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a. Le projet comme la matérialisation d’une intention

B. Une double dimension du projet : outil et/ou processus ?

Deux dimensions qui impliquent deux façons principales de considérer le projet interviennent : le projet vu comme outil de la planification (dans le cadre de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, il s’agit d’un outil de planification spatiale) et le projet pris dans sa dimension de processus. De cette nouvelle exploration de la notion du projet pris dans cette double dimension, le choix est porté sur une définition du projet découlant de la vision d’un projet comme processus.

a. Le projet, outil de la planification, et la notion d’opération

d’aménagement

i) Le projet comme anticipation opératoire collective

Il existe plusieurs lectures possibles du projet envisagé comme outil permettant de réaliser à terme un objet planifié. Dans le cas du projet, outil de planification, les moyens et les résultats vont compter dans la façon de l’aborder. Considéré selon une lecture technique, le projet vise l’élaboration d’un objet déterminé, qui, dans un premier temps, est entrevu de

façon idéalisée, et qui dans un second temps, est destiné, une fois réalisé, à se séparer de son auteur pour entrer dans l’usage quotidien (BOUTINET, 2004). Projet industriel, projet architectural, projet de recherche s’inscrivent dans cette lecture. Considéré selon une lecture opératoire et pragmatique, le projet s’apparente à un outil guide de l’action, c’est-à-dire « (…) la condition indispensable pour mener, grâce à l’anticipation, une action efficace, et ce, par une détermination préalable des buts et une planification des étapes intermédiaires envisagées (…) » (BOUTINET, 2004, pp. 28 - 29). Le projet n’est pas l’improvisation : il sert à diriger l’action à entreprendre. Cependant, le projet se retrouve confronté aux évolutions du contexte, qu’il n’est pas toujours possible d’anticiper. La gestion du projet qui en découle va donc s’apparenter à la gestion des écarts8 inévitables entre ce qui était prévu au départ et ce qui se réalise concrètement. Cette oscillation est continuelle tout au long du projet. La perspective pragmatique du projet met en avant l’aspect d’anticipation (opposée à celui d’improvisation) : l’action à entreprendre vise à être préparée et régulée, c’est-à-dire planifiée, pour permettre de mieux répondre à l’imprévu pouvant surgir à tout moment dans la mise en œuvre. Les modes d’anticipations mobilisés sont de type opératoire. Dans l’acceptation du projet comme outil de planification, c’est le mode d’anticipation opératoire rationnel qui nous intéresse. L’anticipation opératoire peut se définir comme un futur désiré qu’il s’agit de faire advenir (BOUTINET, 2005). Elle mobilise trois termes, le but, l’objectif et le plan, qui relèvent de l’action à entreprendre, projetée de différentes façons. L’objectif se distingue du but en ce qu’il est extérieur à l’action, car il vise l’atteinte d’un objet déterminé, pouvant être à la fois économique, social, spatial (BOUTINET, 2005). Il produit une règle normative veillant à assurer l’articulation entre l’action et l’objet visé pour que l’objectif soit respecté (Ibid.). Le but constitue le terme de l’action : il est inséparable de celle-ci (Ibid.). Le plan évoque le découpage des étapes intermédiaires de l’action pour parvenir au terme de celle-ci : il contient à la fois la fin visée et les moyens pour y parvenir (Ibid.). Au sein du projet, deux aspects antagoniques sont aussi à distinguer, d’une façon générale : d’une part, l’action visant un objet extérieur, un produit à réaliser, l’œuvre, d’autre part l’action centrée sur la maîtrise du processus et son perfectionnement (BOUTINET, 2004). Si la première logique est tournée vers l’objet, la seconde est tournée vers l’action elle-même, vers son perfectionnement. Cela entraîne aussi un découpage temporel différent suivant ces deux aspects : la logique de l’objet vise une dimension temporelle limitée, celle du durable et de l’achevé, tandis que la logique de l’action travaille sur une dimension temporelle de l’inachèvement car tournée vers le perfectionnement (BOUTINET, 2004). A travers ce découpage général des projets en tant que modes d’anticipations, le projet comme outil s’inscrit surtout dans une logique de l’œuvre, même s’il n’exclut pas la réflexion sur la maîtrise de l’action à entreprendre.

Dans sa dimension collective, le projet, à l’inverse du projet individuel (qui concerne un acteur individuel aux intentions particulières, inscrit dans un contexte d’opportunités et de contraintes), résulte d’un apprentissage par la négociation et par les jeux de pouvoirs, de la formulation et de la mise en place de priorités par un acteur collectif. Cette logique collective du projet est aussi à prendre en compte dans la lecture du projet qu’il soit outil de planification ou considéré dans sa dimension de processus. Cette logique collective n’exclut pas cependant l’existence d’un acteur individuel déterminant et charismatique, porteur du projet ou d’un petit groupe d’acteurs individuels jouant un rôle de bras de levier pour le projet : la logique du projet est finalement une logique qui se veut interactive puisque le projet se structure dans cette situation de relations, conflictuelles ou non, entre le ou les acteurs déterminants et les autres acteurs concernés par le projet (BOUTINET, 2005).

8 Cette gestion des écarts s’inscrit dans la dialectique entre le possible et le souhaitable, que nous avons décrite auparavant. Cf. I. A. a. pp. 31 - 32.

Cette exploration de la notion de projet s’est ainsi attachée à montrer la figure même du projet comme outil de planification, répondant à un mode d’anticipation qui se veut rationnel, inscrit à la fois dans une perspective opératoire et technique pragmatique, et dans une logique collective. Cette figure s’incarne dans la notion d’opération d’urbanisme.

ii) Les différentes logiques de l’opération d’urbanisme

L’opération constitue une notion centrale ayant servi de base d’application des différentes composantes juridiques, administratives, financières et techniques de l’aménagement et de l’urbanisme. Elle s’inscrit pleinement dans une démarche de planification traditionnelle et elle a constitué une des réponses apportées par cette dernière au problème de l’époque de croissance urbaine et de nécessité d’ouverture de nouveaux espaces urbanisables. Elle peut se caractériser selon plusieurs logiques (FAURE, 2002) :

• Une logique foncière, à travers l’inscription dans un périmètre bien défini ;

• Une logique publique, à travers la soumission de l’opération à enquête publique ;

• Une logique opérationnelle, en assurant la coordination architecturale et technique de l’action ;

• Une logique de production urbaine, qui permet de financer par la suite l’urbanisation. Dans le cadre de l’intervention publique dans l’aménagement urbain, « il s’agit de créer des terrains convenablement équipés en vue d’accueillir de nouveaux habitants ou de nouvelles activités soit en extension périphérique soit en centre-ville » (FAURE, 2002, p. 37). Cette opération, mise en œuvre en fonction de critères d’utilité publique, nécessite et légitime une appropriation publique des sols. Une fois l’acquisition foncière effectuée, les terrains se rapportant à l’opération d’urbanisme sont viabilisés et équipés avant d’être mis sur le marché. Cependant, la mise en place, plus tard, de partenariats public-privé en aménagement du territoire et en urbanisme va revenir sur ces mécanismes traditionnels de l’opération.

Yves Janvier (1998) rappelle lui-aussi ces logiques déjà décrites. L’opération se veut un objet bien déterminé et précis, à la fois dans ses délimitations spatiales et temporelles. Elle possède des limites spatiales avec la détermination d’un périmètre mais aussi des limites temporelles, avec la détermination d’un début, d’une fin de l’opération et d’une construction temporelle séquentielle des étapes intermédiaires. Ces limites se retrouvent dans l’espace juridique, avec le règlement, et dans l’espace financier avec l’élaboration et la structuration du bilan financier (JANVIER, 1998). L’opération répond aussi à la logique foncière évoquée auparavant, fondée sur l’appropriation de l’espace et l’appui sur un dispositif réglementaire dérogatoire permettant la constructibilité de l’espace approprié (notamment à travers la procédure ZAC). Elle se caractérise aussi par une logique de gestion de l’évolution des stocks, c’est-à-dire par la création d’objets supplémentaires (par exemple, des constructions neuves) ou bien d’objets qui remplacent l’existant (JANVIER, 1995). Cette logique de l’ajout a eu lieu dans le cadre de la politique de logements social : la satisfaction des besoins passait surtout par la recherche systématique de constructions neuves (Ibid.). Cette logique s’est ensuite élargie pour finalement désigner des actions publiques visant principalement à faire « (…) évoluer in situ le stock existant, plutôt qu’à créer de nouveaux objets répondant aux nouveaux besoins » (JANVIER, 1995, p. 34). L’opération répond aussi à une logique d’intervention sur l’espace urbain caractérisée par la création d’équipements, la production urbanistique et la planification de l’affectation des sols.

L’opération se distingue du projet considéré dans sa dimension de processus sur plusieurs points : il s’agit de la construction d’un objet défini dès le départ dans ses formes et dans son contenu, c’est-à-dire son programme, qui suit un découpage temporel séquentiel constitué des étapes successives de réalisation de cet objet. Elle se rapproche aussi de la conduite des projets du modèle hiérarchique9, fondée sur une séparation nette entre maîtrise d’ouvrage en position de commandement et maitrise d’œuvre exécutante, où les habitants, futurs usagers, ont un rôle surtout passif par rapport à l’opération. Elle suppose aussi une coupure nette entre conception et réalisation de l’objet projeté. Cette démarche de conception se fonde essentiellement sur la notion d’optimum, c’est-à-dire la recherche de la meilleure solution à un problème donné, en fonction de critères identifiables et dégagés (JANVIER, 1995). Ce schéma technocratique permet de dégager une solution standard, généralisable, se basant sur une rationalité stricte dégagée entre l’analyse objective d’une situation et la solution unique permettant d’y répondre le mieux possible.

iii) La conception d’un temps statique et séquentiel

Une opération est indissociable d’une certaine structuration du temps : l’opération est fondée, en effet, sur une démarche consistant à se projeter dans l’avenir (tout comme pour tout projet), pour définir clairement l’objet futur à priori, puis à procéder ensuite à un découpage séquentiel des étapes successives, étapes dont les contenus sont déterminés par rapport à cet état futur à atteindre (cf. figure 1). La réalisation de l’objet planifié mobilise un temps statique : elle n’a pas de signification dynamique c’est-à-dire que la définition de l’opération ne se fait pas de façon progressive, au fur et à mesure de sa réalisation (JANVIER, 1998). Ce temps statique met en avant des bornes temporelles clairement posées pour l’opération, avec l’identification d’un début et d’une fin. Ce temps statique transparait aussi à travers le planning de réalisation de l’opération, avec une durée de réalisation correspondant à un « instant dilaté dans le temps » (JANVIER, 1998, p. 305). Ce planning de réalisation met en avant une construction temporelle où le raisonnement s’effectue du futur vers le présent. L’état futur, et derrière lui, le long terme, est ainsi défini dès le départ. Le retour au présent permet ensuite de s’intéresser au contenu du court et moyen terme. Dans ce type de configuration, ce long terme défini pèse sur la construction temporelle de l’opération et la détermine. Cette conception est qualifiée par Yves Janvier (1998) de temps à l’envers, pour la distinguer de celle du projet considéré comme processus.

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Figure 1 : Découpage temporel de l’opération (réalisation personnelle, 2011, à partir de JANVIER, 1998)

L’opération se réalise ainsi de façon séquentielle, suivant un découpage en tranches : sa réalisation se fait donc selon l’assemblage de ces différentes parties constitutives du planning de réalisation. Ce déroulement chronologique d’un temps prédéterminé pour l’ensemble de l’opération n’inclut pas à priori la possibilité de modification dans l’objet à construire, sauf irruption d’un évènement exceptionnel.

b. Le projet considéré dans sa dimension de processus : le cas du