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5. Tensions verbales en face à face et asynchrone

5.1 Enjeux de politesse interactionnelle et écrits des rédacteurs professionnels

5.1.4 La ponctuation et la typographie

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5.1.3 Les choix syntaxiques

Concernant les choix syntaxiques, la transformation/simplification des informations, contenues dans des textes notamment réglementaires et contractuels, s’avère nécessaire pour une meilleure lisibilité mais aussi visibilité des informations. Plus un document est formel moins il laisse de place à une relation coopérative, co-énoncée et donc négociatrice de relation. Or cette relation est déterminante pour faire « passer » mais aussi et surtout « recevoir » l’information du destinateur au destinataire. Dans les réécritures que j’ai pu étudier (Romain, Rey et Pereira, 2016ab [doc28 ; doc29]), j’ai relevé une volonté de plus grande coopération et un ménagement des faces accompagné d’argumentation à visée de coopération. Au-delà de la transformation et/ou de la simplification du codage linguistique, c’est la modification du codage global à travers la mise en place d’une relation interdiscursive coopératrice et négociée entre destinateur et destinataire qui semble déterminante231. En effet, elle vise une transmission argumentée mais aussi et surtout une transmission co-énoncée de cette information où le « nous » et le « vous » s’articulent dans un système relationnel constructif. Au sein duquel, les procédés de politesse linguistique se mettent au service de la négociation interactionnelle. Au final, on observe une réécriture des documents initiaux qui ne se réduit pas à une simplification. En effet, on assiste également à une transmission argumentée et co-énoncée de l’information qui repose sur des procédés de politesse linguistique qui visent une atténuation des menaces à la face portée par les documents initiaux. En effet, ils véhiculaient de la tension polémique à charge et détournée à visée de polémique mais aussi fulgurante. Simplifier un document, le rendre plus accessible en créant de la relation, revient à introduire la glose232 et à assurer à la réécriture de l’efficacité interactionnelle.

5.1.4 La ponctuation et la typographie

Concernant la ponctuation et la typographie, un RP opte pour des phrases contenant peu de ponctuation. Il choisit des phrases plus courtes lorsque dans la rédaction initiale celles-ci sont longues et constitutives de paragraphes compacts. Au contraire, il choisit de densifier les phrases en utilisant des virgules lorsqu’elles font défaut dans le document initial (Romain, Rey et Pereira, 2016c[doc27]). Il choisit généralement une plus grande variété des marqueurs de

231 Comme en attestent le recours à des actes de langage davantage assertifs tels que clarifier, préciser, compléter, inscrire, joindre, procéder, etc.

232 Glose ici utilisée dans le sens d’apporter des informations complémentaires visant une meilleure compréhension du lecteur/destinataire de l’écrit.

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ponctuation qui structurent et articulent les différents moments de sa production rédactionnelle. Cela s’inscrit dans une perspective inter-phrastique ou textuelle et dans un contexte de co-énonciation et d’argumentation à visée de coopération.

Il s’avère que la relation pragmatique233 commande le choix de la ponctuation et de la typographie234 :

- si la relation est injonctive/agonale (tension fulgurante ou polémique ou détournée à visée de polémique), apparaissent une succession de contenus dans une même phrase et des virgules fréquentes au sein des phrases, mais aussi des énumérations sans accompagnement ;

- si la relation est à visée de coopération/négociation (tension argumentative ou détournée à visée d’argumentation), apparaissent alors une organisation et une structuration progressive spécifiques de la transmission des informations qui reposent globalement sur un choix de simplification faisant alterner des phrases avec ponctuation et des phrases sans ponctuation intra-phrastique. J’ai noté également le rôle de la mise en relief par le gras, convoqué pour des mots ou groupes de mots, mais aussi le choix des parenthèses qui permet d’éviter de surcharger la phrase en synthétisant le contenu visé à partir de mots clefs.

L'analyse révèle une spécificité du rédacteur professionnel. Il ajoute à une pratique certes normalisée de la ponctuation et de la typographie, une dimension pragmatique, intégrant sa représentation du lecteur et ne pouvant être séparée de la mise en scène plus globale du discours. Cette mise en scène se réalise à travers un espace où se jouent des rapports de places et de faces et une certaine négociation. La ponctuation et la typographie font partie de ces outils linguistiques, tels que la répétition ou encore les taxèmes de relation, qui contribuent à l’élaboration et à la construction d’une relation voulue spécifique par le RP. Ces rapports de places et de faces sont donc déterminés mais déterminent aussi l’inquiétude ou la quiétude de l’ordre du discours.

Pour conclure

Ces différents indicateurs ne se superposent pas en tant que tels aux indicateurs que j’ai pu observer dans le cadre des interactions pédago-didactiques en situation de tension. Parfois même, ils s’opposent comme cela est le cas pour la répétition. J’ai en effet relevé qu’elle était moins fréquente lors de la négociation que lors de la cristallisation de la tension pour l’oral. Cela alors même qu’elle est un outil spécifique pour le RP et s’articule avec le choix du champ

233 En lien avec l’intention relationnelle et, bien sûr en lien direct avec la syntaxe.

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lexical qu’il choisit. Ce constat s’explique principalement par la différence de modalité entre l’oral et l’écrit et la longueur des écrits à produire235. Néanmoins, il s’avère que la forme du profil ou usage discursif choisi par le RP dans les productions pour lesquelles il a été mandaté236

est un profil ou usage discursif de forme co-énoncée, argumentée et visant la coopération entre scripteur et destinataire. Ce profil ou usage discursif caractérisé par son efficacité interactionnelle est le même que celui adopté par les enseignants lors de négociations réussies. Par réussite, j’entends un échange où les interlocuteurs parviennent à se projeter vers un avenir commun.

Pour terminer, j’évoquerai l’étude de productions écrites de documents administratifs ainsi que de productions écrites fonctionnelles (émanant de professionnels dont l’activité principale n’est pas l’écriture : Romain, Pereira et Rey, 2015a[doc26]). J’ai pu montrer que ces formes d’écrits initiaient et entretenaient des montées en tension fulgurantes (injonction) avec violence détournée à visée de polémique (reproche, discrédit) mais aussi de violence polémique (argumentation conflictuelle à charge). Ces formes de montées en tension vont de pair avec une sur-énonciation des scripteurs qui imposent un point de vue empreint de reproche et d’injonction. Au contraire, mes travaux sur les productions écrites des RP mettent en avant une compétence spécifique de l’écriture. Celle-ci consiste à opérer des choix lexicaux, syntaxiques et discursifs ayant un impact spécifique dans la mise en place d’une relation interdiscursive qui témoigne et agit sur une relation interpersonnelle. Ces choix questionnent et positionnent au cœur du document la relation entre destinateur et destinataire en termes de relation coopérative voire co-énonciative. Le RP, en tant que professionnel de la rédaction écrite communicationnelle, est ainsi conduit à questionner les choix de cohésion qui visent la dimension énonciative237 et pragmatique de son écrit en en lien avec le lexique238, la syntaxe239

et, plus largement, les procédés de ménagement (ou pas) des faces en présence. Ces procédés écrits sont constitutifs d’espaces où se jouent des rapports de places et de faces et une certaine négociation. Par ailleurs, ces procédés, du fait de l’espace-temps et des compétences spécifiques en écriture (et notamment en termes d’efficacité interactionnelle) dont disposent le RP, sont des outils choisis intentionnellement dans un but spécifique par ce professionnel de la rédaction.

235 D’une à plusieurs pages, là où à l’oral on est en présence d’interventions se chronométrant en secondes voire en minutes.

236 Mandaté pour une réécriture du fait d’une émergence de tension faisant suite à la rédaction initiale.

237 Référence temporelle, référence spatiale et référence personnelle.

238 Choix péjoratif/mélioratif mais aussi registre de langue.

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Par conséquent, il existe des similitudes entre l’écrit240 et l’oral, pour ce qui est des interactions pédago-didactiques, en termes de gestion de la relation interdiscursive au service de la relation interpersonnelle. A mon sens, ces résultats tendent à montrer la dimension humaine de la relation mais surtout l’impact de l’influence réciproque qui agit toujours, à l’oral comme à l’écrit. Le RP est ainsi capable d’agir intentionnellement afin d’influencer le destinataire de l’écrit qui lui a été mandaté. Autrement dit, il prend en compte l’élément potentiel de tension241

afin de (tenter de) le désamorcer. Dans quelques lignes, je traiterai de mes travaux conduits sur les courriels électroniques entre universitaires et à l’occasion desquels j’ai pu observer que l’écrit y est davantage source de tension. Cette tension est probablement due au fait de l’existence d’un certain brouillage lié aux attentes réciproques envers le moyen de communication lui-même (voir discussion sur l’asynchronie en fin de section). Ainsi, dans le flux d’un échange, face à un reproche implicite par exemple, les réactions diffèrent que l’on soit en face à face ou par courriel. En face à face, on a tous en mémoire des situations où l’on est resté concentré sur l’objet de la discussion (la réunion) et plus tard, une fois rentré chez soi, se dire « je n’ai pas aimé la façon dont il m’a parlé, ses insinuations… j’aurais dû le lui dire…». Au contraire, par courriel un certain effet grossissant pourra avoir lieu, renforcé par la dimension écrite et asynchrone, de telle sorte que l’on aura tendance à se focaliser sur l’élément implicite de tension. On a là aussi tous certainement en mémoire des situations où l’on a pu lire et relire un courriel et où l’on s’est alors focalisé sur l’élément de tension. Le RP, qui œuvre quant à lui en asynchronie, convoque une expertise de la production écrite qui va le conduire à analyser et prendre en compte ces phénomènes, alors que cela ne sera généralement pas le cas des autres interactants.

On observe des montées en tension similaires favorisant la cristallisation de la tension et inversement des gestions de la tension favorisant sa désescalade, son désamorçage. Si dans le cas des productions écrites de RP ces procédés sont convoqués intentionnellement, ils le sont de façon plus ou moins consciente par les enseignants. Ainsi, à travers l’analyse de ces productions, j’ai pu montrer, toute proportion gardée, qu’un choix conscient, réflexif et intentionnel est propice à une désescalade de la tension. Ce choix renvoie à un geste professionnel spécifique à disposition des enseignants. Autrement dit, le profil ou usage discursif favorisant la négociation à l’oral242 pourrait être un profil ou usage discursif constitutif

240 Réflexif, asynchrone, interactionnel, professionnel.

241 Existant ou pouvant être créé par l’écrit qu’il a mandat de produire.

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d’un authentique geste professionnel. Ce geste ne relèverait pas (exclusivement en tout cas) d’un seul charisme ou encore d’un seul savoir-faire qui repose sur une expérience incontournable de nombreuses années d’enseignement. Il relèverait, au contraire, d’authentiques outils que ces enseignants convoqueraient systématiquement (mais sans conscience ou intention explicite) afin d’instaurer une relation interdiscursive favorable à la négociation, à la réparation des moments de rupture interactionnelle.

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