entre la rationalité et la dimension temporelle du projet, lien qui permet d’expliquer en partie les exemples donnés auparavant en matière de retranscription des dimensions temporelles des projets. Une forme de rationalité particulière sera mise en avant, surtout celle liée au discours, plus précisément celle de la construction cohérente du discours du parcours temporel du projet, par exemple, au travers des récits, si cette construction existe bien sûr. Cette rationalité (autre que celle strictement discursive cependant) en elle-même fait

132

Il s’agit, ici, de l’appropriation d’un espace possible comme objet du projet, du passage de l’abstrait au concret à travers la distinction conception/réalisation, de l’aspect de processus du projet en prise à un contexte qui entraîne les modifications et les altérations du projet initialement prévu et qui cesse d’être projet une fois réalisé, du caractère relationnel du projet, ce dernier s’appuyant à la fois sur une initiative individuelle et un environnement collectif (BOUTINET, 2005).

appel à d’autres notions comme celle de linéarité, notions qui ne sont pas étrangères à cette construction cohérente de la dimension temporelle du projet.