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Les taxèmes ou indicateurs multimodaux de la relation interactionnelle

2. L’interaction verbale et son contexte

2.4 Les taxèmes ou indicateurs multimodaux de la relation interactionnelle

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2.4 Les taxèmes ou indicateurs multimodaux de la relation interactionnelle

J’envisage le concept de taxème ou relationème comme une porte d’entrée pour l’analyse des moments de rupture interactionnelle dans le contexte de l’interaction pédago-didactique, interaction par essence dissymétrique. Ceci afin de pouvoir articuler profil ou usage discursif des enseignants et gestion réussie de la montée en tension ou échec.

En effet, au sein même de l’échange interactionnel, mon objectif premier a été de décrire et d’analyser les taxèmes et/ou actes taxémiques (Kerbrat-Orecchioni, 1991, p. 319-349). Ce sont des indices de positionnements interpersonnels hiérarchisés qui permettent de déterminer les rapports de places - subis ou initiés - et d’en dégager certaines caractéristiques. Cela conduit à dresser un portrait du profil ou usage discursif convoqué par les enseignants. A travers le recours aux taxèmes, je souhaitais mettre en lumière et étudier les procédés de réajustement ou de négociation de la relation interpersonnelle mis en œuvre par l’enseignant lorsque son positionnement dans l’interaction pédago-didactique est remis en cause par un ou des élèves. Les travaux de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1991, p. 319-349) m’ont été particulièrement utiles. L’auteure a étudié comment un des interactants va s’imposer comme dominant dans l’interaction, reléguant complémentairement l’autre dans une position « basse ». Elle a travaillé à partir d’un corpus de nature dialogale et s’est intéressée plus précisément aux taxèmes de nature verbale. Si les taxèmes verbaux correspondent aux choix lexicaux, aux choix syntaxiques et aux choix portant sur la structure de l’interaction et la façon de la gérer, les taxèmes non-verbaux ou para-non-verbaux correspondent quant à eux à la prosodie et à la mimogestualité. Catherine Kerbrat-Orecchioni accorde ainsi ce statut de taxème à « l’ensemble des unités dont la fonction essentielle est d’exprimer la relation socio-affective existant entre les interactants ». Elle cite pour exemple les pronoms d’allocution, les titres, les termes d’adresse et autres expressions appellatives. Catherine Kerbrat-Orecchioni a affirmé la nécessité « d’affiner la grille d’analyse au coup par coup en fonction des propriétés idiosyncrasiques du dialogue que l’on soumet à l’analyse » (1992, p. 111). C’est ce à quoi je me suis attelée pendant près de vingt années, depuis le début de ma thèse jusqu’à ces dernières années. J’ai ainsi élargi les taxèmes : - aux AL menaçants à valeur de position car ils favorisent un déséquilibre entre les interactions, entre leurs positions respectives,

- et aux AL ménageants à valeur de relation car ils favorisent une position commune, une orientation commune vers un objet d’attention conjointe.

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Autrement dit, j’ai considéré que les procédés de politesse et les procédés d’impolitesse étaient constitutifs de taxèmes en ce qu’ils rendaient compte de la forme prise par la dimension socio-affective unissant les interactants.

Avec ma collègue Nolwenn Lorenzi (2013 [doc4]), nous avons distingué deux types de taxèmes de positionnement à partir du concept de relationèmes de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1992, 2009) :

1) Les taxèmes à valeur de position : il s’agit de marqueurs renforçant, voire exacerbant, la relation dissymétrique entre enseignant et élèves en ce qu’ils donnent à voir la dissymétrie du contrat de communication de la classe (Charaudeau, 1993) dans sa dimension autoritariste. C’est le cas de pronoms comme le « tu » ou le « vous » convoqués en opposition au « je », d’AL comme l’ordre, la menace ou encore la sanction qui rendent compte du « pouvoir » de l’enseignant sur l’élève. Ainsi dans l’exemple suivant, alors que le cours commence, l’enseignante va reprocher à un élève de poser des questions inappropriées :

P. : monsieur C./ je vous en prie/ évitez de poser des questions qui n’ont pas lieu d’être + d’abord je ne m’adresse pas à toi/ et ensuite/ si t(u) es dur de la feuille chu::t/ il faudrait faire en sorte que les esgourdes marchent mieux

(Corpus Interactions-MRS&Vitrolles-Collège)

2) Les taxèmes à valeur de relation (coopérative) : ils sont constitutifs d’une relation interpersonnelle reposant non pas, exclusivement, sur un positionnement complémentaire des interactants, mais aussi sur une volonté de favoriser une relation interpersonnelle coopératrice visant la réalisation d’un objectif commun (attention conjointe sur un même objet). C’est le cas notamment des AL explicatifs ou encore argumentatifs. Dans l’exemple suivant, on observe que si l’enseignante manifeste dans un premier temps à son élève une réprobation97 et une injonction de ne pas faire98, elle focalise son discours dans un second temps sur une dimension relationnelle coopérative99 :

P. : non/ non/ tu ne dois pas taper dessus/ regarde/ regarde comment je fais/ si tu arrives pas à le faire/ regarde comment je fais/ je le prends et je pousse ++ vas-y/ recommence/ toi

(Corpus Oral-Mrs-EM)

97 Il tape sur un canapé du coin regroupement qu’il tente sans succès de déplacer.

98 Ne pas taper sur le canapé.

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Pour conclure

Cette distinction entre taxèmes à valeur de position et taxèmes à valeur de relation a été fondamentale afin de pouvoir établir des profils ou usages discursifs différenciés chez les enseignants et, plus tard, de mieux comprendre et de mieux identifier les différentes montées en tension dans l’interaction pédago-didactique. Ce travail m’a amenée récemment à conclure que les dimensions interpersonnelle et interdicursive de la relation enseignant/élèves hors montée en tension sont déterminantes quant à la manière dont l’enseignant va faire face à la survenance de situations conflictuelles100. Concernant précisément les taxèmes étudiés, j’ai pu observer que la convocation de taxèmes à valeur de relation, au titre desquels j’ai recensé les AL menaçants ardents de second degré et les AL modestes, sont plus efficaces pour réguler un nœud de tension que la convocation de taxèmes à valeur de positionnement constitutifs d’AL menaçants ardents de 1er degré. Les premiers permettent une négociation des moments de rupture alors que cela n’est pas le cas des seconds qui donnent à voir, dans le meilleur des cas, une non coopération policée par sur-énonciation.

Les notions d’interaction et de taxèmes s’articulent avec celle de rupture interactionnelle, dont l’étude m’a conduite à repérer et à analyser le(s) nœud(s) de tension et sa (leur) (non) négociation, cela pour une meilleure compréhension du phénomène et afin de pouvoir mieux le gérer et, au-delà, de pouvoir l’anticiper.

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