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La gestion de la montée en tension verbale et la relation pédago-didactique

4. La modélisation de la montée en tension verbale

4.2 La gestion de la montée en tension verbale et la relation pédago-didactique

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verbale par l’enseignant et sa gestion de la relation pédago-didactique hors tension verbale. Mon idée était d’interroger les corrélations entre l’usage discursif d’un enseignant avec sa classe en tension et hors tension verbale afin de mieux comprendre les enjeux de la relation interdiscursive en classe. Pour cela, avant d’étudier les représentations des enseignants, j’ai questionné à nouveau des indicateurs relevant d’une grammaire des interactions verbales en classe : les stratégies d’obtention d’une réponse concluante au sein de la séquence interrogation/réponse/évaluation. Cela dans le cadre de séquence de travail portant soit sur de l’explication de texte soit sur des exercices de grammaire. Je me suis focalisée sur ces deux types d’activités du cours de français208 qui étaient les plus propices à faire émerger la séquence étudiée.

4.2 La gestion de la montée en tension verbale et la relation pédago-didactique

A ce stade de l’évolution de mes travaux, ayant recueilli suffisamment de matière, j’ai finalement croisé la modélisation des formes de montée en tension convoquées par les enseignants avec la forme de leur profil ou usage discursif lors des interactions classiques de cours (Romain et Rey, 2017a[doc17], soumis). Cette étude a aussi été l’occasion de questionner l’emploi et la place de la fonction référentielle et de la fonction conative lors des échanges hors tension209 (Rey, Romain et DeMartino, 2013[doc14], 2015[doc30] ; Rey, Romain et Jallet, 2016[doc31] ; Rey, Devez, Pereira, Riera et Romain, 2018[doc34]).

Mon hypothèse était qu’il existait des liens discursifs entre la gestion des moments de tension210

et celle discursive des séances et des séquences de classe, notamment eu égard au recours aux fonctions référentielles et conatives du langage. Autrement dit, les enseignants qui gèreraient le mieux les interactions conflictuelles seraient reconnaissables du fait de leur façon de mener les interactions traditionnelles/courantes de leurs cours. Ce dernier point participe à la mise en place et à l’activation d’une relation fondée sur la coopération interactionnelle entre l’enseignant et ses élèves. J’ai ainsi analysé la forme du profil ou usage discursif de l’enseignant pris dans la globalité des situations interactionnelles de la classe (en et hors tension) afin d’établir des liens entre ces micro-contextes et de mieux appréhender le macro-contexte de l’interaction. Au-delà de la description des échanges conflictuels, la description du profil ou

208 Discipline des enseignants du collège qui m’avaient reçues dans leurs classes afin de les suivre pendant plusieurs mois d’une même année scolaire et avec les mêmes classes.

209 Fonctions qui permettent d'évaluer la place prise par l'information elle-même et par la prise en compte du destinataire par le destinateur dans son message.

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usage discursif hors tension peut apporter des informations prédictrices de la forme discursive convoquée par l’enseignant lors de la gestion de la tension.

J’ai ainsi dressé le fonctionnement discursif propre à chaque enseignant hors montée en tension, notamment en analysant les fonctions référentielle et conative du langage. J’ai pu observer que les montées en tension les plus bénéfiques pour l’entretien d’une relation coopérative sont empreintes de coopération et de négociation. De même les enseignants avec ce profil ou usage discursif ont systématiquement recours, hors tension, aux fonctions référentielle et conative à visée de coopération pour introduire, conduire ou clôturer des macro ou micro-activités. Dans ce dernier cas, j’ai ainsi étudié (dans la suite de travaux entrepris il y a une dizaine d’années) les procédés discursifs d’introduction et de clôture des échanges pédago-didactiques ainsi que les stratégies convoquées par les enseignants afin d’obtenir une réponse concluante ainsi que les formes de validation des réponses des élèves au sein de l’échange I.R.E. -interrogation/réponse/évaluation. J’ai ainsi pu identifier deux formes de profils ou usages discursifs : le profil ou usage discursif à dominante coopérative et le profil ou usage discursif à dominante agonale.

- Le profil ou usage discursif à dominante coopérative rend compte d’une contextualisation du travail à effectuer211 ; d’une information explicite sur le contenu de la séance212 ; de cohérence213 ; de co-énonciation214 ; de la présence de la fonction référentielle215 et de la fonction conative216. En voici un exemple à travers une intervention d’un enseignant qui introduit sa séance de classe en Sciences de la vie et de la terre en la contextualisant notamment sur l’axe temporel. Il présente le travail à venir à partir du travail déjà réalisé lors de la séance précédente. Il prend le temps d’expliciter et apporte de la cohérence à l’activité en l’articulant avec le passé et en l’ancrant dans le présent tout en lui apportant de l’intérêt par rapport à sa pertinence le « grand rôle » du pollen :

P. : aujourd’hui ++ on va donc + reprendre ces mots clefs + les ré/investir/ les ré/utiliser + dans/ deux choses ++ première chose + il faudra remettre ++ des + schémas des images des dessins/ dans l’ordre + parce que l’ordre on l’a étudié + on le connait + ou nous sommes en train de le connaitre/ de l’apprendre/ grâce à ces images/ on va continuer/ à/ apprendre + et ensuite/ on va se demander + mais le pollen + < … ? > + on a vu que le pollen il avait un grand rôle ++ il avait un

211 Par exemple, en lien avec la séance précédente : « reprendre », « l’ordre des schémas », « on a vu… on va voir ».

212 Ex : « on va continuer/ à/ apprendre + et ensuite/ on va se demander ».

213 Ex : « il avait un grand rôle + eh ben aujourd’hui on va voir quel est son grand/rôle ».

214 Ex : « nous sommes en train de le connaitre ».

215 Ce qui a été fait et ce qui va être fait.

216 Visée intentionnelle favorable : attention, pertinence activité, cohérence de la programmation, informations clefs, etc.

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grand rôle + eh ben aujourd’hui on va voir quel est son grand/ rôle ++ première chose + chaque élève/ vous avez/ des ciseaux/ et une colle ++ un par élève

(Corpus Interactions-MRS-EE)

- Le profil ou usage discursif à dominante agonale qui repose principalement sur un enchainement d’activités sans transition. Mais il repose aussi sur une absence de verbalisation explicite de la fin de l’activité en cours et de l’introduction de l’activité suivante ; une absence de contextualisation des micro-activités comme de la macro-activité reposant à titre principal sur la fonction référentielle. On en observe une réalisation à travers l’exemple suivant où l’enseignante clôture l’activité d’anglais par une question puis enchaine sans explicitation avec une nouvelle activité en demandant aux élèves de sortir leurs ardoises. Les élèves comprennent qu’ils vont faire une dictée de français et donc changer de matière. Cependant, l’enseignante ne verbalise pas explicitement la fin de l’activité d’anglais ni l’introduction de l’activité orthographique. Il y a une absence de contextualisation :

P. : qu’est-ce que ça veut dire it’s raining/ it’s raining/ on l’a vu ensemble/ un jour où il faisait pas beau comme aujourd’hui/ il pleut/ ok::: euh/ alors vous sortez vos ardoises/ on va faire la dictée (Corpus Interactions-MRS-EE)

Concernant les stratégies utilisées par les enseignants dans le cadre de l’échange I.R.E., j’ai également pu observer des différences significatives :

Taxinomie des stratégies relevées

Sans distinction quant à la tâche Profil ou usage discursif

favorisant la tension

Profil ou usage discursif favorisant la négociation

Reformulation simple

Reprise (implicite ou à l’aide d’un validant) Validant solliciteur-incitateur-inductif Réfutation

Reformulation informationnelle

Reprise (explicitée à l’aide d’un concessif) Formulation interro-suspensive

Formulation hybride Formulation concessive Concessif informationnel

Évitement des mauvaises réponses (1 seul type d’évitement commun aux deux tâches considérées)

Correction d’exercices de grammaire Profil ou usage discursif favorisant la

tension

Profil ou usage discursif favorisant la négociation

Formulation directrice complémentaire Formulation concessive directrice complémentaire Évitement des mauvaises réponses (7 types d’évitement propre à cette tâche)

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Explication de texte Profil ou usage discursif favorisant la

tension

Profil ou usage discursif favorisant la négociation

Évitement des erreurs (3 types d’évitement propre à cette tâche)

Descriptif des marqueurs d’évaluation conclusive suite à une réponse de l’élève…

… totalement concluante … non concluante

Profil argumentatif Marqueurs conclusifs

- l’enseignante fournit la réponse pertinente/concluante

- l’enseignante ne se contente pas toujours de valider, elle complète très souvent sa validation d’une reprise de l’acte réactif introduit par « alors »

Profil polémique Marqueurs implicites de validation

-Validation par réitération

- Validation par poursuite de la séquence

- Validation à l’aide d’un marqueur assurant un lien de conséquence entre ce qui précède et ce qui suit

Profil argumentatif Evitement de mauvaise réponse

- l’enseignante ne relève pas les erreurs

Solution apportée par l’enseignant

Profil polémique Réfutatif

Le profil ou usage discursif convoqué par le professionnel en situation conflictuelle est par conséquent déterminant mais il est aussi déterminé par celui que le professionnel met en place en situation interactionnelle hors montée en tension. Il existerait ainsi un profil ou usage discursif chez l’enseignant qui déterminerait à la fois la relation en contexte de tension et la relation hors tension avec ses élèves. Les deux étant intimement liées. Une interaction verbale réussie entre enseignant et élèves ne serait pas déterminée par la seule transmission de savoirs ou de connaissances mais aussi et surtout par l’élaboration d’une relation interpersonnelle déterminée par la relation interdiscursive reposant sur un profil ou usage discursif coopératif, co-énonciatif et sur les fonctions à la fois référentielles mais aussi conative à valeur de coopération du langage.

Il existe de fait des outils à la disposition des enseignants217 pour gérer la relation interdiscursive avec leurs élèves hors montée en tension, qui auraient une incidence sur la gestion et le nombre, voire à tout le moins la durée, des montées en tension verbale en classe218. Cela conduit à poser que l’interaction verbale entre enseignant et élèves ne doit pas se résumer à être considérée comme le simple produit d’une relation interpersonnelle immuable. Au contraire, elle doit être

217 Le recours aux fonctions référentielle et conative à visée coopérative notamment.

218 Recours à un profil ou usage discursif coopératif à visée argumentative, et non à un profil ou usage discursif de forme polémique.

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considérée comme un véritable outil au service d’une relation interdiscursive positive en termes de coopération pédago-didactique. Autrement dit, la relation interpersonnelle est un outil au service de la relation interdiscursive et inversement (l’une nourrit l’autre). Ainsi, les marqueurs d’évaluation conclusive et les stratégies d’obtention d’une réponse concluante ou de réponses concluantes sont des outils qui participent à la construction de la relation interpersonnelle en classe. Ce sont donc des outils discursifs au service de la relation interpersonnelle et de la relation interdiscursive.

Finalement, les résultats de cette étude, confirment les travaux d’Erving Goffman (1973ab, 1974), en ce qu’elle met clairement en avant l’influence réciproque des individus lors de l’interaction verbale et finalement l’action mutuelle à la fois constitutive et représentative de la relation interdiscursive et de la relation interpersonnelle. Elle va même plus loin en montrant comment il est possible d’agir sur cette relation interpersonnelle afin de créer un contexte propice à la circulation de la parole et à la négociation des moments de rupture interactionnelle. On a observé ainsi que si l’interaction pédago-didactique est dans une certaine mesure pré-déterminée par les rôles et les fonctions de chacun, elle se constitue finalement lors de l’interaction verbale elle-même. On a observé aussi que l’interaction est certes un résultat mais elle est aussi un outil constitutif d’une relation. Plus encore, nos résultats montrent l’importance déterminante des rituels interactionnels dans le cadre de la gestion de la relation interdiscursive en classe en tant qu’outil au service de la relation interpersonnelle enseignante/élèves. Ces rituels sont constitués de procédés de politesse linguistique (Brown et Levinson, 1978, 1987) visant le ménagement des faces. Par-là, ils permettent d’interagir avec autrui dans un souci de coopération interdiscursive. Ainsi, l’introduction de critiques ménagées à la face d’autrui permet une meilleure circulation des informations, là où un non ménagement est propice à une rupture interactionnelle. A la suite des travaux de Nicolas Guéguen (2008) dans le milieu de l’entreprise, nos travaux montrent comment la politesse peut être considérée, dans le cadre de l’interaction pédago-didactique, comme la « clé du lien social » entre élèves et enseignant. Elle devient vectrice de négociation (Kerbrat-Orecchioni, 2009). Les formes de montée en tension intervenant dans les classes où la relation interdiscursive est plus apaisée confirment ces données puisqu’on y observe des formes argumentées plus nombreuses constitutives de procédés de ménagement des faces en et hors tension. Au contraire, les formes de montée en tension intervenant dans les classes où la relation est plus agonale sont polémiques à charge et convoquent peu de procédés de ménagement des faces. Ainsi, nos résultats confirment également les résultats antérieurs menés sur des corpus similaires (Rey, Romain et DeMartino,

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2013[doc14], 2015[doc30] ; Romain et Rey, 2014[doc6], 2016a[doc8] ; Romain, 2015[doc15]) et surtout ils permettent de les prolonger en fournissant une meilleure compréhension de la relation interdiscursive en classe et des outils pour la rendre plus consensuelle et moins agonale. A l’issue de cette étude préliminaire, je me suis tournée résolument vers la sociolinguistique interactionnelle afin de questionner et de confronter à mes propres résultats les représentations des enseignants.

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