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Normes interactionnelles et variation des pratiques linguistiques des enseignants

3. La rupture interactionnelle

3.6 Normes interactionnelles et variation des pratiques linguistiques des enseignants

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Malentendus et relation interpersonnelle s’entrecroisent ainsi dans un jeu de frontières dont la relation interdiscursive devient un révélateur. Dans son article de 2016, Anton Näf montre ainsi, en opposition aux travaux de Antoine Culioli (1990), que le malentendu est un cas rare et non « le cas normal » de la communication. Cette auteure explique et décrit en quoi les causes du malentendu sont déjouées par la situation de communication elle-même mais aussi, et notamment, par les phénomènes de redondances. Contrairement à Anton Näf, je m’éloigne du contenu strictement discursif de l’interaction et je fais glisser le malentendu de l’échange à son origine et à ce qui a transformé ses règles de fonctionnement. Ainsi, les attentes de l’un vis-à-vis de l’autre, l’enseignante, ont été changées (momentanément à tout le moins) alors que pour l’autre, l’élève, rien n’a potentiellement changé. De fait, le contexte, au sens strict, n’est plus partagé par les deux interactants en présence160, il y a malentendu sur le contenu même du contexte dans lequel vient s’insérer l’échange. Suite à mes échanges avec Claudine Moïse, je me questionne aujourd’hui sur la justesse du terme. Le malentendu sur le contenu du contexte serait plutôt une controverse ou une mésentente (l’élève ayant dans ce cas bien conscience qu’il n’est pas dans les clous attendus). Cette entrée changerait la perspective d’analyse. Si le malentendu met l’accent sur la non reconnaissance des normes, la controverse ou la mésentente permettrait de discuter les normes elles-mêmes et de leur pertinence.

Par conséquent, l’importance de travailler en amont à l’élaboration d’une relation interpersonnelle et interdiscursive apparait comme incontournable. Celle-ci doit reposer sur des règles claires, spécifiques, explicites et partagées du fonctionnement de fond et de forme de la vie de classe afin de favoriser la résolution des malentendus voire de ne pas les laisser émerger lors de l’interaction, en un mot d’éviter les pièges d’un conflit potentiel.

3.6 Normes interactionnelles et variation des pratiques linguistiques des enseignants

Un travail mené conduit avec ma collègue Nolwenn Lorenzi en 2015 [doc16] me semble singulier et pourrait même être considéré comme accessoire par rapport à l’analyse strictement interactionnelle et pragmatique de la montée en tension. Cependant, et avant d’aborder la typologie des formes de montées en tension verbale, il m’apparut nécessaire d’apporter un éclairage sur les pratiques des enseignants.

160 Voir l’exemple 2 où l’enseignante se focalise sur le comportement de l’élève précédent l’échange tandis que l’élève se centre sur l’échange lui-même.

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J’ai questionné le devenir de l'interaction conflictuelle au regard de normes interactionnelles selon qu'elles soient ou non partagées par les interlocuteurs. Les résultats ont montré l'existence de normes interactionnelles répondant à des règles de fonctionnement (contrat de communication) symbolisant l'autorité éducative ou l'autorité autoritariste. Ces normes interactionnelles161 s'articulent avec des procédés caractérisant la relation entre enseignant et élèves (impact relationnel). Au final, il s’avère que les normes interactionnelles des enseignants s'articulent avec des procédés relationnels qui jouent un rôle essentiel dans la résolution ou au contraire dans l'exacerbation des nœuds de cristallisation de la tension.

Normes

interactionnelles résolution de la tension Pratiques favorisant la verbale

Pratiques favorisant la montée en tension verbale Cadre et procédés

relationnels

- taxèmes de relation - ménagements des faces (politesse linguistique) - autorité éducative

- taxèmes de position - menaces aux faces (impolitesse linguistique) - autorité autoritariste Gestion énonciative de la rupture - co-énonciation et recherche d’attention conjointe - sur-énonciation et recherche de soumission Genres discursifs et forme de la tension verbale - montée en tension argumentative (directe ou

indirecte) à visée de coopération

-montées en tension fulgurante, polémique à charge (directe et indirecte)

Les résultats indiquent que lorsque les normes interactionnelles sont partagées (reconnues), elles se réalisent à travers des procédés discursifs de co-énonciation permettant de gérer positivement la tension. Au contraire, lorsque les normes interactionnelles ne sont pas partagées (différenciées), elles se réalisent à travers des procédés discursifs fortement conflictuels

Pour conclure

Ainsi, dans ma démarche de recherche, je suis partie de l’observation des AL constitutifs de nœuds de tension, ce qui m’a permis de mieux pouvoir décrire et décoder la montée en tension.

161 Cadre interactionnel vers lequel s'orientent les participants à travers leur recours à des procédés linguistiques relationnels – ex : marqueurs de (im)politesse linguistique- mais aussi par les genres discursifs -ex : argumentation

vs polémique- et le déroulement de l'interaction verbale eu égard à la gestion de la rupture interactionnelle

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J’ai pu observer, à travers l’analyse de mes corpus, que la montée en tension est souvent localisée dans la parole de l’enseignante et ne donne pas systématiquement lieu à une réponse de l’élève. Toutefois, selon la forme prise par l’AL et celle de la montée tension, la quantité globale d’émergence de nœuds tout au long d’une heure de cours était différente suivant les enseignants y compris dans un même établissement scolaire. C’est ici une des raisons pour lesquelles j’ai principalement porté mon attention sur le contenu discursif et linguistique de l’intervention de l’enseignant en me demandant notamment s’il incluait (par co-énonciation) ou pas (par sur-énonciation) un espace pour l’élève. Les nœuds de tension sur une heure de cours se sont avérés moins nombreux dans le premier que dans le second cas. Dans le premier cas, j’ai alors considéré la tension comme négociée et positive pour l’interaction. Au contraire, dans le second cas, je l’ai considérée comme non négociée et négative pour l’interaction.

Une fois explicités les marqueurs de relation interdiscursive, il m’est apparu possible de commencer à élaborer une modélisation de la montée en tension verbale, c’est-à-dire la dynamique de la relation interdiscursive en contexte de tension (potentielle ou avérée). Si j’ai commencé mes études sur la relation interdiscursive en recherchant des indicateurs, j’ai finalement pu proposer une modélisation du système en fonctionnement que j’ai progressivement améliorée. Cette modélisation a vu le jour en croisant les résultats obtenus quant à l’étude des taxèmes, notamment des AL, mais aussi des fonctionnements discursifs que j’avais commencé à identifier de façon spécifique.

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