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Les procédés de politesse linguistique

5. Tensions verbales en face à face et asynchrone

5.1 Enjeux de politesse interactionnelle et écrits des rédacteurs professionnels

5.1.1 Les procédés de politesse linguistique

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potentielles à la face du destinataire. Par conséquent, en fonction du contenu même du message à transmettre, le RP est conduit, en amont de sa rédaction, à opérer des choix quant aux stratégies d’interpellation puis d’adresse, de ménagement et éventuellement d’atteinte et de réparation à la face de son destinataire/lecteur. Dans le même temps, il doit articuler ces éléments au traitement et à la présentation des informations à transmettre. J’ai réalisé une analogie avec les choix discursifs faits par les enseignants qui parviennent à mettre en place ou à gérer la tension potentielle par désescalade de la tension. Ils n’hésitent pas à expliciter ce qui fait l’objet du nœud de tension mais dans le même temps ils parviennent à le réparer ou à tout le moins à le déplacer en regardant, en orientant leur propos sur un objet de consensus entre eux-mêmes et leurs élèves (les règles de fonctionnement de la classe par exemple). Le RP va accompagner dans son écrit le lecteur, en le sécurisant notamment, en faisant le choix par exemple d’un lexique mélioratif et non pas péjoratif, etc. Ces éléments sont significatifs. Le fait de les retrouver dans les outils utilisés à la fois chez les enseignants recourant à un profil ou usage discursif co-énoncé, coopératif, argumentatif et chez les RP à qui ont été confiées des tâches de réécriture (les premières productions ayant suscité de la tension voire du conflit) permet de valider le profil ou usage discursif de négociation réussie en termes de gestes professionnels à acquérir pour les enseignants. J’insisterai encore ici sur le fait que le RP, en tant que professionnel de l’écriture, dispose d’un temps significatif destiné à la réflexion en amont de l’écrit qui lui est commandé. La conscience et l’intentionnalité de ses choix ne font aucun doute et éclairent de fait les choix parfois non conscients, non explicites chez les enseignants. Le RP prend le temps pour poser ces différents indicateurs et les articuler entre eux, alors que l’enseignant n’a pas le temps de les analyser.

5.1.1 Les procédés de politesse linguistique

Concernant les choix des procédés de politesse, principalement à travers le recours aux termes d’adresse, en 2015 (Romain, Pereira et Rey, 2015a[doc26]), j’ai interrogé les risques potentiels que peut présenter le contenu de l’écrit pour la face du destinataire. J’ai donc interrogé le type de ménagement/atténuation mis en place par le rédacteur professionnel mais aussi les liens que ces procédés entretiennent avec les enjeux et les buts interactionnels sous-tendant cette production discursive. Au sein des écrits que j’ai étudiés, j’ai observé que les outils de politesse

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linguistique contribuaient à la maitrise de la montée en tension227. La politesse linguistique permet d’atténuer les menaces potentielles à la face du destinataire à travers un profil ou usage discursif co-énonciatif, argumentatif mais aussi détournée à visée d’argumentation (toujours à visée de coopération). Il y a bien là une compétence et un savoir-faire technique qui nécessitent une formation professionnelle. En fonction du contenu même du message à transmettre, le RP opère, en amont de sa rédaction, des choix quant aux stratégies d’interpellation puis d’adresse, de ménagement et éventuellement d’atteinte et de réparation à la face de son destinataire/lecteur.

5.1.2 La répétition

Concernant la répétition de pronoms et de syntagmes nominaux, j’ai relevé une différence dans l’emploi de la répétition entre les textes initiaux et finaux et une congruence de stratégie lors de la réécriture des documents (Romain, Pereira et Rey, 2015a[doc26] ; Romain, Rey et Pereira, 2016ab [doc28 ; doc29]). La production/réécriture du rédacteur professionnel indique que la répétition joue un rôle dans la construction de l’écrit et que le choix des mots (lexicaux et pronominaux) répétés, visant des éléments de cohésion entre les points de vue, va de pair avec une volonté de co-énonciation, c’est-à-dire de tissage d’un lien autour de l’énonciation d’un point de vue voulu commun. Le tout dans un contexte d’apaisement de la montée en tension convoquant un profil ou usage discursif argumentatif à visée de coopération et détournée à visée d’argumentation. Au contraire, les productions initiales, sources de tension voire d’incompréhension, montrent un recours à de la sur-énonciation. Cette dernière intervient dans un contexte de montée en tension fulgurante et/ou polémique et/ou détournée à visée de polémique. A cette occasion, les mots répétés sont utilisés massivement sans distinction entre eux et visent un point de vue propre au destinateur imposé au destinataire. Ainsi, la réécriture de ces productions initiales repose quant à elle essentiellement sur de la co-énonciation. Le choix des mots répétés participe à l’accompagnement du lecteur/destinataire dans sa progression à travers le document lu et réactive des éléments constitutifs de consensus.

Lorsque j’ai comparé des productions de RP qui portaient sur la réécriture de documents, j’ai relevé que, dans les documents initiaux, la répétition est fréquente et porte sur des éléments de tension. Elle porte ainsi sur l’« obligation » pour les destinataires de remplir/fournir les

227 J’insisterai ici sur le fait que par politesse linguistique j’entends les procédés de ménagement de la face, qu’ils soient gratuits ou produits pour ménager une menace potentielle. Je ne considère donc pas la politesse comme une conception morale.

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documents attendus, sur des injonctions faites au vous, et alimente finalement une tension sur-énonciative. Dans les documents réécrits par des RP, la répétition porte au contraire sur l’objet et sur l’articulation entre le nous et le vous. Les aspects contraignants, négatifs, adressés au destinataire font moins l’objet de répétition228. Ainsi, elle apparait comme une figure assurant la mise en place d’un travail de figuration au sens goffmanien du terme229.

Plus précisément, j’ai observé que les choix des mots répétés et des champs lexico-énonciatifs de ces éléments accompagnent des montées en tension majoritairement fulgurantes et sur-énoncées pour les premiers écrits, et, au contraire, de la tension argumentée à visée de coopération et de co-énonciation pour les réécritures.

Je complèterai ces observations par le rôle spécifique du figement spécifique à l’écrit par rapport à mes résultats portant sur l’oral230 (Romain, Rey et Pereira, sous presse). En effet, c’est très souvent parce qu’il y a répétition qu’il y a figement et que des unités phraséologiques sont créées au niveau du texte. Il s’avère que ces figements ont pour noyau des relationèmes : le maintien du lien relationnel entre destinataire et destinateur se révèle alors déterminé par le choix pertinent de figements au cœur d’une stratégie d’évocation commune. Ainsi j’ai pu observer la présence de redondances de séquences lexicales (polylexicalité du figement) : répétition de séquences syntaxiques à l’identique (subordonnées circonstancielles de condition, « vous + modalisateur » et « nous + verbe d’action »). Ces répétitions, loin d’être perçues comme alourdissant le propos, apportent au lecteur une sécurité relationnelle et s’incluent dans un profil ou usage discursif à dominante argumentative. Ces formulations figées sont constitutives de phrasèmes de relation coopérative voire négociée. Par conséquent, le figement semble permettre de créer du lien entre ce dont on parle (notre message) et le destinataire. Il s’articule avec les relationèmes et de fait avec la politesse linguistique et le travail de ménagement des faces en présence. En cela, il est constitutif d’un véritable marqueur de savoir-faire pragmatique en rédactologie professionnelle. Cela porte à penser la répétition comme outil spécifique de la rédaction professionnelle, ouvrant un champ à la didactique des rédacteurs professionnels.

228 Réclamer un remboursement, faire exécuter un règlement municipal intérieur.

229 Protection des faces, atténuateurs de menace pour la face.

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